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Pour Martha

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
02/20/2011 -  et 9, 10 (Luzern), 15 (Torino), 19 (Baden-Baden) février 2011
Antonín Dvorák : Scherzo capriccioso, opus 66
Rodion Chédrine : Concerto pour violoncelle, piano et orchestre «Offrande romantique» (création française)
César Franck : Sonate pour violon et piano (transcription pour violoncelle)
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 9, opus 70

Martha Argerich (piano), Mischa Maisky (violoncelle)
Luzerner Sinfonieorchester, Neeme Järvi (direction)


M. Argerich (© Menuhin Festival)


De Dvorák à Glinka en passant par Chédrine et Chostakovitch, l’Orchestre symphonique de Lucerne a fait le choix de l’éclectisme slave pour clore sa tournée européenne avec le chef estonien Neeme Järvi. Ce dernier opte pour un esprit léger et volontiers badin, à l’image de ce bonbon sucré donné en bis – la Valse-Fantaisie (1856) de Mikhaïl Glinka – pendant lequel il fait le clown en mimant d’improbables postures qui provoquent l’hilarité dans la salle. De même, l’entrée en matière du concert se veut particulièrement digeste, le frémissant Scherzo capriccioso (1883) de Dvorák étant conduit avec légèreté et bonhomie, bien que l’on regrette par moments le manque de précision dans les attaques (cuivres, cordes) et quelques ralentis en fin de phrase. On échoue, pourtant, à trouver la clef de ce programme très composite, auquel Mathieu Ferey a bien du mal, dans les notes du concert, à donner un fil conducteur («depuis la révolution romantique, et peut-être face aux outrances du sentiment, l’incapacité de la musique à exprimer autre chose qu’elle-même s’est trouvée défendue de multiples façons»). Et ce n’est pas la création française de l’énigmatique Double concerto (2011) de Chédrine (dont l’Orchestre symphonique de Lucerne est le commanditaire) qui aidera à révéler les intentions des programmateurs.


«J’ai du mal avec le contemporain, mais là, franchement, j’ai adoré!». On se permettra de ne pas partager cette opinion d’une spectatrice durant l’entracte pour rester dubitatif devant une partition-patchwork, où – pour le dire de manière pudique et positive – «l’intrigue se fait plus subtile, entre alternance, opposition, contrepoint et fusion» (M. Ferey). Accueilli par des acclamations et des rappels qu’on croit davantage liés à la popularité des interprètes qu’à la puissance d’une pièce décousue et génératrice de bien peu d’émotions, ce concerto d’environ vingt-cinq minutes ne se départit pas du sentiment de «déjà entendu» qui le caractérise. L’œuvre du compositeur russe (né en 1932) paraît manquer tout à la fois d’unité et de chair. Elle s’ouvre sur un mouvement calme, Sostenuto assai, rempli de mystère, où des voix interrogatives semblent empêchées d’exprimer toute mélodie. Une construction en arche (caractéristique de la partition tout entière) offre au violoncelle l’occasion de porter – de ses phrases longues et assises sur peu de notes – une lente et inquiétante montée en puissance, qui révèle un caractère obsessionnel et univoque.


Le piano noircit encore ce tableau, par l’énoncé d’un motif répété sans cesse à la main gauche (et qui réapparaît à la toute fin du dernier mouvement, également marqué Sostenuto assai): figure de notes inquiétantes et castratrices de toute tentative d’épanouissement mélodique. Encadré par deux mouvements lents, le cœur de l’œuvre ne pouvait que ménager des moments d’emballement. Comme on devait s’y attendre, les mouvements centraux progressent par à-coups – de Moderato quasi andantino à Allegro non troppo – et présentent une toccata «grand format», où orchestre et solistes jouent à l’unisson, se transformant en machine à trancher les notes et découper les sons (l’acharnement du violoncelle solo à guillotiner les cordes fait plus particulièrement son effet). Inévitablement, l’œuvre se referme dans le calme et l’apaisement du violoncelle – non sans que le piano ait préalablement rappelé les motifs obsédants entendu dès le début. Tout au long de la partition d’ailleurs, le violoncelle – qui use et abuse du vibrato – semble prendre son élan pour amorcer une mélodie qui n’émerge jamais qu’avec difficulté et toujours dans un registre dépressif, sans espoir.


En seconde partie, la Neuvième symphonie (1945) de Chostakovitch souffre, d’abord et avant tout, d’une prestation orchestrale plutôt ordinaire. Il faut dire que l’Orchestre symphonique de Lucerne est loin d’égaler celui du Festival de la même ville, avec lequel on le confond parfois. Le professionnalisme de la formation fondée en 1806 n’est pas en cause, mais son manque d’impact instrumental constitue une faille gênante pour Chostakovitch, qui appelle puissance et tranchant (comme avec l’Orchestre de la Radio bavaroise il y a deux mois) – et ce, bien que l’Opus 70 soit au fond très «chambriste». Ainsi déplore-t-on des pupitres bien anonymes (la flûte surtout – davantage que la clarinette –, le basson aussi – très applaudi pourtant). On regrette aussi des approximations dans les attaques et un défaut de constance chez les cuivres (parfois criards)... ainsi que – dans une moindre mesure – chez les cordes (pourtant très rigoureuses, notamment dans le Moderato et la marche de l’Allegro conclusif). En revanche, Neeme Järvi démontre une nouvelle fois ses grandes affinités avec Chostakovitch.




Placée au centre de ce concert, la Sonate pour violoncelle et piano (1886) de Franck offre – en lieu et place de celle de Prokofiev annoncée en début de saison – plus qu’un intermède à ce concert symphonique: un véritable plat de résistance, l’œuvre étant non seulement la plus longue de celles présentées ce soir, mais également la mieux interprétée. L’Allegretto ben moderato déçoit pourtant, la faute à une conduite heurtée de la ligne de chant et à des tempos qui subissent trop d’à-coups. La faute aussi à un Mischa Maisky qui dispense une sonorité qu’on aimerait plus ronde et davantage tenue. Rien à redire, en revanche, sur le piano fougueux et éloquent de Martha Argerich. Bien que les tempos continuent de flirter avec l’expéditif (rendant la coordination délicate entre les deux complices), l’Allegro voit le violoncelliste mieux dominer son archet, alors que sa partenaire assène les mêmes coups des griffes que ceux qu’elle imprime au piano depuis plus de trente ans dans cette œuvre qui n’a jamais quitté son répertoire. Les deux derniers mouvements atteignent des sommets d’émotion. Dans l’intimité du Ben moderato. Molto lento, le spectateur assiste, silencieux, à la magie de l’osmose instrumentale que seule la musique de chambre peut offrir à un tel degré de perfection, l’émotion à fleur de peau du violoncelle se lovant au creux d’un piano profondément attentif et totalement maîtrisé. L’Allegretto poco mosso vient conclure cette démonstration de musicalité dans le naturel d’un tempo d’évidence, les quelques défauts d’intonation de Mischa étant largement occultés par les fulgurances de Martha.


Le site de Mischa Maisky
Le site de Neeme Järvi
Le site de l’Orchestre symphonique de Lucerne



Gilles d’Heyres

 

 

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