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Quête d’authenticité

Normandie
Théâtre de Caen
05/20/2011 -  et 6 (Metz), 7 (Dijon), 18 (Aix-en-Provence), 19 (Grenoble) mai 2011
Maurice Ravel : Boléro – Pavane pour une infante défunte – La Valse
Francis Poulenc : Concerto pour deux pianos, FP 61
George Gershwin : An American in Paris

Claire Chevallier (piano)
Anima Eterna Brugge, Jos van Immerseel (piano et direction)


J. van Immerseel (© Alex Vanhee)


Avant d’accueillir la reconstitution d’Atys qui vient d’être présentée à l’Opéra Comique, le Théâtre de Caen constitue la dernière étape d’une tournée française d’Anima Eterna. Bien que le programme soit consacré à la musique du premier tiers du siècle passé, il y possède au moins deux points communs avec le légendaire spectacle conçu par par William Christie et Jean-Marie Villégier: fondé en 1987 par Jos van Immerseel, l’orchestre brugeois a donc le même âge que la production lullyste et il manifeste lui aussi le souci d’un retour à la vérité historique.


Des instruments «anciens» pour Ravel? La proposition a de quoi intriguer, voire amuser ou agacer: pourquoi pas aussi des versions «authentiques» de Déserts ou du Marteau sans maître? Mais, après tout, c’est la philosophie qui a présidé à la création récente de formations comparables – Les Siècles de François-Xavier Roth ou La Chambre philharmonique d’Emmanuel Krivine – et l’on y verra peut-être un jour Philippe Herreweghe et son Orchestre des Champs-Elysées, qui côtoient déjà avec succès Bruckner et Mahler. Les Belges ont donc tenté une Ravel Experience, comme l’aurait certainement dit Roger Norrington, dans un disque paru voici cinq ans (Zig-Zag Territoires), dont sont ici repris de larges extraits, à savoir trois œuvres inspirées par la danse.


Souvent destiné à couronner un concert en apothéose, Boléro (1928) vient ici en copieuse bouchée apéritive: l’avantage de cette solution est qu’elle permet de se familiariser avec les différents pupitres, exercice durant lequel l’oreille est ballottée entre la surprise de timbres inattendus et la déconvenue d’une précision aléatoire. L’option nonchalante choisie par Immerseel en vaut bien une autre, mais s’il s’agit d’être fidèle aux intentions du compositeur, pourquoi ne pas commencer par respecter le tempo prescrit? Or, à dix-sept minutes, l’interprétation se situe bien en deçà de la noire à 72 figurant en tête de la partition. Mais sans doute pourra-t-on admettre que davantage que le tempo proprement dit, c’est sa fixité qui importe dans cette page et, à défaut d’exciper de l’enregistrement réalisé par Ravel lui-même (dont l’attribution est en effet contestée), du moins sortir du chapeau quelque commentaire de l’auteur autorisant à s’abstraire de cette indication. Nul doute aussi que la question du vibrato a été soigneusement examinée – mais il n’en demeure pas moins étrange de constater qu’il est totalement proscrit – de même que celle de l’effectif: on a quand même peine à croire que dans les années 1930, les orchestres qui jouaient Boléro étaient réellement limités à trente-cinq cordes. Peu d’excentricités, en revanche, dans la disposition des musiciens sur scène, sinon les contrebasses côté jardin derrière les violons et les deux harpes à l’avant-scène, face à face de part et d’autre du chef.


Dans La Valse (1920), la direction manque de sensualité et fait du surplace, mais les sonorités, de nouveau, attirent principalement l’attention, tel ce contrebasson pour le moins exotique, qui aurait fait merveille dans une autre valse, «Les Entretiens de la Belle et de la Bête» de Ma Mère l’Oye, et contribuent à installer une atmosphère de caractère fantastique. Un peu écrasée entre ces deux maelstroms, la Pavane pour une infante défunte (1899/1910), avec un effectif encore plus allégé en cordes graves, devient une bien pâle aquarelle: ici encore, pourquoi diable recourir au cor naturel – si excellemment maîtrisé soit-il, compte tenu de sa redoutable difficulté – alors que l’usage du cor chromatique semblait s’être progressivement imposé au cours du précédent demi-siècle?


Après l’entracte, c’est la même logique qui prévaut à l’égard du Concerto pour deux pianos (1932) de Poulenc, que Jos van Immerseel, associé à Claire Chevallier, vient de publier chez Zig-Zag Territoires. Mais la substitution aux Steinway ou Yamaha ordinaires de deux Erard à cordes parallèles de 1896 et 1905 issus de leurs collections personnelles se justifie-t-elle simplement parce qu’ils sont «identiques à ceux que Poulenc a dû voir à Paris et sur lesquels il a pu jouer»? Les deux pianos sont en outre installés de façon très inhabituelle, sans couvercle et claviers se faisant face, de telle sorte que les solistes se retrouvent dos à dos: ils « entendent ainsi résonner les deux instruments de manière équivalente» et «les deux pianos se trouvent à même distance par rapport au public». Alors même que les pianistes ne se voient pas du tout et ne font pas semblant de diriger, se contentant d’un minimum de regards échangés avec les musiciens, quelquefois aidés d’un geste ou d’un signe du premier violon solo Alida Schat, la mise en place ne souffre d’aucun défaut majeur. L’ensemble corrobore en tout cas l’excellente impression laissée par le voir disque: la sonorité frêle et moelleuse des Erard détonne quelque peu, mais la verdeur de l’orchestre convient parfaitement à cette musique épicée, dont les affinités avec Stravinski et Prokofiev ressortent de façon évidente.


Voilà qui vient opportunément confirmer qu’Immerseel n’est pas qu’un spécialiste de Mozart, Beethoven et Schubert, mais qu’il s’est également intéressé à d’autres répertoires, notamment à Debussy (sur un Erard de 1897, bien sûr). Faisant autant sourire sur scène que dans la salle, le bis, quant à lui, offre un échantillon du très intéressant récital «Paris dansant» que les deux pianistes devaient donner ensemble le lendemain et rappelle que Claire Chevallier s’est illustrée par un enregistrement consacré à Satie (sur un Erard de 1905, bien sûr): si L’Embarquement pour Cythère (1951) doit certes beaucoup à Chabrier, il est abordé ici avec un humour digne du maître d’Arcueil, qui fut l’un des inspirateurs de Poulenc et de ses camarades du groupe des Six.


Retour à la case 1928 pour conclure, non pas cette fois-ci avec Ravel, mais avec Gershwin, un Américain qui, venu à Paris pour lui demander s’il serait disposé à lui donner des leçons, se vit rétorquer par le Français, éclairé sur le montant de leurs revenus respectifs, que ce serait plutôt à son jeune confrère de lui prodiguer des conseils. Pas de nouvelles extravagances dans Un Américain à Paris – sinon le positionnement des trois saxophones au premier plan côté cour, derrière les altos – mais rien ne précise si les klaxons – d’époque, forcément – viennent d’une De Dion-Bouton ou d’une Panhard. L’effectif et les textures instrumentales éclaircissent et allègent une partition qui, avec d’autres, peut parfois se révéler trop massive; surtout, Immerseel excelle à raconter une histoire, entre swing et blues, avec des musiciens en grande forme – une flûte virtuose, une clarinette effrontée, une trompette et un trombone en folie. Après avoir fait bisser les dernières pages, le chef, jetant sa baguette par-dessus l’épaule, fait ainsi comprendre que la soirée est finie.


Le site d’Anima Eterna
Le site de Claire Chevallier
Le site du Théâtre de Caen



Simon Corley

 

 

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