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L’alpha et l’oméga Paris Théâtre des Champs-Elysées 03/29/2011 - Joseph Haydn : Symphonies n° 1 et n° 104 «London»
Serge Prokofiev : Symphonie n° 1 «Classique»
Dimitri Chostakovitch : Concerto pour piano n° 1, opus 35
György Ligeti : Mysteries of the Macabre (arrangement Elgar Howarth)
Andrei Korobeinikov (piano), David Guerrier (trompette)
Ensemble orchestral de Paris, Thierry Fischer (direction)
T. Fischer (© Chris Stock)
Habitué de l’Ensemble orchestral de Paris (EOP), dont il avait conclu la saison précédente (voir ici), Thierry Fischer revient dans un programme dont la diversité, l’originalité et la cohérence sont typiques de la marque imprimée par le directeur général, Jean-Marc Bador, depuis son arrivée en octobre 2008. Si le Théâtre des Champs-Elysées n’affiche certes pas complet, l’affluence paraît plus qu’honorable et le public passe une excellente soirée, de telle sorte qu’il y a une morale à cette histoire: les absents ont toujours tort.
Bon nombre des cent sept Symphonies de Haydn resteraient dans l’ombre si le disque n’avait pas permis de les découvrir, mais à la différence de Mozart, les toutes premières ne sont pas nécessairement les moins connues: sans jouir de la renommée de la trilogie formée par les Sixième à Huitième («Matin», «Midi» et «Soir»), la Première (1759), numérotée de la main même du compositeur et datant de la période où, peu avant de rejoindre le prince Esterházy, il demeurait attaché au comte Morzin, n’a pas volé sa relative célébrité, dès son étonnant crescendo initial. Alors que la symphonie classique ne pardonne pas la moindre faiblesse stylistique ou technique, tant le chef suisse que la formation parisienne font bien mieux que se tirer d’affaire et ne traitent par-dessous la jambe ce lever de rideau: s’il y a parfois lieu de déplorer que toutes les reprises soient observées, rien de tel ici, car c’est autant d’occasions, tout au long des trois mouvements, d’apprécier un beau travail d’ensemble. Deux hautbois, un basson, deux cors et vingt et une cordes, sans vibrato mais non sans grâce, tout cela a de l’allure mais sait aussi s’amuser, avec des effets soigneusement dosés et un EOP méconnaissable, décidément sur la bonne pente.
Bonne idée que de faire succéder le «pastiche» à son modèle: voici donc une autre Première Symphonie en ré, celle de Prokofiev (1917), dont le sous-titre revendique le caractère «Classique». Avec un effectif désormais au complet (vingt-huit cordes), Fischer, après un Allegro con brio initial tour à tour badin et puissant, mais pas précipité, prend également le temps de détailler les voix dans les deux mouvements centraux et réserve le feu d’artifice pour le Molto vivace final.
Encore de filiation néoclassique mais aussi héritier de ceux de Prokofiev, le Premier Concerto (1933) de Chostakovitch enchaîne de façon logique: déjà présent avenue Montaigne en octobre dernier et la veille en récital, Andrei Korobeinikov (né en 1986) réaffirme une solidité et un jeu conformes aux canons de l’école russe. Mordant avec appétit dans cette musique bigarrée, le jeune pianiste en fait ressortir les expressions contrastées et réjouit tout particulièrement les spectateurs dans le pétaradant Allegro con brio final. Il en bisse (encore plus vite) les dernières pages, comme une scène en accéléré tirée d’un de ces films muets pour lesquels le compositeur à ses débuts improvisait un accompagnement au piano.
Assis derrière lui, David Guerrier (né en 1984) lui donne la réplique avec son talent coutumier: sûreté inattaquable et sonorité magnifique. Après l’entracte, il tient la vedette dans Mysteries of the Macabre de Ligeti, collage de trois airs extraits du Grand Macabre (1977/1992), arrangé par Elgar Howarth pour orchestre de chambre puis adopté (et adapté) par les trompettistes à l’initiative du phénoménal Håkan Hardenberger. Phénoménal, David Guerrier l’est aussi dans cette partition virtuose dont les farces clownesques – papier journal froissé, onomatopées, exclamations, chuchotis – font écho à l’humour de Chostakovitch.
Retour à la raison et à Haydn pour conclure: de l’alpha à l’oméga, de la Première à l’ultime Cent quatrième «Londres» (1795), toutes deux en ré, le rapprochement est tentant – Koopman en octobre 2005 avec le Philharmonique de Radio France et Frühbeck de Burgos en septembre 2008 avec l’Orchestre de Paris l’avaient d’ailleurs déjà proposé. Timbales en peau placées plus à l’avant, Menuet emmené à vive allure (davantage encore après le Trio) et, comme en première partie, respect scrupuleux des reprises et cordes sans vibrato, ce n’est pas pour autant un extrémisme «baroqueux» qui s’impose, ni même l’acidité et la sécheresse entendues à l’EOP sous d’autres baguettes dans les années récentes. Car Fischer, vigoureux sans brutalité, solennel sans lourdeur, dramatique sans raideur, malgré une furtive mais agaçante tendance à finir piano des phrases d’ordinaire jouées forte, laisse parfaitement respirer les phrases et les silences: un Haydn inventif, tout sauf dogmatique, nouveau témoignage de la «reconquête» des instruments «modernes» dans ce répertoire.
Le site d’Andrei Korobeinikov
Simon Corley
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