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Petits meurtres entre amis Geneva Bâtiment des Forces Motrices 04/01/2011 - et 4, 6*, 8, 12, 14, 16, 19 avril 2011 Harrison Birtwistle: Punch and Judy
Bruno Taddia (Punch), Lucy Schaufer (Judy), Stephen Bronk (Choregos), Gillian Keith (Polly), Mark Milhofer (The Lawyer), Jonathan May (The Doctor), Hendrick January, Jodie Blemings, Lee Boggess, Sandro Franchini, David John, Ted Sikström (danseurs)
Ensemble Contrechamps, Wen-Pin Chien (direction musicale)
Daniel Kramer (mise en scène), Quinny Sacks (chorégraphie), Giles Cadle (décors et costumes), Peter Mumford (lumières)
(© Catherine Ashmore)
Punch and Judy, du compositeur Harrison Birtwistle (né en 1934) et du librettiste Stephen Pruslin, a été créé le 8 juin 1968 au Festival d'Aldeburgh. L'œuvre est un mélange aussi étonnant que détonant de tragédie grecque et de théâtre de marionnettes. Dans la culture populaire anglaise en effet, Punch est l'équivalent du Guignol français, ou du Pulcinella de la commedia dell'arte, clown drôle et violent. En à peine une heure et quarante minutes, on passe de la cruauté la plus sadique à la naïveté la plus touchante, un grand écart que seuls les Anglais sont capables de faire, il faut bien le dire. Pour conquérir la femme de ses rêves, Punch, tueur en série de son état, élimine tour à tour son bébé, son épouse ainsi que les deux représentants de l'ordre et de la société que sont le Docteur et l'Avocat, allant même jusqu'à s'en prendre à sa propre conscience, symbolisée par le Narrateur. Entre deux meurtres, Punch s'efforce de s'attirer les faveurs de Polly, mais celle-ci refuse, horrifiée par tant de sang. La rédemption arrive au moment du dernier méfait, lorsque Punch assassine le bourreau qui le mène à la potence. Le héros peut enfin se marier avec celle qu'il aime, la tragédie initiale se muant en comédie. On connaît peu d’intrigues lyriques aussi violentes, cyniques et amorales.
Daniel Kramer reprend à Genève le spectacle qu'il avait créé à Londres trois ans plus tôt, pour les 40 ans de l’ouvrage. Dans le programme, le metteur en scène avoue qu'il n'a pas du tout apprécié l'opéra lorsqu'il l'a entendu pour la première fois. Optant pour l'exagération à outrance (rien dans cette œuvre n’est demi-mesure ou nuance!), il transforme le plateau du Bâtiment des Forces Motrices en arène de cirque et fait de chacun des personnages une caricature, à la limite de la violence, de la bêtise, de l'hypocrisie ou encore de l'obscénité, dans une ambiance particulièrement kitsch. Ainsi, Punch est un tueur sans état d'âme, incapable de prendre conscience de ses actes, se remaquillant sans cesse avant de passer à l'acte, dans une sorte de rituel. Judy est une paysanne vulgaire et Polly une jolie poupée obsédée par le sexe. Les danses sordides et macabres des sosies de Punch ne sont pas sans rappeler Orange Mécanique et ses débordements de violence.
Musicalement, l'œuvre est construite comme un puzzle dans lequel les pièces réapparaissent au fil de l'écoute. La partition – admirablement servie par l'Ensemble Contrechamps – fait penser à Stravinsky et Varèse; elle a quelque chose de brutal et d'atonal qui peut fortement déranger, à en juger en tout cas par le nombre de personnes qui ont quitté la salle avant la fin du spectacle. Ceux qui sont restés jusqu'au bout ont chaleureusement applaudi cette production sortant de l'ordinaire, à tous les points de vue.
Claudio Poloni
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