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Recréation française d’un chef-d’œuvre du XVIIe

Paris
Opéra Comique
02/01/2012 -  et 3*, 5, 6, 8, 9 février 2012
Pier Francesco Cavalli : Egisto
Marc Mauillon (Egisto), Anders J. Dahlin (Lidio), Claire Lefilliâtre (Clori), Isabelle Druet (Climene), Cyril Auvity (Hipparco), Ana Quintans (Aurora, Amore, Prima Hora), Serge Goubioud (Notte, Dema), Luciana Mancini (Didone, Volupia), Caroline Meng (Hero, Bellezza), Mariana Flores (Semele, Cinea), Mélodie Ruvio (Fedra, Venere), David Tricou (Apollo)
Le Poème harmonique, Vincent Dumestre (direction)
Benjamin Lazar (mise en scène), Adeline Caron (décors), Alain Blanchot (costumes), Christophe Naillet (lumières), Mathilde Benmoussa (maquillages et coiffures), Lucas Peres (assistant musical), Elizabeth Calleo (assistante mise en scène), Malanda Loumouamou (assistante décors), Eleonora Pacetti (coach de langue)


(© Pierre Grosbois pour l’Opéra Comique)


Dans son ouvrage consacré à Cavalli et l’opéra vénitien au XVIIe siècle (1931), Henry Prunières estimait que «dans l’histoire de la musique, la belle période de l’opéra vénitien s’intercale entre celle de l’opéra romain qui triomphe au début du XVIIe siècle et celle de l’opéra napolitain qui brille d’un vif éclat dès le début du XVIIIe siècle». Force est en effet de constater que cette époque a vu éclore un certain nombre de chefs-d’œuvre dont la floraison a été favorisée par la prospérité dont jouissait alors la Sérénissime: la construction de théâtres et la rivalité entre grandes familles patriciennes (au premier rang desquelles les fameux Tron et Grimani) ont créé un terrain fertile qui a suscité une émulation sans pareille à travers toute l’Europe. Même si Monteverdi quitte peu à peu la scène (il meurt en 1643 après deux ultimes sommets que furent Il ritorno d’Ulisse in patria en 1640 et L’incoronazione di Poppea en 1642), la relève existe puisqu’il se voit très rapidement concurrencé par les drames lyriques signés Stefano Landi (Il Sant’Alessio en 1631), Vicenzo Nolfi (Bellerofonte en 1642), Niccolo Bartolini (Venere gelosa en 1643) et, donc, Cavalli.


Etrange destin que celui de Pier Francesco Cavalli (1602-1676), né Francesco Caletto. Fils d’un modeste organiste de la ville de Créma, il fait, dès sa jeunesse, montre de talents indéniables pour la musique ce qui pousse le gouverneur de Créma, Frederigo Cavalli, à le prendre sous sa protection et à l’envoyer à Venise où il devient chantre et apprend l’orgue à son tour. Prenant le nom de son protecteur, Cavalli compose rapidement ses premiers ouvrages lyriques, dès 1639. Réputé comme portant peu d’attention aux livrets et à leur vraisemblance, Francesco Cavalli connaît une forte déconvenue en France lorsque, invité par Mazarin à composer une pièce pour le mariage de Louis XIV et de l’infante Marie-Thérèse, il constate que le public lui préfère les ouvertures d’un certain Lully. Il retourne alors définitivement en Italie où il s’éteindra en 1676.


Egisto (1643) a eu la réputation d’avoir été le premier opéra de Cavalli représenté à Paris. En vérité, il n’en est rien, l’Egisto auquel il a longtemps été fait référence étant en vérité de la plume de Mazzocchi et Marazzoli. Favola drammatica musicale en un prologue et trois actes, cet opéra est fondé sur un livret du poète Giovanni Faustini (1615-1651) et narre les intrigues amoureuses entre humains (Clori aime Egisto mais trompe celui-ci avec Lidio tandis que ce dernier délaisse Climene, laquelle lui était promise, tandis qu’Hipparco, frère de Climene, est également amoureux de Clori), fort complexes, auxquelles prennent part les dieux, à commencer par Vénus et Apollon. Après une scène d’anthologie où Egisto, en proie à de furieuses hallucinations, sombre dans la folie jusqu’à ce qu’Apollon lui rende la raison, l’opéra se conclut par les amours retrouvées d’Egisto et Clori d’une part, de Climene et Lidio d’autre part, Hipparco (grand cœur) renonçant à son ancienne passion pour Clori.


On attendait beaucoup de ces retrouvailles entre Vincent Dumestre et Benjamin Lazar qui avaient notamment signé un légendaire Bourgeois gentilhomme, et, à l’Opéra Comique, un triomphal Cadmus et Hermione de Lully en janvier 2008, d’ailleurs repris à la fin de l’année 2010. Peut-être en attendait-on trop...


Sur le plan musical, que doit-on admirer en premier lieu? L’orchestre, évidemment. Les musiciens du Poème harmonique sont exceptionnels dans leur maîtrise de cette partition qui s’avère quelque peu aride, avare de toute ornementation inutile. Dirigés par un Vincent Dumestre qui, ce faisant, n’hésite pas à payer de sa personne en tenant lui-même la partie de théorbe, ils illustrent parfaitement les amours ardentes qui innervent l’intrigue (les deux flûtes dès le Prologue ou l’air de Clori à la scène 7 de l’acte I, lorsque les violons miment le climat de l’air «Amour, qui t’a donné des ailes»). Les cordes pleurent avec Climene lorsqu’elle se lamente (à juste titre sur son amour perdu et sa triste condition) à la scène 6 de l’acte II («Ah impie, ah ingrat») mais elles savent également se montrer criardes, grimaçantes, grinçantes lorsqu’elles accompagnent l’intervention de la terrible Dema, vieille femme qui sait rappeler à qui veut l’entendre que la beauté ne fait que passer et que l’amour peut se mal finir (l’air «Tu le regretteras, crois-moi», scène 8 de l’acte II). Bref, on est subjugué par la variété des climats ainsi rendus qui contribuent à rendre, sinon crédible, du moins logique la trame de cette histoire fort complexe.


