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Une Muette sans éloquence

Paris
Opéra Comique
04/05/2012 -  et 7*, 9, 11, 13, 15 avril
Daniel-François-Esprit Auber : La Muette de Portici
Elena Borgogni (Fenella), Maxim Mironov (Alphonse), Eglise Gutiérrez (Elvire), Michael Spyres (Masaniello), Laurent Alvaro (Pietro), Tomislav Lavoie (Borella), Jean Teitgen (Selva), Martial Defontaine (Lorenzo), Beata Morawska (Une coryphée), Jacques Does (Un pêcheur)
Orchestre et Chœur du Théâtre Royal de la Monnaie, Patrick Davin (direction)
Emma Dante (mise en scène)


(© Elisabeth Carecchio)


Une histoire d’amour trahi sur fond d’événements historiques dont les personnages sont les acteurs, en cinq actes avec ballet : un an avant le Guillaume Tell de Rossini, La Muette de Portici d’Auber ouvrait naturellement la voie au « grand opéra »... avant de déclencher la Révolution belge à travers le fameux « Amour sacré de la patrie ». On n’y voit guère, pourtant, d’apologie de la révolution : comme bientôt dans Le Prophète de Meyerbeer, elle dévore ses enfants, qui sombrent dans le fanatisme aveugle. Le chef des rebelles, le pêcheur Masaniello, devient fou et périt empoisonné par son lieutenant – il est vrai qu’il accueille chez lui et sauve l’ennemi. Le prince, du coup, récupère son trône et le peuple demande pardon – signe, peut-être, d’une réconciliation. En France même, La Muette ne s’imposa pas si longtemps : elle quitta l’affiche du Palais Garnier en 1882. En la ressuscitant avec la Monnaie de Bruxelles, Jérôme Deschamps remplit sa mission : exhumer et réhabiliter un répertoire – même si l’œuvre s’imposait plutôt à Garnier que dans le cadre trop intimiste de Favart.


Encore eût-il fallu la présenter autrement. Les propos d’Emma Dante pouvaient exciter une certaine curiosité. On déchante d’autant plus devant cette production convenue jusqu’à la ringardise, à cause de l’indigence de la direction d’acteurs, avec poses et gestes d’un autre temps. Sans parler d’une « expression par le mouvement et les postures à partir d’improvisations » en lieu et place d’une vraie chorégraphie, des comédiens devant suffire pour déployer « une énergie brute, quitte à produire un mouvement désarticulé ou imparfait » : on ne saurait mieux dire. Les enjeux, politiques et psychologiques, disparaissent totalement. L’héroïne elle-même en pâtit beaucoup : destinée à Lise Noblet, la muette Fenella, sœur de Masaniello, abandonnée par le prince pour une jeune fille de la noblesse, se mue ici en sauvageonne hystérique grossièrement campée, malgré tout l’engagement de la comédienne Emma Borgogni. Les bonnes idées, pourtant, ne manquaient pas, à commencer par le refus de la reconstitution historique – ce dont raffolait justement le public de l’époque : mise à mort quasi rituelle, au harpon, des soldats par les pêcheurs révoltés, comme dans la mattanza, cour figée comme les marionnettes napolitaines. L’absence de travail en profondeur, en revanche, rend la fin artificielle : si l’on échappe à l’éruption du Vésuve, la métamorphose de Fenella en sainte martyre, désormais protectrice du peuple, tombe à plat.


Le grand opéra achoppe souvent, aujourd’hui, sur les distributions et l’on se plaît toujours à imaginer comment chantaient une Cinti-Damoreau ou, surtout, un Nourrit, dont l’aigu abandonnait le registre de poitrine. Michael Spyres a pour lui l’homogénéité de la tessiture, ses scrupules stylistiques, la capacité à passer de la douceur à la vaillance, un timbre de qualité. Il ne peut cependant dissimuler ses limites techniques dans le « Ferme les yeux » du quatrième acte : le souffle trouve difficilement son assise, le mélange des registres est laborieux et l’on craint que la ligne ne se brise. Sans doute Eglise Gutiérrez eût-elle montré plus d’assurance si elle n’avait été indisposée : la clarté de l’articulation, le délié de la vocalise, l’élégance du phrasé laissaient deviner le meilleur. Si Maxim Mironov conduit bien sa petite voix, il résiste mal à la partie rapide de son air d’entrée. La puissance, au contraire, ne fait pas défaut au Pietro de Laurent Alvaro, au point de déséquilibrer les duos avec Masaniello, de plus modeste pointure. Mais il a du mal à trouver les marques du pêcheur, qu’il confond avec Méphisto, alors que la fureur du personnage doit se sublimer dans un chant d’école plus policé, dont la Barcarolle du quatrième acte le rapproche davantage. Cela dit, soulignons la qualité de l’articulation de chacun : ce n’est plus si courant aujourd’hui.


On a connu l’Orchestre de la Monnaie à meilleur niveau de sonorité et d’homogénéité qu’ici. Patrick Davin, de son côté, surprend heureusement au premier acte, par le dosage des plans sonores, la finesse du détail, l’élan théâtral. Les choses se gâtent un peu ensuite, tant il se laisse déborder par sa fougue, n’assurant plus l’équilibre entre la scène, la fosse et l’acoustique de la salle, dirigeant à trop gros traits malgré de bons moments – défauts auxquels il succombe souvent.



Didier van Moere

 

 

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