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Luisa Miller en voix

Paris
Opéra Bastille
03/07/2011 -  et 10, 13, 17*, 20, 24, 26, 29 mars, 1er avril 2011
Giuseppe Verdi : Luisa Miller
Orlin Anastassov (Il Conte di Walter), Marcelo Alvarez*/Roberto di Biaso (Rodolfo), Maria José Montiel (Federica), Arutjun Kotchinian (Wurm), Franck Ferrari (Miller), Krassimira Stoyanova (Luisa), Elisa Cenni (Laura), Vincent Morell (un contadino)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, Daniel Oren (direction)
Gilbert Deflo (mise en scène)


(© Andrea Messana/Opéra national de Paris)


Si l’on n’a pas su trouver les voix pour Siegfried, la reprise de Luisa Miller, trois ans après sa première présentation, n’en a pas manqué, du moins pour le couple Luisa-Rodolfo. Oublions vite un Wurm charbonneux, trémulant et sans ligne – de quoi gâcher le duo avec Walter, un des grands moments de la partition. Orlin Anastassov, s’il oublie fâcheusement la barre de mesure dans son air, ne manque justement pas d’allure, séduisant d’emblée par la richesse du timbre, l’homogénéité de la tessiture, père moins autoritaire que pitoyable et tourmenté. Frank Ferrari surprend agréablement dans sa cavatine d’entrée, par un chant plus policé qu’à l’accoutumée, pour s’effondrer dans la cabalette, qui engorge et raidit une émission qu’on avait cru assouplie. Le dernier acte le met plus à l’aise, le montre émouvant, la voix se projetant mieux, même s’il ne faut pas en attendre des phrasés belcantistes. Bref, si Orlin Anastassov peut, malgré ses approximations métriques, se mesurer à Ildar Abdrazakov, Franck Ferrari et Arutjun Kotchinian sont loin de faire oublier Andrzej Dobber et Kwangchul Youn. Maria José Montiel, en revanche, qu’on avait beaucoup aimée, a encore affiné sa Federica, dont les registres restent parfaitement soudés, rivale jeune et éprise, jamais virago et toujours duchesse, qui aurait de quoi faire hésiter le Rodolfo de Marcelo Alvarez.


Ramon Vargas s’était pourtant imposé. Il n’empêche : le ténor argentin, un peu timide au premier acte, le surpasse. La voix, pas moins solaire, est plus corsée et plus brillante, davantage celle du spinto que le rôle exige. Les finales des deux premiers actes lui arrachent ces accents héroïques anticipant sur Le Trouvère, sans que la ligne se relâche ou que l’aigu se durcisse : le style ne perd pas ses droits alors que Verdi ne renie pas pour autant l’héritage donizettien. On pouvait être tranquille pour le « Quando le sere al placido » : il se déploie en un legato raffiné, témoignant d’un sens très belcantiste de la coloration. Pour ses débuts à l’Opéra de Paris, Krassimira Stoyanova se hisse à sa hauteur, après une introduction dont l’écriture très donizettienne, avec notamment ses notes piquées, la met à la peine – celles de « La tomba è un letto », au troisième acte, lui réussiront beaucoup mieux. Mais tout révèle ensuite un timbre d’une rondeur pulpeuse, sans aucune acidité rappelant certaines voix de l’Est, une tessiture longue et homogène, un art souverain du phrasé et du legato, dans les élans de « Tu puniscimi, o Signore » comme dans le canto spianato de la prière du dernier acte, d’une pureté éthérée, chantée sur le souffle. Une Luisa à la fois fraîche et mûre, qui prend de l’assurance alors que ses forces l’abandonnent, anticipant sur le sacrifice de Violetta.


On savait ce que réserverait la mise en scène de Gilbert Deflo : rien de plus qu’un placement des chanteurs sur la scène, encore plus abandonnés à eux-mêmes et à une gestuelle indigente qu’il y a trois ans, alors que le chœur reste figé – il faudrait pourtant, par exemple, diriger le ténor, pas un comédien né, et surtout l’horrible Wurm, ici ridicule. L'opéra y perd sa force et le drame de Schiller n’est plus qu’un vague souvenir. Mais le décor naïvement alpestre, paradis perdu par le mensonge, la concupiscence et l’ambition, rappelle avec bonheur certains peintres de la montagne du XIXe siècle, voire Friedrich, chantres d’une nature originelle et inviolée. Là habitent le père et la fille, Walter et Wurm donnant libre cours à leurs manœuvres tortueuses dans un labyrinthe d’ogives au noir très symbolique. Cette fraîcheur ne messied pas, loin de là, à ce semiseria au dénouement tragique qu’est aussi l’opéra de Verdi.


Une dimension qu’a bien comprise Daniel Oren, remarquable de bout en bout. Aussi fluide que théâtrale, aussi généreuse que concentrée, avec un rendu superbe des plans sonores, qui laisse notamment les bois – magnifique clarinette – donner à l’orchestre, aussi en forme que le chœur, un parfum de peinture fraîche, la direction, dès la Sinfonia, refuse de projeter systématiquement la partition vers le Verdi à venir – la trilogie est toute proche. Mais elle n’en élude pas, à la différence de Massimo Zannetti, les tensions parfois très fortes, en particulier dans les ensembles des deux premiers finales, remarquablement maîtrisés. Luisa Miller est une partition difficile, à double visage comme les œuvres de transition : Daniel Oren concilie les oppositions, les fond dans un ensemble, assurant le succès de cette reprise bienvenue.



Didier van Moere

 

 

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