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Terre et mer

Paris
Salle Pleyel
01/28/2011 -  
Antonín Dvorák : Danses slaves, opus 46, B. 83 n° 1, n° 3, n° 6 et n° 8, et opus 72, B. 147 n° 2 et n° 7
Alexander von Zemlinsky : Die Seejungfrau

Orchestre philharmonique de Radio France, Andrey Boreyko (direction)


A. Boreyko


Bonne idée que de consacrer une (courte) partie de la soirée à six des seize Danses slaves formant les Opus 46 (1878) et Opus 72 (1886/1887) de Dvorák, car les quelques-unes qu’il est parfois donné d’entendre en concert ne le sont généralement qu’à la faveur d’un bis. Mais dommage d’être resté en si bon chemin, car le temps imparti aurait largement permis d’offrir un recueil complet au lieu de quatre tirées du premier et deux du second. Sans grande originalité, les plus célèbres ont été choisies – Première et Huitième de l’Opus 46, Deuxième et Septième de l’Opus 72 – mais les deux autres – Troisième et Sixième de l’Opus 46 – confirment, s’il en était besoin, qu’aucun de ses seize bijoux ne mérite d’être négligé.


La démonstration est d’autant plus convaincante que l’Orchestre philharmonique de Radio France jouit d’une santé éclatante et prend visiblement plaisir à interpréter ces pièces sous la direction d’Andrey Boreyko (né en 1957), Generalmusikdirektor à Düsseldorf depuis la saison l’automne 2009 et successeur désigné de Walter Weller comme directeur musical de l’Orchestre national de Belgique à compter de la saison 2012-2013. Furiant, polka, sousedska, doumka et kolo semblent n’avoir aucun secret pour le chef russe, qui, sans céder à un sentimentalisme déplacé, prend le temps de laisser chanter les mélodies et de faire admirer une orchestration très travaillée. Eclat et finesse, vitalité et tendresse, nervosité et raffinement, rien ne manque à ces pages d’apparence facile mais dans lesquelles bon nombre se sont pourtant fourvoyés et peu – hormis sans doute Szell et peut-être Dorati – ont pu menacer les Tchèques – Talich, Jeremias, Ancerl, Kubelík – sur leur propre terrain.


De ce solide enracinement terrien à la fraîcheur de l’onde, pas d’autre logique, de part et d’autre de l’entracte, que l’appartenance des deux compositeurs à cet Empire austro-hongrois à la fois riche et malade de la diversité de ses peuples: Zemlinsky, lui-même originaire d’une famille slovaque, autrichienne et bosniaque, mais aussi catholique, juive et musulmane, fut d’ailleurs en poste au Théâtre allemand de Prague de 1911 à 1927, où il créa notamment Erwartung de Schönberg. La figure de celui qui fut son (unique) maître et épousa sa sœur Mathilde (1877-1923) en 1901 doit également être évoquée à propos de La Petite Sirène (1903), puisque cette «fantaisie» de Zemlinsky inspirée par le conte d’Andersen fut créée lors du même concert que Pelléas et Mélisande. Elle en partage le gigantisme instrumental – quoique sans l’atteindre tout à fait – bois par trois ou quatre, six cors, trois trompettes, quatre trombones, tuba, timbales, percussion (deux exécutants), deux harpes et cordes –, la luxuriance orchestrale typiquement postromantique et l’ampleur (un peu plus de trois quarts d’heure), même si elle ne se déroule pas d’un seul tenant – le programme de salle, devenu bien lapidaire cette saison à Radio France, ne précisant pas qu’elle est structurée en trois parties.


Mais les ressemblances s’arrêtent là: moins narrative que l’immense poème symphonique de Schönberg, cette Petite Sirène est en outre harmoniquement moins aventureuse et mélodiquement peu frappante, à l’image de ce thème qui évoque fâcheusement le mouvement lent de la Cinquième Symphonie de Tchaïkovski. L’impression prédomine trop souvent que le pilote automatique a été enclenché, que le robinet à sortilèges straussiens a été ouvert et qu’il pourrait le rester une demi-heure de plus (ou de moins) sans que cela change grand-chose à l’affaire. L’artisanat talentueux de l’un n’égale pas ici le génie novateur de l’autre, exactement comme la même année en France la confrontation entre d’Indy (Jour d’été à la montagne) et Debussy (La Mer), ou bien, pour rester dans cette dense période viennoise, la différence entre le trait décoratif d’un Klimt et l’intensité expressive d’un Schiele. Bref, la lutte du pot de terre contre le pot de fer, avec ce que cela inclut de sympathie pour le premier.


Au demeurant, l’engagement de Boreyko, qui mène à bon port cette fresque de vastes dimensions, n’est pas en cause, ni celui de l’orchestre, qui retrouve ainsi un répertoire beaucoup pratiqué du temps de Janowski et qui clôt ainsi avec brio son cycle Zemlinsky. Inauguré dès septembre avec la Sinfonietta, il a ensuite permis d’entendre les Six Chants sur des poèmes de Maeterlinck et la Symphonie lyrique: une entreprise indéniablement utile pour mieux faire connaissance avec le quatrième mousquetaire de la seconde «école de Vienne». Pas de miracle cependant: malgré la présence de Dvorák à l’affiche, le public ne s’est pas rendu en masse salle Pleyel, où il n’a pas été nécessaire d’ouvrir l’arrière-scène et le second balcon, pour découvrir cette partition rare – ou, du moins, assez rare, puisqu’elle fut enregistrée notamment par James Conlon, fidèle avocat du compositeur, et déjà programmée en septembre 2001 par le National avec Emmanuel Krivine puis en avril 2004 par l’Orchestre de Paris avec Armin Jordan, soit en fin de compte presque aussi souvent que la Symphonie lyrique, certainement son œuvre orchestrale la plus fréquemment jouée.



Simon Corley

 

 

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