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Méta-opéra Paris Théâtre des Bouffes du Nord 04/26/2011 - et 27*, 29, 30 avril, 3, 4, 6, 7, 12, 13 mai (Paris), 30 novembre, 1er décembre (Luxembourg) 2011, 9 (Brétigny-sur-Orge), 13 (Reims), 15, 16 (Caen), 19 (Besançon) mars, 30 novembre, 1er décembre (Luxembourg) 2012 Frédéric Verrières : The Second Woman (création)
Jean-Yves Aizic (Le pianiste et répétiteur), Jean-Sébastien Bou (Le baryton), Elizabeth Calleo (La cantatrice), Jeanne Cherhal (La chanteuse), Marie-Eve Munger (La colorature), Philippe Smith (Le metteur en scène)
Olivier Pasquet (électronique), Ensemble Court-circuit: Marion Ralincourt (flûte), Pierre Dutrieu (clarinette), Laurent Bômont (trompette), Alain Rigollet (trombone), Jean-Marie Cottet (piano), Eve Payeur (percussion), Nicolas Miribel (violon), Pablo Tognan (violoncelle), Didier Meu (contrebasse), Jean Deroyer (direction musicale)
Guillaume Vincent (mise en scène), Marion Stoufflet (dramaturgie), James Brandily (scénographie), Sébastien Michaud (lumières), Fanny Brouste (costumes)
J. Cherhal, J.-S. Bou (The Second Woman © Pascal Victor-ArtComArt)
En coproduction avec l’Opéra et la Comédie de Reims, le Grand Théâtre de Luxembourg et l’Ensemble Court-circuit, le Théâtre des Bouffes du Nord présente la création de The Second Woman de Frédéric Verrières (né en 1968). Formé à Bruxelles, puis à Paris, auprès notamment de Grisey, Levinas et Dalbavie, il a choisi, pour son premier opéra, de s’inspirer d’Opening Night (1977) de John Cassavetes. A l’origine, l’œuvre devait d’ailleurs s’intituler «Opening Night - opéra», mais par souci de clarté, c’est le titre de la pièce de théâtre que Gena Rowlands répète dans le film qui a finalement été retenu. Cette solution se justifie d’autant plus qu’en réalité, son opéra, «librement inspiré du film de John Cassavetes», n’apparaît en rien comme une «mise en musique» du film mais s’apparente plutôt à une transposition de son principe: la difficile gestation, autour de son héroïne féminine, d’un spectacle sensiblement différent de celui qui était initialement envisagé.
Signé Bastien Gallet (né en 1971), ancien pensionnaire de la villa Médicis, comme Verrières, le livret, en anglais et en français (surtitré), partage donc avec le scénario de Cassavetes le principe d’une construction en abyme: de même qu’Opening Night relève du «théâtre dans le cinéma», The Second Woman se veut un «opéra dans l’opéra». Mais il ne s’efforce jamais de coller strictement à une référence qui avait tout pour être intimidante. Et il ne s’interdit pas de suggérer d’autres mythes du septième art: comment ainsi ne pas penser à La Dame de Shanghai dans les jeux de glaces et reflets du dernier acte?
Le genre de «l’opéra dans l’opéra» n’est certes pas nouveau, et ce sous des formes très diverses, depuis Le Directeur de théâtre de Mozart jusqu’à Let’s Make an Opera de Britten en passant par Le convenienze ed inconvenienze teatrali de Donizetti, Ariane à Naxos et Capriccio de Strauss ou même Les Maîtres Chanteurs de Wagner, où l’on assiste à l’évolution du chant de concours de Walther. Mais Verrières et Gallet confèrent à l’exercice une allure étonnamment protéiforme et bigarrée. Point tant par le texte et la dramaturgie (mise au point par Marion Stoufflet): comme chez Mozart, par exemple, les quatre rôles chantés, partiellement sonorisés et dans les costumes conçus par Fanny Brouste, sont définis et désignés par leur tessiture (soprano, colorature, «chanteuse», baryton), de même que le répétiteur l’est par sa seule fonction. Seul le metteur en scène (Guillaume Vincent) ne joue pas le rôle du metteur en scène, confié à un acteur à part entière (Philippe Smith). Et même s’il est précisé que les interprètes auraient contribué à l’élaboration des dialogues au fil des répétitions, le spectacle est bien plus écrit qu’il ne veut bien le dire. Difficile de parler de «théâtre musical» pour autant, même si, au début, l’accumulation des situations et clichés inhérents aux relations entre un metteur en scène et ses comédiens ne manque pas d’humour.
