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Spectacle total

Lyon
Opéra
06/04/2011 -  et 7, 10, 13, 16, 19, 22 juin 2011
Richard Wagner : Tristan und Isolde
Clifton Forbis (Tristan), Ann Petersen (Isolde), Christof Fischesser (Marke), Jochen Schmeckenbecher (Kurwenal), Nabil Suliman (Melot), Stella Grigorian (Brangaine), Viktor Antipenko (Un jeune marin/Un jeune berger), Laurent Laberdesque (Un pilote)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Kirill Petrenko (direction)
Alex Ollé/La Fura dels Baus (mise en scène)


(© Bertrand Stofleth)


Le Crépuscule des dieux à Paris… mais après Strasbourg et en même temps que Tristan à Lyon, qu’on n’y avait pas vu depuis vingt ans : l’Hexagone lyrique se met à l’heure wagnérienne. Si comparaison n’est pas raison, les régions n’ont pas à rougir, loin de là.


La production lyonnaise fait oublier le vide abyssal de la dernière journée du Ring parisien. Alex Ollé, un des metteurs en scène de la Fura dels Baus, le plus sage aussi, opte pour un Tristan éloquemment minimal, sobre et concentré, au plus près du texte. Pas de distanciation à bon marché, pas d’actualisation standard : dans un lieu de nulle part, où pourrait se situer Pelléas, se déroule un drame intérieur. Un drame lunaire, enveloppé dans la nuit de l’amour interdit : une lune surplombe la scène au premier acte, elle s’ouvrira au deuxième, coquille brisée, matrice ouverte. Tant d’économie fait penser – un peu trop, disent les mauvaises langues – à Peter Sellars. D’autant plus qu’il y a la sempiternelle vidéo… dont Franc Aleu use avec économie et qui ne se superpose pas à ce que l’on voit sur la scène. Vagues épaisses et glauques, prolongeant l’encre du ciel et grondant comme la colère d’Isolde au premier acte, cercles de feu enserrant les amants enlacés au deuxième avant que la maison se lézarde, les effets s’en tiennent à l’illustration symbolique d’une action qu’ils ne doublent jamais – la pierre d’achoppement du travail de Peters Sellars et Bill Viola à Paris. C’est en effet une vision essentiellement symbolique que propose Alex Ollé, un retour à la nudité du mythe, rappelant celle d’Olivier Py à Genève, qui n’avait pas cette austérité presque pudique.


Voilà donc, pour le coup, un spectacle total – ce dont nous avait privés Le Crépuscule parisien. Kirill Petrenko, à bientôt quarante ans, confirme ses affinités wagnériennes, justifiant son invitation à Bayreuth pour le Ring du bicentenaire de la naissance de Wagner en 2013. Habitué à la fosse lyonnaise par les trois Pouchkine de Tchaïkovski, il obtient un parfait équilibre entre la fosse et la scène. Il est vrai que sa direction maîtrise l’orchestre wagnérien avec une souplesse, une fluidité toutes chambristes, répugne au pathos, notamment dans les préludes des actes extrêmes. Le début du deuxième, par ses chatoiements raffinés, l’arrivée de Tristan, dans sa jubilation lumineuse, rappellent un peu Esa-Pekka Salonen à Bastille. L’anti-Eschenbach, en quelque sorte. Aux cordes le chef russe a imposé un travail en profondeur : elles ont ici une chair, une rondeur qui assurent à l’orchestre une homogénéité exemplaire – ce n’est donc pas seulement question d’acoustique lorsqu’il sonne sec. Petrenko n’a guère à envier Philippe Jordan, qu’il surpasse par son sens du théâtre, sa capacité à tendre jusqu’au bout l’arc du drame : pas la moindre baisse de tension dans cette direction si étroitement appariée à la mise en scène.


N’allons pas chercher si les chanteurs s’entendraient à Bastille : nous n’y sommes pas. Nul besoin d’y aller pour vérifier qu’Ann Petersen n’est pas une Isolde – Paris lui a donné Freia. La voix se chauffe et s’éclaire progressivement, révèle peu à peu la lumière frémissante du timbre, l’unité de la tessiture malgré des graves sourds. La soprano danoise, surtout, à la différence de Katarina Dalayman à Paris, tient sa ligne, jusqu’au bout, grâce à une technique très sûre : la mort d’Isolde irradie, alors que beaucoup s’efforcent d’abord d’assurer. Et l’on aime cette Isolde émouvante, à la belle silhouette et au port de jeune princesse – avec un côté Waltraud Meier, d’ailleurs –, si humainement passionnée. On savait, après la reprise de l’opéra à Bastille, ce qu’on pouvait attendre du Tristan à bout de Clifton Forbis, appelé à la rescousse pour remplacer Gary Lehmann. Périlleux même pour les meilleurs, le premier acte lui fait faire naufrage, tant la voix bouge et se cherche. On craignait le pire pour le deuxième : le ténor américain s’y stabilise. Il tient le coup dans le troisième, Tristan abattu et souffrant, mais échouant à phraser son agonie, au prix d’une si grande prudence qu’on écoute d’abord l’orchestre. Plus jeune d’allure que de coutume, la Brangaine de Stella Grigorian pourrait être, beaucoup plus qu’une aînée protectrice, la sœur cadette d’Isolde, apprentie sorcière du destin, vocalement élégante et précise, avec assez de réserves de souffle pour les appels. S’impose aussi le noble et profond Marke de Christof Fischesser, sobrement habité, qui a retenu la leçon de son maître Kurt Moll, tout comme le Kurwenal sonore et investi, au timbre mordant de Jochen Schmeckenbecher, dont la partie reste impeccablement chantée, mis à part quelques aigus trop détimbrés. Aujourd’hui Melot, Nabil Suliman endossera-t-il un jour les habits de l’écuyer ?


N’était le Tristan, Lyon mettait presque Paris K.-O. sur le ring.



Didier van Moere

 

 

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