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L’âge de raison

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
06/15/2011 -  et 17, 19, 21, 22* juin (Paris), 9 juillet (Beaune) 2011
Wolfgang Amadeus Mozart : Idomeneo, Rè di Creta, K. 366

Richard Croft (Idomeneo), Sophie Karthäuser (Ilia), Kate Lindsey (Idamante), Alexandra Coku (Elettra), Paolo Fanale (Arbace), Nigel Robson (Le Grand Prêtre), Nahuel di Pierro (La Voix de Neptune), Julia Wischniewski, Caroline Marçot (Deux Crétoises), David Lefort, Cyrille Gautreau (Deux prisonniers troyens), Elisabeth Baranes, Eva Baranes, Elisa Bergomi, Rafael Becchere, Antoine-Aurèle Cohen-Perrot (enfants figurants)
Chœur les Eléments, Joël Suhubiette (direction), Le Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rhorer (direction)
Stéphane Braunschweig (mise en scène et scénographie), Thibault Vancraenenbroeck (costumes), Marion Hewlett (lumières)


(© Alvaro Yanez)


Qui a dit qu’Idoménée (1781) ne bénéficiait d’aucune notoriété? A voir les programmations de ces dernières années, et notamment sur les scènes parisiennes, le démenti est formel. Que ce soit, sous les ors de l’Opéra Garnier, en mars 2009, la version donnée sous la direction de Thomas Hengelbrock, elle-même reprise d’une production jouée en décembre 2006, ou celle, plus récente, donnée en janvier 2010 sous la direction de Philippe Hui (remplaçant in extremis Emmanuelle Haïm), que ce soit en version scénique salle Pleyel sous la direction alerte de René Jacobs en novembre 2008 ou sous celle, non moins séduisante, de William Christie en septembre 206, Idoménée fait incontestablement partie des grands opéras de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) à la scène. Ce soir, nouvelle approche, il s’agissait de la dernière représentation parisienne d’une série donnée au Théâtre des Champs-Elysées sous la direction de Jérémie Rhorer.


D’emblée, c’est d’ailleurs le jeune chef et son flamboyant Cercle de l’Harmonie qu’il convient de saluer. Certes, leur fréquentation de l’œuvre est ancienne, puisque c’est avec elle qu’ils ont faits des débuts triomphaux lors du Festival de musique baroque de Beaune en 2006. En outre, Jérémie Rhorer a de nouveau dirigé cet opéra au printemps 2010 à la tête d’un autre ensemble, l’Orchestre symphonique de la Monnaie, et d’une autre équipe de chanteurs, à ceci près que Sophie Karthäuser y tenait déjà le rôle d’Ilia. Leur connaissance de la partition est donc indéniable, et cela s’entend. Même si les bois éprouvent parfois une petite difficulté (les hautbois jouent trop souvent faux), on se laisse immédiatement emporter par la vivacité du rythme (quelle Ouverture!), par une approche qui privilégie constamment le mouvement sur le drame et laisse ainsi entendre de superbes moments parmi lesquels, notamment, les cors éclatants du chœur «Godiam la pace» (au premier acte) ou une petite harmonie veloutée lors de l’air célèbre d’Ilia «Se il padre perdei» (acte II, scène 2). Jérémie Rhorer, à trente-huit ans, confirme ses talents de mozartien accompli qui lui ont d’ailleurs récemment ouvert les prestigieuses portes de l’Opéra de Vienne où il a dirigé les Philharmoniker dans Così fan tutte. Soulignons également l’excellence du chœur Les Eléments, préparé avec soin par Joël Suhubiette, qui distille un souffle magnifique à chacune de ses interventions («Qual nuovo terrore» au deuxième acte) même si celles-ci peuvent parfois friser le contresens, relevant en quelques occasions davantage de la musique religieuse que de la musique opératique (ainsi, le chœur «O voto tremendo!» lorsqu’ils déplorent que le sacrifice d’Idamante soit la seule solution proposée par Idoménée pour satisfaire la colère du dieu Neptune et préserver ainsi son peuple).


Car, une fois encore, l’action, basée sur un livret de Giambattista Varesco (abbé italien né en 1735 et mort en 1805), mêle amour et pouvoir, lutte entre humains et dieux sur un fond historique et légendaire à la fois. Ilia, princesse troyenne vivant à la cour du roi de Crète Idoménée, aime le fils de celui-ci, Idamante, également aimé de la belle Electre. C’est dans ce contexte qu’Arbace, conseiller du souverain, annonce que la flotte de celui-ci a sombré et que le roi est mort. En vérité, le dieu Neptune a accepté de sauver Idoménée à condition de lui sacrifier le premier être humain qu’il rencontrera sur terre: le hasard veut que ce soit Idamante, donc son propre fils! En proie à de terribles tourments, Idoménée a alors l’idée de renvoyer Idamante en Grèce, à Argos, où il pourrait mettre Electre sur le trône anciennement occupé par son père. Furieux de cette tentative de manœuvre dilatoire, Neptune déclenche alors une terrible tempête et lance un monstre contre les insurgés. Idamante accepte de l’affronter, après qu’Ilia et lui-même se sont enfin avoué leur amour; alors qu’Idoménée, sur la requête du Grand Prêtre, donne au peuple le nom d’Idamante comme étant celui dont les dieux réclament le sacrifice, celui-ci revient, triomphal, vainqueur de la créature divine. Moment tragique par excellence, Idoménée s’apprête néanmoins à sacrifier Idamante, car tel est le souhait divin, mais Ilia propose d’être tuée à sa place, pour sauver celui qu’elle aime et accepter sa condition de troyenne, c’est-à-dire en principe d’ennemie des Crétois. C’est alors que Neptune intervient, intimant l’ordre à Idoménée d’abdiquer en faveur d’Idamante, qui règnera désormais sur la Grèce au bras d’Ilia, ce qui provoque évidemment la fuite d’Electre, furieuse. Bien que l’histoire soit complexe, Mozart, qui a alors vingt-cinq ans, laisse ici pleinement éclater son talent dans le domaine de l’opéra où, même s’il avait déjà composé Lucio Silla (1772) et La finta giardiniera (1775), il n’avait encore rien donné de véritablement majeur. La partition est ciselée, imaginative et, surtout, il donne à la voix des moments d’une puissance dramatique tout à fait exceptionnelle.


