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Un grand maître hongrois

Montignac
Saint-Léon-sur-Vézère (Eglise)
08/11/2011 -  
Ludwig van Beethoven: Sonate pour piano n° 14 «Quasi una fantasia», opus 27 n° 2
Frédéric Chopin: Sonate pour piano n° 3, opus 58
Zoltán Kodály: Marosszéki táncok
Franz Liszt: Consolation n° 3 – Réminiscences de «Norma»

Tamás Vásáry (piano)




Achevant sa troisième décennie d’existence, le festival du Périgord noir, dans une région riche en manifestations musicales à cette saison, tire bien son épingle du jeu: grâce à son président, Jean-Luc Soulé, et à sa directrice artistique, Véronique Iaciu, la musicalité le dispute au prestige, avec, entre autres, Giovanni Bellucci, Henri Demarquette, Shani Diluka, Adam Laloum, Dmitry Sitkovetsky, Kenneth Weiss et le Quatuor Voce. Année Liszt oblige, la vingt-neuvième édition s’intitule «Harmonies du soir». Débutant sur un spectacle «Franz et Marie [d’Agoult]» (incarnés respectivement par Alain Carré et Emmanuelle Gaume), elle se poursuit jusqu’au 9 octobre sous des formes très diversifiées: concerts dans les villes et villages de la «vallée de l’homme» (celle des sites préhistoriques, dont le plus célèbre n’est autre que Lascaux) jusqu’au 20 août, incluant une soirée jazz avec de jeunes musiciens; «festival off» les 15 et 16 août (avec des lauréats du CRR de Bordeaux, «le cinéma de Karol Beffa», un jazz band, une «randonnée pédestre musicale» et un «atelier goûter» autour de Chopin); «semaine de l’orgue à Sarlat» (à entrée libre), parallèlement à une «académie d’orgue», du 5 au 9 septembre (avec notamment Michel Bouvard et Eric Lebrun); concerts en marge du dixième «salon de littérature jeunesse» (7 octobre) et, en clôture, des stagiaires du millésime 2010 de l’académie de musique ancienne (9 octobre). Celle de 2011 est également confiée à la direction musicale de Michel Laplénie, assisté de Simon Heyerick pour les cordes et Yvon Repérant pour les voix et le continuo, qui, pendant dix jours, font travailler Charpentier et Purcell à une trentaine de chanteurs et instrumentistes.


La petite église (XIIe) de Saint-Léon-sur-Vézère, dans une «cingle» (boucle) de la rivière, adorable avec son abside et des deux absidioles, accueille Tamás Vásáry. Sa venue fait figure d’événement, avec toutefois une petite dose d’appréhension, un peu comme quand on ouvre un vieux bordeaux ou, en l’espèce, un grand tokay: se sera-t-il bonifié ou a-t-on trop attendu pour en profiter? Car s’il vient certes de se produire à l’UNESCO avec son «Orchestre mondial des jeunes Zoltán Kodály» le 29 juillet dernier, bien discrètement au cœur de l’été parisien, le pianiste hongrois, faute d’avoir été régulièrement invité en France depuis une bonne vingtaine d’années, ne peut que rappeler des souvenirs, certes excellents mais assez anciens: celui de ses débuts brillants avant même l’émigration en Suisse en 1956 (septième prix au concours Long-Thibaud en 1955, sixième prix au concours Reine Elisabeth en 1956), celui de ses disques pour Deutsche Grammophon (Chopin, Liszt, Rachmaninov, Debussy, ...) et celui de ses activités de chef au Northern Sinfonia de Newcastle (1979-1982), au Bournemouth Sinfonietta (1989-1997) puis à l’Orchestre symphonique de la Radio hongroise (1993-2004).


Est-ce l’effet de ses trois heures de yoga quotidiennes? S’il célèbre le jour même ses soixante-dix-huit ans, il en paraît sans peine dix de moins – et même trente lorsqu’il se met au clavier, visage lisse, impassible et concentré. Mais avant de consentir à offrir un aperçu de son art, il s’adresse longuement au public, expliquant qu’à ses yeux, la musique est plus difficile que d’autres arts car elle ne peut exister sans la mémoire et qu’elle est abstraite, mais qu’elle a l’immense pouvoir de faire oublier la tristesse. Son aisance en français est remarquable et son propos amplement fleuri, mais la compréhension en est rendue malaisée à la fois par un fort accent, par un micro qu’il tient généralement trop éloigné de ses lèvres et par le fait qu’une église n’est pas le lieu le plus approprié pour ce genre de causeries à bâtons rompus. De telle sorte qu’au bout de quelques minutes, certains spectateurs commencent visiblement à trouver longuet ce fourre-tout un peu décousu et se demandent s’il plaisantait vraiment lorsqu’il est monté sur scène en disant qu’il n’allait pas jouer mais seulement parler...


