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Quand les apparences sont trompeuses...

Versailles
Opéra royal
12/10/2011 -  et 12 * décembre 2011 (Versailles), 2, 4, 6, 8 janvier 2012 (Opéra Comique)
Johann Christian Bach : Amadis de Gaule

Philippe Do (Amadis), Hélène Guilmette (Oriane), Allyson McHardy (Arcabonne), Franco Pomponi (Arcalaüs), Julie Fuchs (Urgande, première Coryphée), Alix Le Saux (La Discorde, deuxième Coryphée), Peter Martincic (La Haine, l’ombre d’Ardan Canil), Ana Dezman (soprano solo), Martin Susnik (ténor solo), Compagnie Les Cavatines
Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Olivier Schneebeli (direction), Le Cercle de l’Harmonie, Julien Chauvin (premier violon), Jérémie Rhorer (direction)
Marcel Bozonnet (mise en scène), Natalie van Parys (chorégraphie), Antoine Fontaine (scénographie et décors), Renato Bianchi (costumes), Dominique Bruguière (lumières), Atsushi Sakaï (assistant musical), Tami Troman (assistante mise en scène), Sylvie Lombart (assistante costumes)


(© Pierre Grosbois)


Le jeune chef Jérémie Rhorer s’affirme comme un défenseur de premier ordre de l’œuvre de Johann Christian Bach (1735-1782). Après un disque déjà fameux où il accompagne des airs du compositeur allemand chantés par Philippe Jaroussky, le voici donc à la tête de son fidèle Cercle de l’Harmonie pour diriger Amadis de Gaule dans le cadre toujours aussi idyllique de l’Opéra royal du château de Versailles, en attendant de le diriger à l’Opéra Comique au début de l’année 2012.


Lorsque Johann Christian Bach s’y intéresse, l’histoire d’Amadis de Gaule a déjà connu les faveurs de la musique: un roman espagnol datant vraisemblablement du XIIIe siècle a été traduit en français par Nicolas Herberay des Essarts et, fort de son succès, a bénéficié d’une vaste diffusion sur tout le royaume, ayant même été qualifié par la suite de Bible du Roy sous le règne de Henri IV tant le souverain, paraît-il, se passionnait pour les aventures picaresques de ce chevalier. Après le fameux Amadis de Jean-Baptiste Lully (créé en janvier 1684) et le moins connu Amadigi di Gaula de Georg Friedrich Händel (1715) et en attendant par exemple la cantate du compositeur toulousain Henri Büsser Amadis de Gaule (1892), voici donc venu le temps de redécouvrir l’opéra de Johann Christian Bach.


Cet ouvrage fut composé à la demande de l’Académie royale de musique; à cet effet, le fils Bach quitte Londres pour Paris à l’été 1778, en profite pour y rencontrer Mozart qui, pour l’occasion écrit de façon assez perfide à l’égard de nos compatriotes d’alors: «Le maître de chapelle Bach sera bientôt là, je crois qu’il va écrire un opéra, les Français sont et restent des ânes, ils ne sont capables de rien et doivent avoir recours à des étrangers.» (extrait issu de l’irremplaçable ouvrage sur Les Fils Bach écrit par Marc Vignal et publié chez Fayard). La création a finalement lieu le 14 décembre 1779 avec, dans le rôle titre, Joseph Legros (directeur du Concert spirituel), et dans celui de son amoureuse transie Oriane, Rosalie Levasseur , surtout connue à l’époque comme étant l’une des grandes interprètes de Gluck. Pour l’occasion, le livret que Quinault avait conçu pour Lully est réduit de cinq à trois actes par un certain Alphonse Marie Denis de Vismes (ancien officier d’artillerie mais également frère du directeur de l’Opéra); les coupes effectuées sont vilipendées par certains, dont Grimm qui, jamais avare d’une pique, écrit notamment: «il a conservé toutes les situations, pour ainsi dire, toutes les scènes de l’ancien Amadis, et qu’il n’en a supprimé que la liaison et les motifs; réparation fort ingénieuse, comme l’on voit, et qui ressemble beaucoup à l’entreprise d’un homme qui, pour affermir un édifice, se contenterait d’en détruire le faîte et les fondements» (Correspondance littéraire, tome XII, 1877, page 350)! Est-ce la raison pour laquelle l’opéra ne fut représenté que sept fois, un témoignage de l’époque estimant à cet égard que «cet opéra n’eut pas beaucoup de succès bien qu’il ait été payé à l’avance 10.000 fr. à son auteur par l’administration du théâtre». La reprise de cet ouvrage lyrique totalement tombé dans l’oubli, sous la baguette de Jérémie Rhorer et dans une mise en scène signée Marcel Bozonnet, fait donc figure de véritable événement musicologique.


