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Le souffle du Malin

Paris
Opéra Bastille
09/22/2011 -  et 28 septembre, 1er, 4, 7, 10, 13, 16, 19*, 22, 25 octobre 2011
Charles Gounod : Faust
Roberto Alagna (Faust), Paul Gay (Méphistophélès), Inva Mula (Marguerite), Tassis Christoyannis (Valentin), Angélique Noldus (Siebel), Marie-Ange Todorovitch (Dame Marthe), Alexandre Duhamel (Wagner), Rémy Corazza (Faust II)
Chœur de l’Opéra national de Paris, Patrick Marie Aubert (chef du chœur), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Alain Altinoglu*/Garrett Keast (direction musicale)
Jean-Louis Martinoty (mise en scène), Johan Engels (décors), Yan Tax (costumes), Fabrice Kebbour (lumières)


R. Alagna (© Opéra national de Paris/Charles Duprat)


Les avanies de la nouvelle production commandée à Jean-Louis Martinoty ont été suffisamment commentées (voir ici) pour que l’on s’autorise à ne plus s’y attarder. Après une première scéniquement compromise, puis un accueil mitigé, il est peut être temps de porter un regard apaisé sur le travail réalisé par le metteur en scène français.


La première impression est d’abord une comparaison. La semi-circularité de la bibliothèque borgésienne rappelle la verrière de Lavelli. Les mouvements de foule et les défilés partagent également plus d’une fragrance avec l’illustre prédécesseur. Mais les similitudes ne résultent parfois que du rabot de la mémoire et de la perception. Le rideau de scène donne le ton, sensiblement différent de l’esthétisation parfois consensuelle du metteur en scène argentin. La Faucheuse assise sur un globe, d’après une gravure de Gustave Doré, a des allures de memento mori à la façon des deux volets extérieurs du Jardin des délices de Bosch. La vanité parcourt d’ailleurs l’ensemble du spectacle, dès le «Rien» inaugural de Faust, retranscrit sur des tubules luminescents en forme de crâne, sculpture de Jean-Michel Alberola à la courbure parente d’une arobase, signature du nihilisme de notre contemporanéité communicationnelle. La kermesse du deuxième acte se déroule sous l’égide d’un squelette mordoré, suspendu aux cintres, tandis que la cavatine de Faust, «Salut demeure chaste et pure», s’accompagne d’un solo de violon macabre, parrainé par Chopard. On remarquera également que la scène initiale porte presque en germe les situations à venir: la nature sous cloche s’étendra aux dimensions du jardin de Dame Marthe, dans l’extase amoureuse qui la perdra.


La caractérisation détaillée des personnages et des situations ne fait pas défaut. Le veau d’or, toujours debout – et plus que jamais – fait pleuvoir une giboulée de dollars. Les défilés font se succéder Polytechnique – Siebel est l’un des leurs, avec son allure de scout pas encore déniaisé par les choses de l’amour – Saint-Cyr, la Légion Etrangère, des miss Beaux-Arts ou Belles-Lettres d’entre lesquelles on élit la plus belle. Les couleurs du drapeau français sont interverties, rouge, bleu et blanc dans la procession «Gloire immortelle de nos aïeux», accentuant une sorte de dé-géo localisation, et l’intemporalité du visuel – poursuivant l’entreprise de Lavelli de sortir Faust de ses accoutrements moyenâgeux, tout en éclairant la gloire patriotique de sa cruauté ironique lorsqu’on remet les décorations aux estropiés de guerre. Méphistophélès revêt la pourpre d’un cardinal dans l’église, et chargé de tiare et autres camées ecclésiastiques, jette l’anathème sur Marguerite, fille-mère, la poussant ainsi à l’infanticide, ce que la scénographie a le mérite de montrer sans ambages. La pauvre enfant refuse le salut du diable et monte à l’échafaud. La lame de la guillotine ayant été émoussée pour éviter des accidents, on a remplacé la risible chute de la tête en bois de la suppliciée par une immobilisation à genoux devant son châtiment terrestre, viatique pour le rachat de son âme. Valentin se cache sous la bure inquisitoriale du bourreau. L’innocence de la jeune fille, soulignée par sa condition de lavandière sans doute illettrée, abusée par la mâle morale dominante et la labilité des scrupules du héros, est ici mise en évidente avec une clarté d’autant plus louable que cet aspect de l’ouvrage est souvent relégué au second plan.


Cette profusion iconographique, par laquelle Martinoty semble régler ses comptes à la pruderie catholique de Gounod, affaiblit l’irradiation du rôle-titre. L’artéfact consistant à faire mimer le vieux Faust par l’émérite Rémy Corazza (à qui sont confiées seulement deux répliques), avant que sa réincarnation rajeunie ne sorte de la bulle, sert surtout à ne pas reproduire les surcharges de rides dont on affuble généralement l’interprète, avec une efficacité narcissique indéniable lorsque le vieux docteur s’exclame «O merveille» à l’apparition de son alter ego juvénile. Roberto Alagna, pour qui les foules s’étaient massées devant les guichets de la Grande Boutique, manifeste encore la lumière du timbre qui l’a fait aimer. Sa complainte au premier acte souffre d’aigus parfois un rien débraillés, mais la grande scène à l’acte III révèle la plénitude encore inentamée des moyens du ténor français. Inva Mula imprime à Marguerite une sensibilité naïve et émouvante, qui fait regretter une ouverture un peu excessive des voyelles, accentuant inutilement le dramatisme de l’incarnation. La ballade du roi de Thulé touche par son mélange de piété et de rêverie suscitée par l’émoi amoureux, caractérisant les parenthèses entre les couplets où Marguerite confie son trouble à ses compagnes. La virtuosité de l’air des bijoux pourrait être un peu moins raide. La chanson du rouet traduit avec justesse l’attente et la déception du personnage.


Considérablement développé par rapport à l’original goethéen, le personnage de Valentin profite de l’aura de Tassis Christoyannis. La ligne pourrait être plus onctueuse par endroits, mais la moralité un peu revêche du soldat transpire efficacement dans cette vocalité bien assurée. Angélique Noldus campe un Siebel très adolescent, un peu fade, sans défaut ni séduction mémorables. Très sollicitée pour les mezzos de caractère un peu assombris par les ans, Marie-Ange Todorovitch fait le nécessaire dans Dame Marthe. Alexandre Duhamel convainc suffisamment en Wagner. Mais le grand rôle de la soirée revient incontestablement à Méphistophélès, dont l’importance est rehaussée par la scénographie. Paul Gay se laisse piéger par la tessiture un peu basse du premier acte, le contraignant à noircir l’émission, ce qui altère un peu la projection, et exagère la solennité. L’imprécation de l’acte IV et la Nuit de Walpurgis favorisent davantage l’impact d’un matériau vocal solide.


Si l’on peut saluer l’honnêteté de la diction du plateau, on ne saurait passer sous silence la performance d’Alain Altinoglu, lequel semble plus à l’aise au fil des représentations, minimisant les décalages résiduels. Les chœurs très présents, remplissent leur office musical, toujours sous la bienveillance de Patrick-Marie Aubert.



Gilles Charlassier

 

 

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