Mais c’est bien la musique qui conserve indéniablement ici un rôle central. Stylistiquement, le brassage semble improbable – Lucia di Lammermoor, Lakmé, Ruddigore (de Gilbert et Sullivan), Chansons de Bilitis, ... – mais le mélange des genres est dans l’air du temps, même chez un créateur aussi intransigeant que Gérard Pesson voici quelques années dans son opéra Pastorale, où les rhombes tournoyaient aussi volontiers dans l’orchestre. Verrières revendique quant à lui un «choix radical», mais d’une radicalité paradoxale, puisqu’elle consiste à employer un matériau déjà composé. Toutefois, si l’oreille est ancienne, le compositeur dit aborder la voix avec un «œil neuf».
Obsolète, l’opéra, comme le lustre-chandelier dont l’allumage et l’ascension marquent le début du spectacle mais auquel le metteur en scène ne tarde pas à renoncer? Obsolète, l’opéra, comme le vibrato qu’il invite la soprano à abandonner? Mais bien que revenu au goût du jour depuis deux ou trois décennies, il n’en continue pas moins de projeter une ombre portée à laquelle peu parviennent à échapper et de susciter une perpétuelle réflexion sur sa nature même: tout en rendant hommage à certaines des figures obligées du genre lyrique – scène de folie, duo d’amour, visions oniriques – le compositeur indique ainsi avoir en fin de compte réalisé un «méta-opéra», suffisamment ouvert et hors norme pour qu’il préfère laisser le soin «aux critiques et au public de le désigner».
Il ouvre cependant des pistes: au fond, ce «processus de création musicale [...] est l’œuvre elle-même» et «seul ce parcours à la fois angoissé et ludique à travers la recherche d’un style musical, d’une vocalité, fait sens», ce que confirme Gallet («l’opéra est un résultat: le résultat d’un devenir qui est le spectacle lui-même»). La scénographie traduit la métamorphose de cette obscure histoire vaguement mélodramatique de femme assassinée par un mercenaire – un méchant baryton, bien sûr – et sa révélation progressive, par l’effondrement successif de deux immenses rideaux bleus montant jusqu’aux cintres, le premier dans un spectaculaire effet stroboscopique réglé par Sébastien Michaud.
Mais c’est surtout la consécration de la voix: dans tous ses états, déformée jusqu’à l’onomatopée et au cri, dans l’esprit d’Aria de Cage et de la Sequenza IV de Berio illustrées par Cathy Berberian – chant populaire valaque, électro, recitativo secco, comédie musicale, ... – elle règne au fil des quatre actes et des quatre-vingt-quinze minutes de cet ovni – opéra vocalement non identifié. Une hybridation d’autant plus déstabilisante que les voix sont non seulement solides mais belles et émouvantes, à commencer par la cantatrice, Elizabeth Calleo, et son double, Marie-Eve Munger. Mention spéciale à la «pièce rapportée», Jeanne Cherhal, qui, non contente de parvenir à camper en quelques mesures Véronique Sanson, Brigitte Bardot puis Britney Spears, ou de se lancer dans une étonnante séquence façon Swingle Singers avec bruitages instrumentaux assurés par la voix et le micro de Jean-Sébastien Bou, tient crânement sa place au côté de ces trois «pointures» du monde lyrique.
Enchaînement on ne peut plus logique: après un opéra (en version de concert) dix jours plus tôt (Ariane et Barbe-Bleue de Dukas à Pleyel) et peu de temps avant un «ciné-concert» (la musique de Jean-François Zygel pour La Femme sur la lune de Fritz Lang à la Cité de la musique), Jean Deroyer dirige cet opéra inspiré d’un film et il convainc pleinement à la tête de son excellent Ensemble Court-circuit, qui inaugure ainsi une collaboration de trois ans avec le théâtre des Bouffes du Nord dédiée à l’opéra de chambre. Dans le décor précédemment décrit, les neuf musiciens ne sont visibles du public qu’au dernier acte, pour l’exécution d’une sorte de générale de l’opéra, et, au demeurant, l’effectif complet n’intervient que durant environ la moitié du spectacle, le reste étant parlé ou accompagné au piano (droit) midi, sans oublier les sons électroniques réalisés par Olivier Pasquet.
Le site de Jean Deroyer
Le site d’Olivier Pasquet
Le site de l’Ensemble Court-circuit
Le site d’Elizabeth Calleo
Le site de Jeanne Cherhal
Le site de Marie-Eve Munger
Simon Corley
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