L’histoire est avant tout une histoire d’amour. Arcabonne, déesse commandant les Enfers, est amoureuse d’un jeune héros qui, par le passé, lui a sauvé la vie mais dont elle ignore l’identité; par ailleurs, elle voue une haine féroce à l’encontre d’Amadis qui a tué en duel son propre frère. Poussée à la vengeance par Arcalaüs, son autre frère, elle promet de tuer Amadis. Celui-ci, amoureux d’Oriane qui a été faite prisonnière par Arcalaüs, libère sa bien aimée mais tombe dans un piège ensorcelé tendu par son geôlier. Alors qu’elle s’apprête à le sacrifier, Arcabonne reconnaît en Amadis son sauveur et retient son poignard; sur la demande de ce dernier, elle libère tous les prisonniers retenus dans ses prisons lugubres. Pourtant, poussée par un Arcalaüs plus vengeur que jamais, elle change d’avis et se réjouit par la suite de voir Oriane s’évanouir sur le corps d’Amadis qu’elle croit mort alors qu’il a seulement perdu connaissance. Heureusement, l’apparition de la sage Urgande suffit à balayer les haines, Arcalaüs s’enfuyant tandis qu’Arcabonne se suicide; Amadis et Oriane se réveillent et se promettent, au milieu de la liesse générale, un amour éternel.


Pour Jérémie Rhorer, Johann Christian Bach est «le chaînon manquant entre le baroque finissant et le classicisme naissant»: pourtant, telle n’est pas la première impression que l’on ressent ici. Contrairement à Temistocle, par exemple, qui plonge encore très ouvertement ses racines dans l’univers baroque, Amadis est dès à présent pleinement ancré dans le classicisme de cette seconde moitié du XVIIIe siècle: on n’est plus chez Händel, on est bien chez Gluck, on est plus encore chez Mozart! Dès l’Ouverture (en trois mouvements), on perçoit les accents de certaines symphonies de l’enfant de Salzburg, qu’il s’agisse de la Trente-deuxième ou de la Trente-et-unième dite «Paris», qui, d’ailleurs, n’était autre qu’une commande d’Alphonse Marie Denis de Vismes, le librettiste d’Amadis. Bénéficiant d’une très riche orchestration et d’un ensemble conséquent (outre les cordes et un clavecin en basse continue, la partition requiert hautbois, bassons, flûtes, clarinettes, trompettes par deux, quatre cors, trois trombones et timbales), Le Cercle de l’Harmonie brille de bout en bout sous la baguette toujours aussi alerte (et attentive) de son jeune directeur musical. On soulignera notamment la prestation des deux bassons dans l’air d’Arcabonne «L’amour sur moi lance ses traits» (acte I, scène 2), les trépidations des cordes doublées par les cors qui virevoltent lorsqu’ils accompagnent le duo d’Arcabonne et d’Arcalaüs (toujours à la scène 2 du premier acte) ainsi que la superbe flûte d’Annie Laflamme dans la deuxième gavotte précédant le chœur conclusif du troisième acte. Bénéficiant d’une battue claire et précise, Jérémie Rhorer mène ses musiciens sur des sommets, alternant agréablement moments de profonde douceur et musique éclatante, notamment lorsqu’intervient le tambourin pour la conclusion heureuse de cette histoire.


Si l’orchestre s’implique pleinement dans le spectacle, il en va évidemment de même pour les chanteurs à commencer par l’excellente Allyson McHardy dans le rôle d’Arcabonne. Car, comme d’ailleurs bien d’autres opéras, ce sont les «méchants» qui sont ici les plus intéressants, Amadis étant plutôt pâle. Passant de la plus vive fureur (son premier air à l’acte I, dramatique d’emblée, «Amour! Que veux-tu de moi?») aux sentiments amoureux les plus intenses (à la scène 1 de l’acte III), Allyson McHardy incarne parfaitement ce personnage ambigu qu’on rejette pour sa cruauté, qui nous séduit aussi parfois par ses brusques accès amoureux, qui trahit ses faiblesses divines par ses sentiments tout simplement humains: cruelle seulement en apparence, elle révèle avec une très grande justesse la complexité d’un caractère que la musique de Johann Christian Bach a parfaitement dépeinte. Dans le rôle d’Arcalaüs, un vrai méchant celui-là, Franco Pomponi est également à son aise. Voix puissante, port altier, Franco Pomponi en impose à tous tant physiquement que vocalement dès sa première intervention, «Ah, brisez votre chaîne» (acte I, scène 2). Accompagné de cuivres rutilants, il déclame également un air magnifique, «Dissipons ces vaines alarmes» (acte III, scène 6) qui confirme ses très belles qualités vocales.


