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Janácek revient à Salzbourg

Salzburg
Grosses Festspielhaus
08/11/2011 -  et 12, 18, 25, 30 août 2011
Leos Janácek : Vec Makropulos
Angela Denoke (Emilia Marty), Raymond Very (Albert Gregor), Peter Hoare (Vitek), Jurgita Adamonyté (Krista), Johan Reuter (Prus), Ales Briscein (Janek), Jochen Schmeckenbecher (Kolenatý), Linda Ormiston (la Femme de ménage), Peter Lobert (Un machiniste), Ryland Davies (Hauk-Sendorf)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Wiener Philharmoniker, Esa-Pekka Salonen (direction)
Christoph Marthaler (mise en scène)


A. Denoke, R. Very, A. Briscein (© Walter Mair)


Salzbourg n’oublie pas Mozart : la trilogie Da Ponte y est, cette année, donnée intégralement, après avoir été revue et corrigée par Claus Guth, qui veut en souligner la profonde unité (voir ici). C’était l’occasion ou jamais : Alexander Pereira a annoncé qu’il ne ferait pas de reprise. En attendant son arrivée l’année prochaine, Jürgen Flimm étant parti un an avant le terme de son contrat, Markus Hinterhäuser assure l’intérim pour la cuvée 2011. Mais ce pianiste connu, directeur des concerts au festival à partir de 2006, n’a pas à rougir du programme : Riccardo Muti et Peter Stein proposent Macbeth, disparu de l’affiche après 1964, Christian Thielemann et Christoph Loy ressuscitent La Femme sans ombre, jamais donnée depuis 1992, Esa-Pekka Salonen et Christoph Marthaler s’occupent de L’Affaire Makropoulos, Ivor Bolton, en concert, révèle Iolanta, couplée au Rossignol - dirigé par Pinchas Steinberg en 1994. Un programme auquel l’intendant a imprimé sa marque : seuls Mozart et Strauss viennent de Jürgen Flimm. Voilà qui n’est pas mal. De là à dire que le public en profitera pour méditer sur la phrase de Luigi Nono servant de fil conducteur au festival cette année…. « Eveiller l’oreille, les yeux, la pensée humaine », rien que cela ! Le syndrome Mortier, en quelque sorte. Encore faut-il, pour aiguiser sa réflexion, mettre la main au porte-monnaie : la première place coûte 370 euros pour Mozart, Strauss et Verdi, 330 pour Janacek et 300 pour Stravinski/Tchaïkovski – cela dit, Aix et Orange… Quoi qu’il en soit, le programme continue à témoigner à la fois d’une continuité et d’une rupture. Mozart préserve l’esprit du festival des origines, Strauss aussi – surtout dirigé par Thielemann, qui se réclame de la grande tradition et, pour La Femme sans ombre, succède, plus qu’au Georg Solti de 1992, au Karl Böhm de 1974, un des chefs phares de l’ère Karajan. La rupture, à vrai dire, est aussi une continuité : Gérard Mortier avait créé l’événement en introduisant – entre autres – Janácek à Salzbourg, confiant, dès son arrivée en 1992, La Maison des morts à Claudio Abbado et Klaus Michael Grüber. Il avait en effet invité des metteurs en scène qu’on ne risquait pas de voir du temps de son prédécesseur – une partie du public ne s’en remit pas, mais une autre la remplaça. Comme Christoph Marthaler, dont la Kátia Kabanová, devenue ensuite un classique, secoua les esprits en 1998. Ainsi Thielemann le conservateur s’associe-t-il aujourd’hui à l’iconoclaste Christoph Loy. En version de concert, Iolanta, elle, ne risque pas de choquer – dommage, l’histoire de la fille aveugle du Roi René a tout pour séduire un metteur en scène audacieux –, mais elle attire tout le monde grâce à Anna Netrebko, la reine du festival depuis un moment maintenant… et elle montre que l’institution nonagénaire continue de s’ouvrir à des répertoires peu fréquentés.


Pour L’Affaire Makropoulos, Christoph Marthaler semble oublier l’Allemagne de l’Est, nous offrant une lecture assez forte, un peu froide de l’histoire : il ne renouvelle pas tout à fait la réussite de sa Kátia Kabanová. Lecture sans illusion, en tout cas, dont la fin reste ambiguë : l’héroïne a-t-elle vraiment trouvé la paix intérieure, découvert le prix de la vie ? Les hommes qu’elle a fascinés sont pris de tremblements parkinsoniens, implacable symptôme d’une vieillesse annoncée, où il faudra recourir à ces déambulateurs vous aidant à marcher dans les maisons de retraite. Si elle reste star, Emilia Marty, démythifiée, perd de son aura et de son mystère, ni la diva imaginée par Nikolaus Lehnhoff pour Anja Silja, inoubliable dans son costume de paon, ni la vamp hollywoodienne conçue par Krzysztof Warlikowski. Elle ressemble parfois à Lulu – cette façon narcissique de montrer ses jambes – et paraît lointaine, irrémédiablement seule, comme déjà morte avant de mourir, n’existant peut-être que par la grâce du fantasme des hommes – souvent exposée sur un podium comme Lulu dans sa cage. Pas de loge de diva d’ailleurs : décor unique de tribunal – après leur pitoyable étreinte, Prus et Emilia surgiront de dessous une table. Le metteur en scène de théâtre reparaît aussi : entre les actes, il arrive que les personnages se figent, répètent mécaniquement des gestes – un machiniste ne cesse d’offrir des fleurs à une dame âgée, écho de celles dont on couvre la Marty, et de la raccompagner. Avant que l’opéra commence, une jeune et une vieille femme échangent sans parler – le texte est donné à lire - leurs avis sur la durée idéale de la vie. La dérision grinçante côtoie le tragique.


Superbe Philharmonie de Vienne, mais qui ne semble pas en phase avec Esa-Pekka Salonen comme elle l’est avec Christian Thielemann dans La Femme sans ombre : le chef et les musiciens se cherchent un peu eux-mêmes, cherchent aussi les couleurs de Janácek. On n’en admire pas moins la clarté de la lecture, qui réserve de grands moments : introduction orchestrale de l’opéra, portée par une urgence rythmique à la Stravinsky, scène finale, d’un lyrisme intense et grandiose, passages où les sonorités s’encanaillent pour souligner le comique. Déjà Kátia pour Marthaler, puis Emilia Marty pour Warlikowski, Angela Denoke s’identifie sans peine à l’héroïne de Janácek, vêtue d’une robe ressemblant à une toile de Mondrian : d’une voix peu amène elle fait encore une fois un atout, poussée ici dans ses derniers retranchements, techniquement assez solide pour trouver, à défaut de couleurs, un éventail de nuances adapté à toutes les facettes de la diva. Une excellente distribution l’entoure : Gregor éperdu de Raymond Very, à l’aigu infaillible, Prus au timbre superbe de Johan Reuter, Janek émouvant d’Ales Briscein, entendu dans La Fiancée vendue à Garnier, Krista juvénile de Jurvita Adamonyté, Femme de ménage pittoresque de Linda Ormiston – Ryland Davies, lui, ressort son impayable Hauk-Sendorf de Glyndebourne. Une belle contribution, triomphalement accueillie, à la qualité du millésime 2011.



Didier van Moere

 

 

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