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Ambivalences et tradition

Dijon
Auditorium
12/29/2011 -  et 31 décembre 2011, 3, 5, 7, 10 janvier 2012
Giuseppe Verdi : La traviata
Irina Lungu (Violetta Valéry), Jesus Leon (Alfredo Germont), Dimitris Tiliakos (Giorgio Germont), Silvia De La Muela (Flora Bervoix), Anne Mason (Annina), Manel Nunez Camelino (Gastone, Visconte de Létorières), Laurent Alvaro (Barone Duphol), Jean-Gabriel Saint-Martin (Marchese D’Obigny), Maurizio Lo Piccolo (Dottore Grenvil), Rachid Zanouda (Servo), Yu Chen (Giuseppe), Zakaria Elbahri (Commissionario), Rainer Vilu (Domestico di Flora)
Chœur de l’Opéra de Dijon, Estonian Philharmonic Chamber Choir, Salvo SgroÌ (direction des chœurs), Orchestre Dijon Bourgogne, Roberto Rizzi Brignoli (direction musicale)
Jean-François Sivadier (mise en scène), Alexandre de Dardel (scénographie), Virginie Gervaise (costumes), Philippe Berthomé (lumières)


Tandis que l’on rit à gorge déployée dans la plupart des théâtres lyriques de France et de Navarre, si ce n’est d’Europe, en cette période festive, ce sont la compassion et les larmes que l’on éveille à l’Opéra de Dijon, avec une Traviata coproduite avec le festival d’Aix-en-Provence et la Wiener Staatsoper. En programmant un ouvrage archétypal, la maison bourguignonne ne déroge pas à la mission cathartique qui lui est confiée, en suscitant des émotions fédératrices, propres à ces moments de fraternité factice commandés par le calendrier.


Il est toujours à la fois enrichissant et quelque peu déstabilisant de revoir une production dans un cadre radicalement différent, et le transfert du spectacle donné sous le dais de lune et de cigales cet été dans le Théâtre de l’Archevêché vers une salle traditionnelle, et donc couverte, si l’on ose ainsi s’exprimer, prenait le risque de briser une magie particulière, exigeant de savoir en recréer une nouvelle, quand bien même la hauteur de l’Auditorium s’évade presqu’en un firmament de béton. Ce défi, Jean-François Sivadier semble l’avoir relevé avec succès, à en juger le résultat obtenu à cette première représentation.


Nonobstant les dispositions différentes du spectateur, l’accent de la scénographie semble avoir subi des déplacements. Cela est sensible dans la réversibilité du dispositif, où, entre autres exemples, le rideau de scène bleu marine de la fête au premier acte se mue en couche des amants dans la retraite campagnarde au deuxième, renversant la vanité dorée des étoiles qui y sont dessinées. Le premier acte souffre d’ailleurs, davantage qu’à Aix, de la relative confidentialité des éclairages. L’ambivalence entre l’espace de la représentation, et le hors-champ, mettant en abyme le spectacle lui-même comme une répétition de l’opéra, fonctionne avec plus de bonheur au deuxième acte, avec les tableaux champêtres figurant l’illusion pastorale du jeune couple, avant que la descente des lustres ne viennent rappeler la rampe des codes sociaux, concomitante avec l’arrivée du père Germont, émissaire des bonnes mœurs que le fils négligeait. Aux agapes de Flora, Violetta se fige au centre de l’arène où les messieurs lancent leurs cartes, mise sur laquelle ces derniers parient, et mettant en évidence la vénalité dans laquelle ils confinent la courtisane, la violence des schèmes et des stéréotypes moraux. L’héroïne meurt en s’avançant vers l’avant de la scène, avant de s’effondrer, en un hommage visible à la production scaligère de Visconti, qui en 1955, avec son cinématographisme, et Maria Callas en dévoyée, avait secoué la presse de l’époque.


La distribution vocale de La traviata reproduit le schéma du Trovatore, avec, pour reprendre le bon mot de George Bernard Shaw, «un baryton qui veut empêcher le ténor de coucher avec la soprane». En comparant les deux ouvrages, on pourrait parler d’un allégement translationnel du format dramatique vers le lyrique. Leonora est un lyrico-spinto, Violetta un soprano lyrique; Manrico, un ténor héroïque, Alfredo un lyrique; le Conte di Luna revient à un baryton vigoureux tandis que Germont doit laisser poindre plus de faiblesse que de vengeance. De cette répartition des caractères, c’est Irina Lungu qui constitue l’avatar le plus juste et le plus idiomatique. Vrai soprano lyrique, celle qui avait assuré l’alternance avec une Natalie Dessay parfois dépassée par les exigences du rôle, incarne l’héroïne avec un timbre idoine. La rondeur de l’émission, magnifiant la ligne vocale, gagnerait cependant à être moins vocalique, favorisant ainsi une diction que l’on souhaiterait parfois plus intelligible et une accroche dramatique plus incisive. La composition scénique manque également çà et là de réactivité – l’apathie de l’héroïsme quand Alfredo l’injurie accentue certes sa fragilité, avec une placidité qui semble cependant un peu excessive. Jesus Leon se révèle émouvant dans ses habits de ténor lyrique léger. S’il distille une séduction et une délicatesse appréciables, il manque cependant un peu de robustesse pour affronter la colère du personnage chez Flora. A l’inverse, Dimitris Tiliakos exagère la maturité de Germont, et met plus d’une fois en péril le profil de la ligne de chant.


Parmi le reste du plateau, Anne Mason compose une sympathique Annina, reléguant l’amertume à la Flora Bervoix de Silvia De La Muela. Entremetteur presque toujours en scène, Manuel Nunez Camelino revêt le costume de Létorières. Laurent Alvaro incarne un Douphol solide, de même que Jean-Gabriel Saint-Martin en d’Obigny. Maurizio Lo Piccolo interprète avec efficacité le docteur Grenvil. On évoquera enfin la domesticité – Rachid Zanouda, Yu Chen, légers, et Rainer Vilu, plus pesant – et le commissaire de Zakaria Elbahri. Les chœurs dirigés par Salvo SagroÌ mutualisent les forces de la maison et le Chœur philharmonique de chambre estonien, déjà présent en Provence cet été.


La direction musicale de Roberto Rizzi Brignoli, sensible, diffère radicalement de la battue cassante de Louis Langrée, officiant à Aix à la tête de l’Orchestre symphonique de Londres en résidence. Ici, le chef italien s’attache à mettre en valeur les couleurs de la partition, en une sorte de quasi-anastomose entre les parties vocales et orchestrales, restituant ainsi le génie original de l’ouvrage, où les rapports entre la fosse et la scène sont beaucoup moins frontaux que dans le Trovatore. On entend ainsi davantage des équilibres chambristes qu’une grande guitare frustre. Il n’était peut-être pas nécessaire pour autant de contenir l’écrasement du destin à la mort de Violetta.



Gilles Charlassier

 

 

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