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La vertu maltraitée et le théâtre victorieux

Dijon
Opéra
10/08/2011 -  et 11, 13 octobre 2011
Georg Friedrich Haendel : Agrippina, HWV 6

Alexandre Coku (Agrippina), Renata Pokupic (Nerone), Sonya Yoncheva (Poppea), Tim Mead (Ottone), Alastair Miles (Claudio), Riccardo Novaro (Pallante), Pascal Bertin (Narciso), Jean-Gabriel Saint-Martin (Lesbo), Cyril Casmèze (La Bête), Arnaud Perron (L’Eunuque), Pierre Hiessler (Le Page)
Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm (direction musicale)
Jean-Yves Ruf (mise en scène), Laure Pichat (scénographie), Claudia Jenatsch (costumes), Christian Dubet (lumières)


(© Gilles Abegg)


Il ne faut pas se fier aux apparences. Sous ses dehors de ville de province et d’histoire, Dijon maltraite la vertu. En ouvrant la saison avec Agrippina, la maison bourguignonne propose un miroir ironique à nos mœurs politiques, exacerbées par l’échéancier électoral. Le livret de Vincenzo Grimani, à la verve ironique, narre les manipulations de la mère de Néron pour ceindre le front de son fils des lauriers impériaux.


Afin de rendre plus visible la complexité du personnage éponyme, et sa soif inextinguible de pouvoir, Jean-Yves Ruf a choisi de l’affubler d’un comédien caninisé, sous les traits de Cyril Casmèze. Au lever de rideau, il se fait le Mercure zélé de l’annonce de la mort de Claudio, postée dans sa gueule, afin de la transmettre à sa maîtresse. Les grognements expriment la jouissance de la domination, privilégiant la signification théâtrale. Agrippina est de fait le point de convergence du travail du metteur en scène, en accord avec la construction dramatique de l’opéra. Claudia Jenatsch lui a réservé une garde-robe soulignant son évolution psychologique, du blanc de la sérénité souveraine au noir de la volonté calculatrice.


Alexandra Coku en livre une incarnation expressive, bien haute en couleur. L’aria «Tu ben degno» révèle la duplicité de l’héroïne, assurant Ottone de son mérite, alors que son for intérieur écume de colère. Le soprano américain accentue le contraste entre la façade et le sentiment. On pourrait préférer un bel canto plus élégant, plus vraisemblable face à son interlocuteur. Le choix de l’extraversion a l’avantage de mettre en avant la fonction musicale de l’aria – l’exposition des affects du personnage, en rupture avec la continuité théâtrale assumée par le récitatif – autant que l’intelligence des ornementations, art dans lequel Alexandra Coku brille dans les da capo. L’astringence de certaines couleurs vocales campe immédiatement le caractère, et lui donne une épaisseur identifiable. Le Claudio d’Alastair Miles lui donne la réplique dans un esprit similaire. On retiendra la truculence de «Cade il mondo», parodie de puissance impériale, réutilisant le matériel de l’aria de Lucifero, «Caddi è ver», de La rezurrezione, où la basse anglaise agite un sceptre à la manière d’une meneuse de revue. Bien que vaillants, les graves subissent parfois des invasions nébuleuses, configurés dans une nasalité impactée.


Avec Sonya Yoncheva, Poppea se revêt d’atours séduisants, dénudant sa cuisse en signe de promesse de chair à Nerone ou à Claudio, ou en noire guêpière sur le lit avec Ottone. La tessiture et les aigus sémillants irradient le plateau. Elle sait modérer la vélocité dans le «Se giunge un dispetto» afin de garder des réserves pour le da capo. La nervosité sapide de sa musicalité met en évidence l’amollissement mélancolique d’Ottone, victime de sa loyauté, croissant à partir du deuxième acte, et que Tim Meads exprime avec une sincérité confondante. Si la virtuosité ne se laisse pas prendre en défaut, ce sont bien les pages de déploration, d’une beauté bouleversante à l’instar de «Voi che udite il moi lamento», avec hautbois obligé, qui lui siéent le mieux. Nerone est, dans l’opéra de Haendel, encore un adolescent, ce que Renata Pokupic fait ressortir. La solidité des moyens du mezzo croate ne peut toutefois pallier la relative pâleur du personnage, résumée dans une impétuosité juvénile. Riccardo Novaro démontre une présence relative en Pallante, tandis que Pascal Bertin s’avère inégal dans Narciso, au timbre ça et là un peu ingrat, mettant en valeur la tenue admirable du Lesbos de Jean-Gabriel Saint-Martin.


Emmanuelle Haïm, à la tête de son Concert d’Astrée, a également pris le parti du théâtre. Les textures sonnent avec une robustesse qui relèguent le végétarisme prôné par certains au rang de préciosité. Ce que l’on perd parfois en limpidité et en chatoiement des pupitres est compensé par l’imagination de la musicienne française, s’autorisant des libertés de tempi au bénéfice de l’effet dramatique. C’est sur ce même autel que la découpe des trois actes connaît une altération. Profitant de la puissance novatrice du «Pensieri, voi mi tormentate», premier avatar des grandes scènes haendéliennes, anticipant Alcina, l’équipe scénographique a choisi de faire tomber le rideau du deuxième acte sur la quatorzième scène. Si la cohérence de cette option ne saurait être négligée, la réapparition d’un rouge identique dans le fond de scène à l’aria refermant le deuxième acte, «Ogni vento» – évoquant la luciférianité des manipulations d’Agrippina – semble trahir l’intuition de la construction originelle. L’acte II est celui d’Agrippina, autant que le III met en avant les manigances de Poppea. La raison musicale est généralement la meilleure.


Le site de l’Opéra de Dijon



Gilles Charlassier

 

 

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