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Haendel avec ou sans ceinture ?

Paris
Cité de la Musique
02/24/1998 -  

Paris
Mardi 24 février 1998
Cité de la Musique
Georg Friedrich Haendel : Giulio Cesare
Jennifer Larmore (César), Maria Bayo (Cléopâtre), Bernarda Fink (Cornélie), Iris Vermillion (Sestus), Graham Pushee (Ptolémée), Olivier Lallouette (Curion)
Concerto Köln, René Jacobs (direction)

Gand-Anvers (version scénique)
8, 11, 15, 17, 19, 26, 28 février, 3, 6, 8 mars 1998
Opéra des Flandres
Grenoble -Poissy (version concert)
21, 23 février
Georg Friedrich Haendel : Sémélé
Rosemary Joshua (Semele), Della Jones (Junon), Sara Fulgoni (Ino), Kathleen Brett (Iris), Roberto Balconi (Athamas), Charles Workman (Jupiter), Gidon Saks (Cadmus-Somnus)
Choeur de l'Opéra des Flandres, Les Musiciens du Louvre, Marc Minkowski (direction)

Ni les différences d'approche, ni les limites respectives ne doivent masquer l'essentiel : les deux chefs haendéliens les plus passionnés de notre époque se succédant à Paris d'un soir à l'autre, voilà un bonheur rare !

Quelle est la différence entre une Renault Espace lancée sur autoroute et une Carrera 911 avalant les virages d'une petite route de montagne ? Voilà en tout cas l'image qui venait à l'esprit en retrouvant René Jacobs dans ce Jules César qu'il fut le premier à nous rendre tel qu'au premier jour et qu'il a rôdé de concerts en disque justement célébrés (Harmonia Mundi 901385.87, indispensable), et en découvrant Marc Minkowski, un an après son triomphal Ariodante et dans la foulée de la sortie du disque (ARCHIV-DG 457 271-2, tout simplement le meilleur enregistrement jamais réalisé d'un opéra de Haendel), aborder cette oeuvre étrange et hybride qu'est Sémélé.

En Belgique, le chef français se heurtait à un adversaire inattendu : la production de Robert Carsen créée avec William Christie à Aix-en-Provence, suprêmement élégante comme toujours, d'une drôlerie et d'une légèreté irrésistibles, mais parfaitement à côté de la plaque au niveau dramatique. Sous ses travers de badinage libertin, et par la litote d'une musique exquise, Sémélé est l'une des rares oeuvres lyriques à explorer les mythes fondateurs de notre culture, le monde du sommeil comme espace de liberté et la libération des forces dionysiaques à l'assaut de l'ordre social. Emaillée de contresens (dans le traitement du choeur en particulier), la lecture de Carsen réduit cette tragédie cosmique à une banale histoire de stupre et d'ambition transposée à la cour d'Angleterre. Il n'y manque plus qu'un piano et deux ou trois chandelles.

Minkowski fait de son mieux pour retrouver Haendel par delà ces sucreries, et il y parvient la plupart du temps. L'orage du premier acte, la mort déchirante de l'héroïne qui se perd dans le silence, immédiatement suivie d'un choeur oppressant et grandiose, tout cela bouleverse jusqu'aux larmes, comme ce sombre miroitement de cordes dont les masses se renforcent et s'allègent avec une maîtrise et un naturel confondants (prodigieux violoncelle solo dans le continuo). Dans le rythme, dans la dynamique, dans la pulsation dramatique tout simplement, Minkowski tisse comme toujours un fil invisible avec ses chanteurs. Extraordinaire "Whe'ver you walk" de Charles Workman, dont le Jupiter domine la soirée, par l'allure, par la beauté du timbre et de la phrase qu'on imaginait pas si flexibles et si riches (seule la virtuosité de "I must with speed amuse her" fait un peu défaut). Della Jones, certes, n'a presque plus de voix. Reste l'une des dictions les plus parfaites du chant anglais (quels récitatifs !) et une intelligence, un abattage scénique qui font tout pardonner. Sara Fulgoni fait entrevoir de très belles choses dans un rôle qui ne permet guère de briller, Rosemary Joshua laisse pour sa part un sentiment mitigé. Physiquement ravissante, joli timbre bien assis sur une tessiture très longue, un charme évident dans les passages lyriques ("O, Sleep"), en dépit des incertitudes du chant sur le souffle. C'est ce soir la virtuosité qui blesse, obligeant Minkowski à couper le moteur dans les vocalises de "No, no, I'll take no less" - pour reprendre au quart de tour dans les ritournelles orchestrales ! Une composante pourtant essentielle, dont l'absence ajoute au sentiment d'inachèvement d'une soirée riche en instants exceptionnels.

Pas de baisse de régime pour Jacobs, chez lequel on serait bien en peine cependant de déceler une intention nouvelle au bout de bientôt dix années de gloire avec ce qui restera comme son grand tube haendélien (le sommet ayant été atteint, nous semble-t-il, en 1994 à Poissy). On se penche avec délice sur les reflets de son merveilleux orchestre, on frémit de bonheur devant tant d'excitation rythmique, et l'on déplore simplement de le sentir prisonnier d'un système qui ne laisse aucune place à l'inspiration de l'instant - à preuve ce crescendo-accelerando impressionnant, mais parfaitement répétitif qui ponctue chaque air de virtuosité. Contrairement à Minkowski, Jacobs ne sait pas écouter ses chanteurs. Bernarda Fink, Cornélie toujours sublime, aurait besoin d'un autre partenaire pour mettre en valeur ses extraordinaires nuances piano. Il sait en revanche les styler, les discipliner, et ce que fait Jennifer Larmore dans une tessiture trop grave pour elle et avec les défauts d'émission et de projection que l'on sait (des sonorités de plus en plus dans les joues), force l'admiration : virtuosité conquise de haute lutte mais bien réelle, exactitude musicale, souplesse de la phrase et présence dramatique constante ; l'un des grands rôles de sa carrière. Maria Bayo, avec cette émission raide, ce timbre métallique qui peuvent irriter - mais quelle projection !-, oublie ses errements stylistiques de Garnier où Bolton la laissait faire n'importe quoi et s'applique à chanter Haendel avec un mélange assez curieux de panache et de retenue. Quoi qu'il en soit, les bonnes Cléopâtre ne courent pas les rues, et ce n'est pas Barbara Schlick au disque qui nous démentira. Il n'était pas difficile en revanche de trouver contre-ténor moins miaulant que Graham Pushee, ni meilleur Sesto qu'Iris Vermillion, artiste intègre complètement dépassée par les exigences du rôle. Des coupures un peu trop larges ternissent également ce concert d'un niveau global néanmoins élevé compte tenu des standards courants.

La sécurité contre l'aventure ? Par chance, personne ne nous a demandé de choisir.



Vincent Agrech

 

 

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