Pour un interprète, le meilleur plaidoyer qui soit en faveur de la musique, c’est décidément bien d’en faire plutôt que d’en parler. Ainsi de la Quatorzième Sonate (1801) de Beethoven, qu’il débute sans attendre que les applaudissements saluant son allocution se soient tus: c’est presque la pleine lune et la Vézère possède bien autant de charme que le lac des Quatre-Cantons qui aurait inspiré le surnom – apocryphe – de l’œuvre, «Clair de lune», mais il fait oublier toute cette imagerie commerciale pour bien mettre en valeur son véritable sous-titre, «Quasi una fantasia». Enchaînant comme il se doit les trois mouvements sans interruption, il en exalte la liberté, dès l’Adagio sostenuto, où il fait prédominer le chant de la main droite avec un fort rubato, mais aussi dans le Presto agitato final (sans sa reprise), d’une virtuosité torrentielle et vertigineuse qui passe – souvent – ou casse – parfois. Si l’acoustique est assez typique d’un édifice religieux, les sons ayant tendance à tournoyer dès que le tempo s’accélère ou que le niveau de décibels augmente, elle n’en permet pas moins d’apprécier un sens aigu de la couleur et une belle variété de toucher.


Après un faux départ dû aux sifflements du micro resté ouvert au pied du piano, il attaque la Troisième Sonate (1844) de Chopin: selon lui, l’Allegro maestoso initial annonce déjà Wagner, mais davantage que les chromatismes de la «musique de l’avenir», ce sont les tempêtes du Vaisseau fantôme qu’il donne à y entendre. Il aborde cette sonate, comme la «Clair de lune», tout d’une pièce et d’un seul élan, omettant la reprise du premier mouvement et créant des ruptures dramatiques en passant ici aussi d’un mouvement à l’autre sans interruption. Mais derrière cette façade unitaire, il privilégie, comme dans Beethoven, la fantaisie et le caractère rhapsodique, faisant sans cesse vivre le texte: dans cet esprit, le Largo avance rapidement, mais sans hâte, sans brusquer le chant, d’une parfaite fluidité. Comment ne pas adhérer à ce Chopin tout sauf maniéré, partant en fusées dans le Presto, non tanto conclusif, où Vásáry convainc qu’il a mille fois raisons de prendre des risques? Ce n’est que la fin de la première partie, mais il n’en offre pas moins déjà un bis, la Deuxième (1827) des quatre Mazurkas de l’Opus 68 – celle-là même que Hoffnung avait adaptée pour quatre tubas... mais on en est bien loin ici, car il ne perd jamais de vue l’essence dansante de cette musique.


Facétieux, il fait mine de se réinstaller et de poursuivre, mais pour s’accorder quand même finalement le traditionnel entracte. Toute la seconde partie est consacrée à sa Hongrie natale et il évoque d’abord la personnalité de celui dont il fut l’assistant, Kodály, dont il loue, anecdotes à l’appui, l’exceptionnelle combinaison de qualités physiques, mentales et spirituelles. C’est généralement dans l’orchestration qu’en réalisa trois ans plus tard le compositeur que sont jouées les Danses de Marosszék (1927) – Vásáry les a d’ailleurs dirigées à Paris deux semaines plus tôt. D’une difficulté redoutable qui ne semble guère l’émouvoir, la version originale pour piano seul vaut la peine d’être découverte, car si elle ne bénéficie certes pas des talents d’orchestrateur de Kodály, elle révèle une intéressante parenté avec Bartók, celui de la Suite de danses (qu’il réduisit d’ailleurs lui-même pour piano).


C’est ensuite Liszt, bien sûr, avec la Troisième des six Consolations (1850), dont il montre la filiation avec le Second des Nocturne de l’Opus 27 (1835) de Chopin, dans la même tonalité de bémol, frappante dans les premières mesures, au point qu’il affirme les avoir confondus lors de son premier récital à la Tonhalle de Zurich... Poésie, légèreté, cet instant de rêve laisse place aux Réminiscences de «Norma» (1843): s’il ne se refuse pas à la virtuosité, il ne se contente pas de ses agréments à bon marché, bien moins cabotin que dans sa petite séance préalable de remerciements au public et au président du festival.


Trois bis viennent combler les attentes de l’auditoire: le Nocturne en ré bémol de Chopin, fort logiquement, puis la Paraphrase de concert sur «Rigoletto» (1859) de Liszt, où sans aucune pusillanimité, quitte à ce que la mécanique digitale se bloque ici ou là, il conserve néanmoins une haute tenue interprétative. Malgré un «Au revoir!», il revient pour accorder le dernier mot à Chopin, avec l’incontournable Nocturne en ut dièse mineur (1830), à vive allure, mais sans précipitation.


Une grande soirée à mettre au crédit de la sagacité et de la ténacité du festival du Périgord noir et au débit du manque d’imagination des autres organisateurs de concerts en France, un pays où l’on semble décidément préférer attendre que les pianistes atteignent un âge respectable pour les fêter comme ils le méritent.


Le site du festival du Périgord noir
Le festival du Périgord noir en dix questions



Simon Corley

 

 

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