Paris Théâtre du Châtelet 04/10/2012 - et 12, 14, 16, 18 avril John Adams : Nixon in China Franco Pomponi (Richard Nixon), Alfred Kim (Mao Zedong), June Anderson (Pat Nixon), Sumi Jo (Jiang Qing, Madame Mao), Kyung Chun Kim (Zhou Enlai), Peter Sidhom (Henry Kissinger), Sophie Leleu (Nancy Tang, première secrétaire de Mao), Alexandra Sherman (Deuxième secrétaire de Mao), Rebecca de Pont Davies (Troisième secrétaire de Mao)
Chœur du Châtelet, Orchestre de chambre de Paris, Alexander Briger (direction)
Chen Shi-Zheng (mise en scène)
La création, en 1987 à Houston, fit date : un opéra présentait un événement relativement récent, qui lui-même avait fait l’effet d’une bombe, des personnages dont certains vivaient encore. Mais la poétesse Alice Goodman, arrachait les masques : Nixon in China pénétrait progressivement dans l’intimité des couples. Les Nixon et les Mao, à la fin, évoquent nostalgiquement leur première rencontre, le président américain portant encore la marque de la Guerre du Pacifique. John Adams, lui, se trouvait propulsé au premier rang des compositeurs d’opéra contemporains. En France, Nixon in China n’avait jamais été représenté depuis 1991, où l’on s’était précipité à Bobigny pour voir la mise en scène de Peter Sellars, qui avait suggéré le sujet au compositeur. La même année, le trio Adams-Goodman-Sellars créait un deuxième opéra d’actualité, tiré de l’affaire du détournement de l’Achille Lauro : La Mort de Klinghoffer.
L’intérêt du livret, ésotérique ou trivial, même s’il puise dans toute sorte de documents, chinois ou américains, reste à démontrer à nos yeux. Mais que reste—t-il aujourd’hui de la musique d’Adams ? Il faut aimer cette dilatation du temps par d’incessants ostinatos ou sa fragmentation par le refus de développer, cette postmodernité tonale souvent jugée régressive, s’immerger dans cet orchestre aux sonorités raffinées où l’on réentend un peu tout le monde, de Mozart à Stravinsky en passant par Wagner, Bruckner et Gershwin, où la tradition classique tend la main aux musiques américaines. Accepter aussi ce retour au grand opéra historique, à ses numéros, ses airs et ses ensembles. Bref, consentir à ce melting-pot musical caractéristique du compositeur. Cela n’empêche pas de s’ennuyer ferme au premier acte et à la fin, le reste offrant de vrais moments d’opéra, en particulier au deuxième acte, autour du ballet Le Détachement féminin de l’Armée rouge, œuvre de madame Mao en personne.
La double culture de Cheng Shi-Zheng le conduit à une mise en scène moins colorée et moins effervescente que celle de Sellars, jouant sobrement sur la dualité des points de vue, non sans distance ironique parfois, avec aussi un réalisme assez fort, comme dans le ballet, où un maître à la lubricité sadique fait fouetter à mort une jeune paysanne – en réalité un Kissinger façon DSK. Direction d’acteurs d’un statisme assumé, mais précise, faisant volontiers des personnages des fantômes ou des caricatures d’eux-mêmes, jusqu’à la tombée des masques, où l’on voit notamment Zhou Enlai saisi par le doute. La jeune plasticienne indienne Shilpa Gupta a su styliser les poncifs, jouant sur la nudité de l’espace et privilégiant le symbolisme – mur de briques devant lequel atterrit l’avion présidentiel américain, achèvement d’une statue géante de Mao dont on ne verra ni la tête ni les pieds. Belles lumières, un peu à la Bob Wilson, d’Alexander Koppelmann, afin de rythmer l’action.
Alexander Briger tient l’œuvre, évite – autant qu’il peut se faire dans une telle musique – le décousu des séquences, précis, fluide et coloré, plutôt bien suivi par l’orchestre – et très bien par le chœur. La distribution se situe à bonne hauteur. Au Mao philosophe, assez bonhomme, mais trop nasal du ténor Alfred Kim, pourtant capable d’assouplir son émission pour chanter piano jusque dans l’aigu, on préfère le Nixon imposant de Franco Pomponi, timbre altier et ligne sûre, boursouflé et touchant, marié à une June Anderson encore en bonne voix, nunuche et fine mouche, empathique et effarouchée – on les avait déjà associés in loco dans Les Bassarides de Henze. Si le Kissinger grotesque de Peter Sidhom surprend par ses insuffisances, guère audible au premier acte, Kyung Chun Kim a belle allure en Zhou Enlai. Et Sumi Jo affronte crânement les vocalises et les intervalles périlleux d’une Jiang Qing colorature, ivre de révolution sanguinaire, impayable dans son nostalgique fast shuffle du troisième acte.