Dans le rôle d’Amadis, Philippe Do tient tout à fait sa place, bénéficiant de quelques airs marqués par l’héroïsme (au deuxième acte, «Par pitié, percez-moi le cœur») ou l’amour qu’il exprime à l’égard de sa dulcinée (le grand duo avec Oriane à la scène 7 de l’acte III). Pour autant, outre le fait que sa prononciation est approximative dans quelques passages (à l’acte II par exemple), force est de constater que le personnage d’Amadis est quelque peu falot et ne contribue pas à mettre en valeur la voix de Philippe Do, excellent chanteur par ailleurs. Quant à Hélène Guilmette, elle incarne une très belle Oriane même si son personnage n’intervient surtout qu’au troisième acte. Les autres solistes, à commencer par Julie Fuchs dans son rôle de première Coryphée, sont tous très bons et contribuent à hisser ce spectacle à un excellent niveau. Du point de vue vocal, on ne doit d’ailleurs pas oublier le chœur des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, parfaitement préparés par Olivier Schneebeli, qui, chantant tantôt sur scène tantôt en coulisses, livra notamment au public un très beau chœur des prisonniers au début du deuxième acte, anticipant le futur grand chœur de Beethoven dans Fidelio.


Si Amadis de Gaule fut un aussi bel opéra, cela vient surtout du fait qu’on a eu droit à ce que l’on pourrait appeler un spectacle total. Car cette soirée n’aurait pas été aussi belle s’il n’y avait eu, tout d’abord, ces costumes pleins d’imagination et de couleurs chatoyantes (la robe rouge d’Arcabonne!), dus aux talents de Renato Bianchi et de son assistante Sylvie Lombart, grimant ainsi ces démons en monstres tout en écailles, élytres, carapaces, griffes et même palmes... Les décors, à la fois riches (des toiles de fond représentant au premier acte le château Saint-Ange de Rome, s’enrichissant par la suite de peintures de style pompéien) et sobres (les quelques ruines et rochers au premier acte, la prison au deuxième), offrent suffisamment de place aux chanteurs et danseurs pour évoluer sur scène à leur aise. Car, nouvelle corde à cet arc déjà bien riche, la danse occupe une grande place dans cet opéra, les scènes de ballets étant relativement nombreuses. Les danseurs de la compagnie Les Cavatines, dans une chorégraphie signée Natalie van Parys, ajoutèrent beaucoup de rythme et de grâce à une mise en scène, signée Marcel Bozonnet, qui n’en manquait pourtant pas, évitant les travers ridicules qu’on a pu croiser ici ou là, notamment lorsque les chanteurs ne savent comment se comporter si ce n’est en adoptant des poses statiques parfaitement ridicules.


En conclusion, on ne peut que saluer l’audace du Centre de musique baroque de Versailles et le conforter dans ses choix artistiques courageux, car le succès d’un opéra méconnu de cette époque n’était pas gagné d’avance. On ne peut également qu’espérer que, lorsqu’il sera donné à l’Opéra Comique, ce spectacle soit filmé afin que chacun puisse profiter d’une œuvre sinon essentielle, du moins de tout premier ordre. Signalons enfin l’ouvrage très complet consacré à Amadis de Gaule de Johann Christian Bach sous la direction de Jean Duron (publié chez Mardaga) qui, grâce à des articles signés notamment Marc Vignal, Mathilde Vittu ou Marie-Françoise Bouchon, nous permet de sortir un peu plus de l’ombre l’œuvre d’un des fils les plus doués de Johann Sebastian Bach.


Le site de Philippe Do
Le site d’Allyson McHardy
Le site de Franco Pomponi
Le site de Julie Fuchs
Le site du Cercle de l’Harmonie
Le site de la compagnie Les Cavatines



Sébastien Gauthier

 

 

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