Les chanteurs savent également s’impliquer dans ces personnages qui apparaissent tantôt falots (Climene), tantôt véhéments (Egisto), parfois ridicules (Amour). On commencera bien évidemment par la prestation de Marc Mauillon, excellent Egisto dès ses premières interventions (notamment dans un magnifique duo avec Climene «Vengeance, Amour, Vengeance» à la scène 3 de l’acte I). Plusieurs passages sont à marquer d’une pierre blanche: citons-en deux seulement. L’air qu’il chante au début de l’acte II («Je fuis l’accueil généreux») est une sorte de révolte de la part d’Egisto contre sa situation d’infortuné: alors que sa voix aurait pu exploser de colère dans le passage «Le nœud est brisé et l’ardeur éteinte» («Rotto ha il nodo»), il n’en est rien et, bien au contraire, celle-ci cède avec abnégation, Marc Mauillon retenant quelques mots l’espace d’une seconde et tirant alors les larmes de chaque spectateur. De même, comment passer sous silence cette scène de folie où Egisto pense être destiné aux Enfers? Mauillon fait alors montre de talents de comédien indéniables qui en font le véritable héros de cette soirée. Anders J. Dahlin tient vaillamment le rôle de Lidio,, que ce soit dans son duo avec Clori (scène 2 de l’acte I) où tous deux célèbrent leur amour, ou dans ses répliques terribles où il lance à Climene «Tu connais bien, Climene, l’ancien adage commun: Autres temps, autres soucis» (scène 5 de l’acte II), même s’il force parfois un peu sa voix. Dans le rôle d’Hipparco, Cyril Auvity est également à son meilleur, notamment dans une superbe scène à l’acte II (scène 7).


Parmi les personnages féminins, Isabelle Druet domine l’ensemble de la distribution dans le rôle de Climene même si son personnage s’avère parfois falot. Dotée d’une voix d’une grande souplesse, elle témoigne également une technique très sûre, notamment dans des attaques bien souvent périlleuses. Claire Lefilliâtre, qui incarne Clori, semble moins à l’aise que sa consœur même si elle offre au public quelques passages parmi les plus séduisants. Outre son grand air à la scène 7 de l’acte I («Amour, qui t’a donné des ailes»), elle joue parfaitement la comédie lorsque, pour rendre Egisto jaloux, elle feint de ne pas le reconnaître alors que celui-ci lui déclare son amour (acte II, scène 2).


Dans les rôles secondaires, on remarque surtout Serge Goubioud qui tient avec beaucoup de vérité le rôle de Dema, sorte de duègne moralisatrice, caution humoristique de l’opéra. Dans les rôles de la Beauté et de la Volupté, Caroline Meng et Luciana Mancini offrent un magnifique duo à la scène 8 de l’acte I, ridicules par leur prétention à séduire à qui mieux mieux. Si David Tricou manque de charisme dans le rôle d’Apollon et Ana Quitans de sûreté dans l’émission dans le rôle pourtant crucial de Cupidon (Amour), Mariana Flores fait de nouveau preuve de ses talents dans les petits rôles de Semele et de Cinea; elle est incontestablement une voix qu’il convient de suivre même si ses prestations ont déjà pu être soulignées, notamment dans certaines pièces d’Antonio Vivaldi.


Le metteur en scène Benjamin Lazar a choisi de planter l’action dans un décor unique et multiple à la fois: une ruine romaine, sur deux étages, où alternent murs en briques et colonnes, qui, placée sur une scène tournante, permet ainsi d’offrir plusieurs visages au public. Evidemment, l’éclairage se fait à la bougie, plongeant d’ailleurs la scène dans une semi obscurité certes magique mais qui rend parfois la vision (et la distinction) des personnages extrêmement difficiles, les flammes vacillantes symbolisant à dessein l’amour qui sert de fil conducteur à toute l’histoire. Les chanteurs n’évoluent que trop peu sur scène et c’est dommage: leurs attitudes sont assez peu diversifiées et ne servent guère le discours musical. Cette sobriété extrême (sauf peut-être dans les costumes qui allient quelques couleurs chamarrées) s’avère finalement regrettable. Non seulement elle amoindrit la magie potentielle du spectacle mais elle est peut-être même en contradiction avec ce que souhaitait être l’opéra aux alentours des années 1640. Comme l’explique avec force détails Hélène Leclerc dans son indispensable ouvrage Venise baroque et l’opéra, les théâtres de l’époque donnaient une très grande importance à la variété des décors et à la machinerie, notamment sous l’influence du grand Torelli. Comme quoi la fidélité historique peut peut-être aller encore plus loin.


Pour autant, voici un grand spectacle qui permettra aux amateurs de redécouvrir, au travers de cet opéra, tout un pan de l’histoire de la musique. Concluons enfin ce commentaire par deux louanges adressées à l’Opéra Comique tant pour l’audace de ce spectacle que pour l’excellence du dossier pédagogique accessible sur son site et l’exhaustivité du programme en vente lors des représentations. Ce sont malheureusement deux choses suffisamment rares pour mériter d’être amplement soulignées!


Le site du Poème harmonique
Le site de Marc Mauillon
Le site de Caroline Meng



Sébastien Gauthier

 

 

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