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Revigorant

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
09/28/2000 -  
Eric Stokes : L’Oiseau prophète (d’après Schumann)
Robert Schumann : Concerto pour piano, opus 54
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 9, opus 70

François-René Duchable (piano)
Orchestre national de France, Hugh Wolff (direction)

En 1992, à la demande de Christopher Hogwood et de l’Orchestre de chambre Saint-Paul, le compositeur américain Eric Stokes (1930-1999) a choisi sept pièces parmi les recueils pianistiques (faussement) enfantins de Schumann tels que les Scènes d’enfants, l’Album pour la jeunesse et les Scènes de la forêt. Il les a adaptées et arrangées sous la forme d’une suite pour petit orchestre qui porte le nom de la plus célèbre d’entre elles, l’énigmatique Oiseau prophète. Le résultat est tout à la fois plaisant et surprenant, dans la mesure où les couleurs et les effets spéciaux de cet orchestre acéré et volontiers tintinnabulant (piano, célesta, jeu de timbres, percussion) sont aux antipodes de Schumann. On pense parfois à Casse-Noisette, toujours dans le royaume de l’enfance, mais parfois aussi à la collision des styles que Schönberg, par exemple, avait recherché dans ses orchestrations de concertos de Händel et de Monn.


Dans le Concerto pour piano de Schumann, Duchable joue de façon puissante et athlétique, virtuose et spectaculaire, faisant ressortir les contrastes et dominant sans peine un orchestre vif et élancé. Si elle est idéale dans l’allegro vivace final, cette approche brillante et ludique, parfois presque lisztienne, ne convainc pas toujours dans l’allegro affetuoso initial, d’autant que des préciosités et des ralentis viennent ici ou là brouiller un discours qui se charge ainsi de trop d’intentions. Mais aucune objection ne tient plus lorsque Duchable laisse parler la musique et s’exprimer une main gauche étourdissante de précision. Quant à l’intermezzo central, c’est un magnifique moment de poésie, véritablement grazioso, donnant lieu à un réel dialogue entre le soliste et les musiciens.


Dans un entretien qu’il avait donné au début du mois de juillet dernier à nos confrères d’Aden, Duchable avait paru très désabusé, annonçant qu’il interromprait sa carrière dans trois ans : "Je n'aime pas le cérémonial du concert. Je ressens un refus grandissant de jouer devant des gens. Dans une salle circulaire, c'est déjà mieux ; les salles carrées style Pleyel, c'est une image d'ordre social insupportable; les moments d'extase y sont très rares".


Rien de tel au cours de ce concert et Duchable nous gratifie même de deux bis, qui constituent en même temps une habile transition entre le concerto de Schumann et la symphonie de Chostakovitch, deux œuvres qui n’ont de commun que d’avoir été écrites très exactement à un siècle d’intervalle. D’abord, choix fort judicieux, la version originale de cet Oiseau prophète, précédemment entendu dans son arrangement par Stokes ; dans une vision très personnelle, Duchable dessine avec soin les contours d’un oiseau moqueur et fantasque. Ensuite, l’intermezzo du Carnaval de Vienne pris dans un tempo effréné, rendant justice à la passion débordante de cette pièce, qui se clôt en mi bémol majeur, tonalité de l’œuvre suivante.


De cette Neuvième symphonie de Chostakovitch, Hugh Wolff donne une lecture toujours fidèle, manquant peut-être parfois de mordant, d’ironie et de méchanceté dans les mouvements extrêmes, mais jamais dépourvue d’une sombre énergie et d’une précision tranchante. La netteté des attaques, notamment des cuivres, est toujours servie par un Orchestre national en grande forme. En tout cas, le message passe parfaitement, une spectatrice admirative faisant observer à son voisin après le premier mouvement, fort éloigné des canons du "réalisme socialiste" : "T’imagines la tête de Staline!".


Concert diffusé sur France-Musiques le 12 octobre, à 20 heures.




Simon Corley

 

 

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