A cet égard, l’équipe réunie pour ces représentations est d’une extraordinaire qualité. Richard Croft, grand connaisseur du rôle titre pour l’avoir notamment chanté sous la direction de Marc Minkowski à l’été 2009 au festival d’Aix-en-Provence, est excellent: technique sûre, prestance réelle, sachant émouvoir par un chant subtil de bout en bout (le fameux «Fuor del mar ho un mar in seno» à l’acte II). Mais, ce sont surtout les deux principaux rôles féminins qui marquent cette production. Là aussi, l’ayant déjà chanté à maintes reprises, notamment lors de la production aixoise de 2009, Sophie Karthäuser incarne une très belle Ilia même si le personnage apparaît parfois falot, voire un peu trop ingénu. Sa voix colorée fait merveille dès l’aria «Padre, germani, addio!» (acte I, scène 1), masquant derrière une technique infaillible une facilité d’émission déconcertante, propre à distiller la moindre finesse de la partition (l’air «Zeffiretti lusinghieri» au début de l’acte III). Face à elle, Kate Lindsey aborde avec panache le rôle d’Idamante, véritable héros et indéniable personnage pivot de l’opéra. Que ce soit au premier acte, en soliste, (l’air «Non ho colpa, e mi condanni» à la scène 2), ou dans le cadre des duos ou ensembles de l’œuvre («Andrò ramingo e solo», acte III, scène 3), elle s’avère pleinement convaincante, notamment dans le registre medium où sa voix gagne immédiatement en chaleur et en volume. Tel n’est pas tout à fait le cas d’Alexandra Coku qui, dans le rôle d’Electre, chante parfois de manière très convaincante (par exemple dans l’air «Idol mio se ritroso» à la scène 4 de l’acte II), mais qui fait également montre de certaines difficultés, notamment dans les aigus: cette faiblesse est évidente dans son grand air à la scène 10 de l’acte III («Oreste, d’Aiace Ho in seno i tormenti»). Si Paolo Fanale incarne un honnête Arbace sans convaincre véritablement, poussant trop souvent ses aigus et manquant de présence sur scène, c’est surtout Nigel Robson (le Grand Prêtre) qui s’avère en deçà des exigences du rôle, son timbre voilé illustrant une voix fatiguée qui ne peut pas chanter ce rôle.


Si les chanteurs incarnent donc leur rôle, en général, avec dextérité, force est de constater que la mise en scène de Stéphane Braunschweig ne leur est d’aucun secours et serait même de nature à les handicaper. Aux premier et deuxième actes, dans un décor tout en bois qui évoque au choix la coque d’un navire (la Crète est géographiquement une île et, historiquement, une patrie de marins), des cornes de taureau stylisées (la Crète est, du point de vue légendaire, la patrie du Minotaure) ou une immense rampe de skate-board (il est probable que la Crète connaisse aujourd’hui des amateurs de ce sport...), les chanteurs évoluent en effet avec beaucoup de maladresse. Il en ira de même au troisième acte où l’attention portée sur les panneaux de bois sera reléguée au profit d’une immense rampe rouge conduisant à une sphère blanche peut-être censée symboliser le néant. En tout état de cause, tout au long de l’opéra, il faut bien avouer que la «mise en scène» de Stéphane Braunschweig est minimaliste, pour ne pas dire inexistante, son principal souci semblant être de faire en sorte que chaque chanteur se trouve bien au milieu de la scène, à une parfaite équidistance de chaque mur de la scène du théâtre, pour déclamer son air. D’où le fait que, lorsqu’ils ne chantent pas, les protagonistes adoptent des attitudes totalement figées qui doivent leur sembler aussi longues qu’au public. Et que dire lorsqu’ils évoluent sur scène? Pas grand-chose si ce n’est que la multiplication des poses et attitudes étranges (Electre qui se veut sensuelle en caressant et jouant avec un imperméable noir, Neptune qui apparaît torse nu sur le podium à la place du chef d’orchestre à la fin du troisième acte, des chœurs adoptant continuellement des positions extatiques, ...) rend le spectacle trop souvent risible et manque donc tout son effet. Avouons également que les costumes imaginés par Thibault Vancraenenbroeck accentuent ce ridicule (le Grand Prêtre, avec une longue cape et une couronne le faisant davantage ressembler au chef d’une secte, ou Idamante, à l’acte III, qui est vêtue d’un costume masculin, d’un imperméable et qui arbore un sabre napoléonien, sans parler des inévitables soldats en treillis et brandissant une kalachnikov menaçante au début de l’acte I) qui, encore une fois, dessert l’opéra plus qu’autre chose. A écouter, donc, les yeux fermés.


Le site de Richard Croft
Le site de Kate Lindsey
Le site d’Alexandra Coku
Le site du Cercle de l’Harmonie
Le site du chœur Les Eléments



Sébastien Gauthier

 

 

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