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Un gigantisme confortable

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
06/23/2011 -  et 25 juin 2011 (Paris)
Arnold Schoenberg : Gurrelieder

Ricarda Merbeth (Tove), Lance Ryan (Waldemar), Anna Larsson (Stimme der Waldtaube), Barbara Sukowa (Sprecherin), Albert Dohmen (Bauer), Arnold Bezuyen (Klaus-Narr)
Ceský filharmonický sbor Brno, Petr Fiala (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marc Albrecht (direction)


M. Albrecht


Il faut une telle énergie pour réunir l’effectif complet des Gurre-Lieder de Schoenberg que ce type de « projet mammouth » ne peut aboutir que grâce à l’engagement personnel d’un chef passionné. Or il se trouve qu'à peu d'années d'intervalle le public strasbourgeois a pu assister deux fois à cet événement d’importance. D’abord l’invitation en 2006 des forces rassemblées autour de l’Orchestre symphonique du SWR Baden-Baden et Freiburg par un Michael Gielen au soir de sa carrière, et puis aujourd’hui cet ultime concert donné par Marc Albrecht en tant que directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Une occasion rarissime de pouvoir comparer dans les mêmes conditions acoustiques deux approches de l’œuvre en définitive très dissemblables.


Alors qu’en 2006 le plateau du Palais de la Musique avait réussi à accueillir tout l’effectif requis, au prix sans doute d’un certain tassement (outre une quantité respectable de cordes il faut pouvoir aligner une cinquantaine de pupitres de vents et une percussion fournie, et qu’il reste encore suffisamment de place pour la masse chorale et les solistes…), l’Orchestre philharmonique de Strasbourg a décidé de se mettre à l’aise. Les sept premières rangées de sièges de l’auditorium ont donc été démontées et remplacées par un plancher provisoire qui agrandit considérablement la surface disponible. Les instruments disposent ainsi chacun d’un espace vital appréciable et les possibilités de circulation entre les pupitres sont suffisantes pour que les solistes vocaux puissent tous rentrer et sortir sans rester physiquement présents d’un bout à l’autre de l’exécution. Cette impression de confort paraît d’ailleurs contaminer l’exécution musicale, Marc Albrecht privilégiant des tempi amples voire lents et laissant l’immense machine des Gurre-Lieder se déployer avec davantage de majesté que d’urgence. La priorité semble être ici le scintillement maximal et le développement le plus voluptueux possible de chaque arabesque instrumentale, dans un esprit décoratif proche des tableaux de Gustav Klimt les plus chargés en motifs entrelacés. Indiscutablement l’Orchestre philharmonique de Strasbourg bénéficie de cette approche plus contemplative que tendue, qui lui permet de ciseler une exécution très détaillée, remarquable ne serait-ce que par le nombre réduit d’accidents qui émaille la soirée. Et même les cordes, avec à leur tête Luc Héry, premier violon de l’Orchestre national de France invité pour ce concert, brillent par leur homogénéité et une qualité de timbre qui ne leur est pas toujours coutumière. Cette profusion sonore paraît particulièrement généreuse en comparaison de l’exécution minutieuse dirigée par Michael Gielen, où la masse orchestrale et chorale, aussi gigantesque soit-elle, donnait toujours l’impression d’être contrôlée au millimètre près et de pouvoir s’arrêter comme un seul homme au moindre frémissement de baguette. Ici les contours sont plus flous voire un rien négligents et le contrôle des nuances approximatif, mais l’impression générale est très flatteuse. Une interprétation davantage décorative qu’expressionniste : historiquement l'option reste parfaitement défendable.


Du côté des solistes les choix paraissent heureux, avec un plateau d’un bien meilleur niveau que celui qu’avait pu réunir Michael Gielen. Lance Ryan est ainsi un parfait Waldemar aux aigus dardés qui passent le mur sonore de l’orchestre avec une aisance prodigieuse. Et non seulement le timbre s’impose mais aussi les mots qui vont avec, permettant au delà du gigantisme ambiant de recréer une ambiance poétique qui est bien celle de véritables Lieder. On est un peu plus réservé sur l’élocution de Riccarda Merbeth et en particulier sur une curieuse façon de proférer les voyelles en fermant la presque la bouche, comme pour les amenuiser. Cela dit, la voix est belle et s’incorpore bien à l’environnement instrumental, parvenant à construire une incarnation de Tove au moins voluptueuse, à défaut d’être particulièrement sensible ou fouillée. Placée un peu plus en retrait, au milieu des violons, Anna Larson s’impose sans peine dans le Lied du Ramier, avec toutefois un déficit relatif d’émotion qui n’est pas racheté par l’inertie luxueuse de l’accompagnement. Bonne prestation brève du Paysan d’Albert Dohmen, dont le timbre paraît plus assourdi que d’habitude, et composition percutante mas très musicale d’Arnold Bezuyen dans le rôle du bouffon.


Au cours de la troisième partie, quand l’écriture de Schoenberg se fait plus subtile voire devient momentanément économe en masses sonores, la disparité de langage par rapport aux volets précédents apparaît avec davantage d’acuité que chez Michael Gielen, qui paraissait plutôt partisan d’une vision synthétique. Marc Albrecht semble tout à coup naviguer à vue, ce qui permet au moins d’écouter en détail les lignes solistes, voire de se laisser surprendre par l’irruption de Barbara Sukowa, restée longtemps cachée entre les violoncelles et qui tout à coup se dresse pour déclamer par coeur un sprechgesang très souple, souvent proche d’un chant imprévisible mais mélodieux à sa manière, en tout cas fascinant. Belle péroraison chorale ensuite, par un Chœur philharmonique de Brno qui paraît manquer un peu de volume. De même que dans la Chasse sauvage des vassaux de Waldemar l’ampleur orchestrale paraît peser trop lourd, ce qui limite l’impact choral. Peut-être l’apport d’un second chœur aurait-il permis de rétablir l’équilibre. Mais là, décidément, ce sont place et moyens qui auraient fini par manquer !


Longues acclamations, congratulations, fleurs et standing ovation chaleureuse pour Marc Albrecht, qui prend ainsi congé de son public strasbourgeois avec un indiscutable panache.



Laurent Barthel

 

 

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