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Avant tout, pour Angelich Paris Salle Pleyel 02/15/2012 - et 16* février 2012 Ludwig van Beethoven : König Stephan, opus 117: Ouverture – Concerto pour piano et orchestre n° 5 en mi bémol majeur «L’Empereur», opus 73
Félix Mendelssohn : Symphonie n° 3 en la mineur «Ecossaise», opus 56
Nicholas Angelich (piano)
Orchestre de Paris, Juraj Valcuha (direction)
N. Angelich (© Stéphane de Bourgies)
Le programme proposé ce soir par l’Orchestre de Paris était classique à plus d’un titre. Classique dans les compositeurs affichés tout d’abord: Beethoven et Mendelssohn. Classique dans son agencement ensuite puisqu’il obéissait à la célèbre formule ouverture/concerto/symphonie. Classique dans le choix des œuvres enfin, hormis peut-être l’ouverture. La seule véritable originalité résidait finalement dans la personnalité du chef d’orchestre: à 36 ans, Juraj Valcuha, bien qu’encore peu connu, est pourtant déjà un chef aguerri qui a travaillé à plusieurs reprises en France, ayant notamment été chef assistant de l’Orchestre et de l’Opéra national de Montpellier de 2003 à 2005 et ayant déjà dirigé toutes les grandes phalanges parisiennes dont l’Orchestre de Paris en décembre 2010. Aujourd’hui, il occupe les fonctions de directeur musical de l’Orchestre symphonique de la RAI de Turin, ne négligeant pas pour autant les invitations régulières de l’Orchestre philharmonique de Munich et de l’Orchestre symphonique de Pittsburgh, s’offrant même le luxe de remplacer Bernard Haitink à la tête du Philharmonique de Berlin en octobre 2011 (dans un programme Weber-Sibelius-Tchaïkovski) alors que ce dernier était souffrant.
Ce triptyque débutait donc par l’Ouverture du Roi Etienne (1812), œuvre de circonstance composée par Ludwig van Beethoven (1770-1827) à la même époque qu’une autre musique de scène pour une pièce de Kotzebue, Les Ruines d’Athènes. Il est dommage qu’une telle page ne soit pas donnée plus fréquemment tant elle est belle et recèle de magnifiques harmonies, chaque pupitre étant mis à contribution (bois, cuivres, cordes). S’il conduit avec attention un très bon Orchestre de Paris (on soulignera notamment l’excellence de la petite harmonie), Juraj Valcuha manque néanmoins de vigueur dans une œuvre qui aurait sans doute mérité d’être prise un peu plus rapidement.
Le public parisien a déjà eu l’occasion à plusieurs reprises d’entendre Nicholas Angelich dans des concertos pour piano de Beethoven: la dernière fois, c’était en mai 2011 dans le Quatrième sous la baguette de Sir Colin Davis qui, au Théâtre des Champs-Elysées, dirigeait alors l’Orchestre national de France. Quelques mois auparavant, il jouait déjà L’Empereur, accompagné cette fois par Daniel Harding, dans une prestation qui était restée en demi-teinte. Ce soir, c’est de nouveau le Cinquième Concerto (1809) qui est au programme: la prestation d’Angelich, remplaçant Yefim Bronfman, initialement annoncé, fut splendide. Parfois, on aura néanmoins pu regretter que le soliste adopte un jeu marqué par une certaine affectation qui, plus qu’une forme d’orgueil mal placée, traduit en vérité une sorte de souffrance que certains de ses illustres devanciers (on peut évoquer Gould ou Michelangeli) subissaient également au moment où ils devaient s’asseoir face à leur clavier. Il suffit de voir son visage, parfois marqué par quelque crispation, ou de le voir, lui, saluer avec une maladresse touchante un public qui l’acclame mais auprès duquel il donne presque l’impression de s’excuser d’être là... Au-delà de quelques ritardando qui peuvent donc paraître inutiles et artificiels, on se laisse néanmoins immédiatement séduire par un jeu d’une très grande clarté, qui sonne brillamment, servi au surplus par une technique infaillible. La main droite est d’une légèreté incroyable, glissant sur les touches plus que ne les frappant vraiment, conférant notamment à l’Adagio un poco mosso une dimension véritablement féerique. Malheureusement, cette approche a été quelque peu contrecarrée par Juraj Valcuha dont la vision se veut moins rêveuse. Celui-ci adopte un tempo plus lent que celui souhaité par Angelich (sauf dans le deuxième mouvement où il semble que ce soit justement le contraire), faisant entendre aux spectateurs quelques éclairages qu’on ne perçoit pas aussi bien d’habitude, qu’il s’agisse de ces traits confiés au violoncelle solo ou au basson, ou de ces accents dévolus aux cors (dans l’Allegro). Quand bien même cette confrontation donnerait parfois lieu à de légers décalages (dans le dernier tiers du mouvement lent en particulier), le résultat n’en est pas moins salué par un public enthousiaste. Pour conclure, Nicholas Angelich donne deux bis, dont un tendre «Gens et pays étrangers» tiré des Scènes d’enfants de Robert Schumann, avant, pour la second partie du concert, de venir s’asseoir, en frac, dans les rangs du public.
Dédiée à la Reine Victoria, la Symphonie «Ecossaise» (1842) de Félix Mendelssohn (1809-1847) est une nouvelle preuve de la passion que celui-ci, à l’instar d’autres artistes romantiques de toute l’Europe, éprouvait tant pour le Moyen-Age que pour la Grande-Bretagne. Le climat brumeux inaugurant le premier mouvement (l’Andante con moto) est très bien rendu par un Juraj Valcuha visiblement dans son élément. Comme dans le concerto de Beethoven, le chef slovaque n’hésite pas à donner un léger coup de projecteur sur tel ou tel pupitre, permettant ainsi de parfaitement entendre la clarinette lorsque, au début de l’Allegro un poco agitato (toujours au sein du premier mouvement), celle-ci double les violons (dont les attaques manquent parfois de netteté) dans le thème qui innerve l’ensemble de l’œuvre. Enchaînant les quatre parties sans aucune pause conformément au souhait du compositeur, Juraj Valcuha dirige avec beaucoup d’entrain le deuxième mouvement (Vivace non troppo) où brillent les bois, donnant ensuite au mouvement lent toute la respiration qu’il requiert. A l’issue de l’Allegro maestoso assai qui se conclut par une sorte de choral harmonique, orchestre et chef sont chaleureusement applaudis: nul doute, vu le succès de cette soirée, que les prestations de Juraj Valcuha se poursuivent à l’avenir à la tête de l’Orchestre de Paris.
Sébastien Gauthier
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