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Transatlantique Paris Salle Gaveau 05/11/2011 - Antonio Soler : Fandango, R. 146
Domenico Scarlatti : Sonate K. 190 (arrangement Enrique Granados)
Manuel de Falla : Pour le tombeau de Paul Dukas
Claude Debussy : Préludes (Second Livre): La Puerta del vino
Maurice Ravel : Miroirs: Alborada del gracioso
Ernesto Lecuona : Andalucía: Córdoba – Gitanerías – Malaguena
José Asunción Flores : India
Lydie Solomon : Prélude à la mélodie secrète
Carlos Chávez : Meditación
Alberto Ginastera : Sonate n° 1, opus 22
Lydie Solomon (piano)
L. Solomon (© D. R.)
Née en 1981, Lydie Solomon a déjà eu plusieurs vies – premier prix au CNSM dans la classe de Jacques Rouvier, diplômée de l’ESSEC, actrice (sous le nom de Lydie Waï), chanteuse, compositeur – de telle sorte que son récital venant d’être publié chez Intrada, dont elle présente l’essentiel salle Gaveau, marque son retour à la musique «classique».
Intitulée «Destination: ELDORADO» et organisée selon une progression aussi bien géographique qu’à peu près chronologique, la soirée débute de façon un peu inhabituelle: musique diffusée par hauts parleurs dans le brouhaha de l’installation des spectateurs, puis entrée sur scène de l’artiste sur fond de castagnettes, au cas sans doute où le public n’aurait pas compris que la première partie est consacrée à l’Espagne. Car si certains contestent l’attribution de l’étonnant Fandango au padre Soler (1729-1783), il ne peut en tout cas y avoir d’ambiguïté quant au lieu. La main gauche de Lydie Solomon y est délibérément imperturbable, mais sa main droite, qui ne souffre heureusement pas comme celle du personnage qu’elle incarne dans le film Vivre! d’Yvon Marciano, est précise et spirituelle à souhait. Scarlatti n’est jamais loin de Soler, d’autant que sa Sonate K. 190 (1752) bénéficie ici d’un brevet d’hispanité supplémentaire, puisqu’elle est la neuvième des vingt-cinq sonates arrangées en 1905 par Granados (qui l’enregistra lui-même en 1910).
Autant le jeu se fait souple et le toucher plus velouté, autant ils deviennent solennel et austère pour les grands accords du rare Pour le tombeau de Paul Dukas (1935), contribution de Falla (qui en réalisé lui-même une orchestration) à un hommage auquel prirent également part Elsa Barraine, Messiaen, Pierné, Rodrigo, Ropartz et Schmitt. Elle attaque ensuite directement, de façon robuste et carrée, un Prélude inspiré par une carte postale que le compositeur de L’Amour sorcier avait adressée à Debussy, «La Puerta del vino», extrait du Second Livre (1912): quelques années plus tard, Dukas et Falla furent au nombre de ceux qui s’associèrent à l’édification du «tombeau de Claude Debussy». Pas d’Espagne sans Ravel, bien sûr: Lydie Solomon se lance dans «Alborada del gracioso», quatrième des Miroirs (1905), avec volontarisme et goût du risque, au point d’en apparaître approximative, nerveuse et hâtive, même si tout rentre presque dans l’autre dans la reprise. Avec trois des six pièces de la suite Andalucía (1927) du Cubain Ernesto Lecuona (1895-1963), décédé en exil aux Canaries, elle demeure encore sur le Vieux Continent: charme de «Córdoba», virtuosité de «Gitanerías», «Malaguena» où l’on imagine bien un solo de basson comme dans l’«Alborada» de Ravel, tout ce qui pourrait paraître facile ou anecdotique ne résiste pas son style ferme et sans fioritures.
Le temps de l’entracte, où ceux qui sont restés dans la salle ont de nouveau droit à de la musique enregistrée, est celui d’une traversée de l’Atlantique, la seconde partie abordant successivement trois pays d’Amérique latine. Ici encore, pour ceux qui n’auraient pas suivi, quelques touches de percussion (guiro) assurent la couleur locale et saluent le retour sur scène de la pianiste, dont la robe bleu roi a raccourci et est devenue rouge. Le Paraguay, d’abord, avec José Asunción Flores (1904-1972), créateur dans les années 1920 du genre guarania: India en est le paradigme, élevé au rang de «chant national» en 1944, dix ans avant que le compositeur ne soit expulsé par Stroessner pour un exil (à Buenos Aires) d’où il ne devait jamais revenir. Les incertitudes entre majeur et mineur installent un climat mélancolique qui se prolonge dans une Méditation (1918) du tout jeune Carlos Chávez. Lydie Solomon la fait précéder sans interruption par une très courte page de son cru, Prélude à la mélodie secrète: à défaut de comprendre la nécessité qu’elle a éprouvé de procéder ainsi, force est de respecter ce choix.
La période est décidément très favorable à Alberto Ginastera: après ses Variations concertantes et son Premier Quatuor, voici la Première (1952) de ses trois Sonates. Postérieure de quatre ans au Premier Quatuor, elle en adopte le langage et la forme, et ses quatre mouvements, s’ils sont plus concis (un quart d’heure), présentent néanmoins le même caractère: Allegro marcato aux effets rythmiques et percussifs hérités de Bartók et Prokofiev (le début évoque celui de la Sixième Sonate du Russe), Presto misterioso aérien et fantastique, Adagio molto appassionato tendu et lyrique, Ruvido ed ostinato énergique et solaire. Même si son commentaire donne à s’interroger sur sa conception de l’œuvre («on retrouve certaines couleurs rythmiques et harmoniques dans des musiques de films et de séries TV, comme le thème de Mission: Impossible du compositeur argentin Lalo Schifrin»), Lydie Solomon ne se contente pas d’en dominer les exigences techniques mais n’oublie jamais de faire chanter cette irrésistible partition.
En bis, elle achève le programme de son disque, enchaînant d’abord une autre de ses compositions, Perdido, à la mélodie Le Nid absent (1900) de l’Argentin Julián Aguirre (1868-1924) puis à la «Malaguena», troisième des six pièces d’Espana (1893) d’Albéniz. Sous-titré «De Padre Soler à Piazzolla», le récital ne pouvait se conclure que sur une pièce du créateur du «tango nuevo», «Puck arrabal» extrait du Songe d’une nuit d’été (1986).
Simon Corley
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