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La musique pure

Paris
Salle Pleyel
12/21/2011 -  
Arnold Schoenberg : Verklärte Nacht, op. 4
Béla Bartók : Concerto pour piano n° 2, Sz. 95 – Concerto pour orchestre, Sz. 116

Bertrand Chamayou (piano)
Orchestre de Paris, Pierre Boulez (direction)


B. Chamayou (© Richard Dumas/Naïve)


S’il est venu ou revenu à d’autres compositeurs, Pierre Boulez n’a jamais quitté Schoenberg ou Bartók. Le programme donné salle Pleyel – et, pour partie, la veille gratuitement sous la Pyramide du Louvre – regroupait d’ailleurs des œuvres déjà données avec l’Orchestre de Paris : La Nuit transfigurée en 1982, le Deuxième Concerto pour piano en 1982 (avec Maurizio Pollini) et en 1991 (avec András Schiff), le Concerto pour orchestre en 2001. Un programme permettant de mesurer le chemin parcouru par un chef dont on brocardait jadis la sécheresse, qui a ensuite dirigé beaucoup moins droit, découvrant même des rondeurs, une sensualité insoupçonnées. S’est-il assagi ? Disons qu’il rééquilibre le rapport entre la précision analytique et l’abandon à la musique, sans pour autant verser dans les lenteurs illuminées du dernier Giulini – autre exemple, très différent, d’itinéraire singulier et exemplaire.


Non que La Nuit transfigurée perde en clarté : les plans sonores se dégagent toujours avec autant de transparence, il n’y a pas moins d’air dans la polyphonie que si Boulez dirigeait la version pour sextuor. Comme jadis, comme naguère, l’ensemble se construit progressivement, grâce à une impeccable maîtrise du temps musical. A quatre-vingt-six ans, le chef français ne refuse pas moins obstinément l’exaltation morbide, la surenchère de l’émotion, totalement affranchi de l’argument très fin-de-siècle de Dehmel – à l’opposé de Karajan : l’œuvre, pour lui, est d’abord musique. Il n’empêche : cette Nuit, autrefois inquiétante par l’âpreté assumée du geste, semble aujourd’hui nimbée de nostalgie, s’écoule comme un rêve, baigne parfois dans des sonorités liquides qui la rendent irréelle. Beau travail des cordes de l’orchestre, même sans la rondeur soyeuse de celles de Vienne ou de Berlin.


Classicisme ? Si cette Nuit pose la question, le Deuxième Concerto de Bartók y répond. Cette réponse est à la fois celle du chef et du pianiste : Bertrand Chamayou, que plus de cinquante ans séparent pourtant de Boulez, témoigne d’une maîtrise, d’un refus de l’agressivité sonore que son aîné apprécie visiblement beaucoup. La sonorité reste pleine et ronde jusque dans les passages les plus percussifs, le jeu est d’une clarté digne de Bach – auquel les pianistes bartokiens devraient penser plus souvent. A peine manque-t-il parfois un peu de liberté dans l’approche. S’il n’est pas moins rigoureux, Boulez, lui, s’avère moins cru, moins acéré qu’autrefois, plus sensible au côté jubilatoire ou mystérieux de la partition – le nocturne du mouvement lent allie un sens du mystère très debussyste à un art de l’évocation fantastique ressuscitant les elfes de Berlioz ou de Mendelssohn. On n’entend pas tous les jours un tel orchestre dans ce concerto – l’équilibre entre la masse instrumentale et le soliste constituant un dangereux écueil.


L’orchestre donne ici le meilleur de lui-même, comme dans le Concerto pour orchestre, où le classicisme de la direction se confirme. Ou, plus exactement, sa volonté de rappeler l’universalité de la musique. Tout ce que l’ultime opus orchestral de Bartók doit à ses racines, exalté par une certaine école de direction hongroise, de Reiner à Kocsis, a toujours laissé Boulez assez insensible. Ce n’est pas lui qui fera sourire le « Giuoco delle coppie » ou ricaner l’« Intermezzo interotto » - où il ne s’attendrit pas davantage. En revanche, il semble beaucoup plus libre, beaucoup moins implacable, alors qu’il garde incroyable profondeur d’analyse qui lui évite de faire de ce Concerto une sorte d’Etude transcendante, de démonstration de virtuosité orchestrale. L’interprétation acquiert même, ici ou là, une dimension nostalgique, presque crépusculaire, comme si Bartók résumait plus de trente ans de création, à partir du Château de Barbe-Bleue – on se demande, au début, si le rideau ne va pas s’ouvrir sur le palais hanté. Une création qui a accompagné toute la carrière de Boulez.


Pas la musique sèche, la musique pure.



Didier van Moere

 

 

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