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Barenboim l’inexplicable

Baden-Baden
Festspielhaus
11/04/2010 -  
Franz Schubert : Quatre Impromptus D. 935 – Sonate N° 21, D. 960.
Daniel Barenboim (piano)


D. Barenboim (© Marcus Gernsbeck))


Dans la vaste salle du Festspielhaus de Baden-Baden, la sonorité feutrée de Daniel Barenboim nécessite de s’habituer d’emblée à une dynamique centrée sur une majorité de nuances piano. Ce d’autant plus que l'interprète ne profite pas, contrairement à certains de ses collègues, des premières minutes de son récital pour adapter son jeu en fonction des retours acoustiques qui lui parviennent d’un auditorium rempli.


Jeu mesuré et sans grands éclats, donc, mais qui impose d’emblée dans le second recueil des Impromptus de Schubert un ton de confidence et un fascinant creusement des nuances. On sent Barenboim attentif à chaque détail qu’il puisse mettre en scène, qu’il puisse faire ressentir comme un évènement qui possède son poids dramatique intrinsèque. A ce titre une telle interprétation est facile à écouter, tant l’intérêt s’y trouve en quelque sorte relancé note après note. Ce qui impressionne aussi un peu partout, c’est la familiarité patente du pianiste avec ce répertoire de base, qu’il joue par cœur mais qu’il interprète presque « à vue », comme d’autres rouvrent une partition un moment délaissée pour la relire et y redécouvrir ceci ou cela. Les accidents de parcours digitaux restent rares mais parfois, dans l’instant, un page convainc davantage qu’une autre. Et on n’est pas du tout sûr que le lendemain il en irait de même aux mêmes endroits. Imprévisible et passionnant Barenboim, un musicien dont on admire évidemment les qualités de pianiste mais bien plus encore, qu’il soit ici aujourd’hui à son clavier ou ailleurs tenant une baguette, la sûreté diabolique du traducteur de notes, l’art d’aller à l’essentiel au risque parfois de paraître négligent sur ceci ou cela, voire de frustrer par ce qui pourrait éventuellement passer pour de la facilité.


Daniel Barenboim est venu chercher à Baden-Baden le Prix Herbert von Karajan, décerné chaque année à une personnalité importante du monde musical. Les choix des saisons précédentes n’ont guère brillé par leur audace (Anne-Sophie Mutter, Alfred Brendel, Thomas Quasthoff, John Neumeier…) et celui de ce soir était assez prévisible aussi. Cela dit la remise solennelle de ce prix sert toujours de prétexte à de remarquables concerts et les fonds attribués (50 000 €) servent en principe au lauréat pour financer un projet pédagogique qui lui tient à cœur. Pour Barenboim ce sera le perfectionnement des plus jeunes musiciens destinés à prendre la relève de son West-Eastern Divan Orchestra.


Partie centrale très officielle que cette remise de prix, marquée traditionnellement par l’irruption d’une personnalité importante pour prononcer l'indispensable panégyrique. Cette année c’est Pierre Boulez qui aurait dû s’acquitter de cette tâche mais qui, retenu aux Etats Unis pour raison de santé, n’a pu que rédiger son discours et non le prononcer. En son absence, c’est le compositeur Wolgang Rihm qui a assuré cette lecture, non sans préciser malicieusement au préalable qu’il était très impressionné de « créer une toute nouvelle œuvre de Pierre Boulez » ! Un beau discours, rédigé dans un allemand d’une clarté remarquable (presque trop bien construit et concis, d’ailleurs, pour paraître authentiquement germanique) et qui souligne avec tact les talents protéiformes du lauréat, dont l’ubiquité et l’excellence sur touts les fronts ont effectivement, pour reprendre le terme précis employé par Pierre Boulez, quelque chose d’« inexplicable » (unerklärliches).


En seconde partie, retour aux lumières tamisées d’un Schubert faussement calme, avec une Sonate D. 960 parcourue sans hâte ni divines longueurs, itinéraire d’un Wanderer tantôt placide tantôt en proie à des affres que l’on devine et qui passent comme des ombres, sans jamais retarder une marche qui continue. Vers quoi ? Question sans réponse. A la fin de ces quatre mouvements, qui n’ont jamais paru longs, l’interprète se lève d’un bond… et pense sans doute déjà à tout autre chose ! Mais en nous la magie de ces instants continue à opérer. Le phénomène Barenboim, c’est aussi cela.


A l'heure des bis arrive enfin un Chopin que l’on n’attendait plus, ou du moins qui avait été annoncé puis déprogrammé. Initialement cette soirée devait être un récital Chopin entier, le maestro ayant cependant décidé au dernier moment que Schubert serait plus adapté pour un prix décerné dans l’ombre d’Herbert von Karajan. En tout deux suppléments, faciles. Un 8e Nocturne prodigieux de couleurs et de nuances, dont les accords résonnent déjà presque comme chez Fauré, et une effarante 6e Polonaise, dont les notes se précipitent avec une belle furia mais tombent avec la justesse approximative d’un morceau tout juste ressorti des fonds de mémoire et pas très spécifiquement retravaillé. En définitive il était effectivement préférable d’opter pour une soirée Schubert!



Laurent Barthel

 

 

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