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Big bang pianistique

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
11/18/2010 -  et 19 novembre 2010
Christophe Bertrand : Ayas, fanfare
Igor Stravinsky : Symphonie en trois mouvements – Concerto pour piano et instruments à vents
Sergei Prokofiev : Concerto pour piano n° 1, opus 10 – L’Amour des trois oranges, suite symphonique, opus 33a

Alexander Toradze (piano)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Dima Slobodeniouk (direction)


A. Toradze (The Toradze Piano Studio)


On a entendu beaucoup de notes de piano au cours de cette fin de semaine strasbourgeoise, avec les six concerts d’un marathon Prokofiev/Stravinsky managé avec un enthousiasme un peu fou par Alexander Toradze, phénomène du clavier comme on n’en connaît que peu. Que ce soit au Palais de la Musique ou dans la salle plus confidentielle de la Cité de la musique les instruments ont probablement souffert, sous les doigts vigoureux du maître mais aussi de toute une brochette de jeunes disciples de son Toradze Piano Studio, pianistes aux noms imprononçables dont les moyens physiques, rien qu’à en croiser certains spécimens dans le public au cours du présent concert, ont l’air assez terrifiants aussi.


Pour l’instant, au cours de ce programme symphonique initial dont les proportions ont déjà l’air d’une course de fond, c’est le seul Alexander Toradze qui ouvre le feu, dans un Premier Concerto de Prokofiev à tout casser, y compris l’instrument. Les marteaux et la mécanique résistent mais après l’entracte, en plein milieu du Concerto pour piano et vents de Stravinsky, le pianiste doit déplier brutalement sa petite silhouette ronde pour fourrager sur la table et arracher une corde rompue. Au vu de la précision sèche et efficace du geste, Toradze ne doit pas en être à son premier accident du genre. Et pourtant même à ce degré de puissance phénoménale, il faut malheureusement constater que pendant les grands tutti (mais c’est à vrai dire presque toujours le cas pour Prokofiev, à part dans certaines salles bien précises) on devine certains traits du soliste davantage qu’on ne les entend.


L’effectif plus réduit en nombre, mais loin d’être confidentiel, du Concerto de Stravinsky permet de mieux écouter la partie principale. Malheureusement l’accord initial de l’instrument n’est plus qu’un lointain souvenir à ce moment là et les agrégats complexes semblent avoir perdu leurs couleurs, alors même que l’interprète, constamment imaginatif voire poétique, qualités peu usuelles dans Stravinsky, ne paraît absolument pas en cause. Dans les moments les plus chargés en notes s’invite aussi un instrument à percussion non prévu : les deux pieds du pianiste, qui lui servent à prendre des appuis musculaires énormes et font un bruit épouvantable. On imagine que les ingénieurs du son de ce concert retransmis par France Musique ont été à la peine, à la fois pour minimiser ces cognements mais aussi pour gérer de gros décalages entre le soliste et l’orchestre dans le Concerto de Prokofiev. Succès tonitruant, en tout cas, pour cette performance hors normes. Même si en définitive la vraie musicalité de ce pianiste merveilleux reste plus perceptible au disque que dans ce contexte ébouriffant d’un soir, où l’on est parfois plus proche de la présentation d’un phénomène de cirque façon Barnum que d’une exécution musicalement achevée.


Dans ce programme fleuve, monté en peu de temps avec un chef invité, les qualités de réactivité d’un orchestre et sa cohésion sont mises à rude épreuve, un test dont le Philharmonique de Strasbourg a paru triompher avec panache, énergiquement dirigé par Dima Slobodeniouk, encore peu connu mais qui paraît avoir l’étoffe d’un vrai meneur de masses. Dans la Symphonie en trois mouvements de Stravinsky, à la fois austère et bizarrement hétérogène, sorte de champ d’expérimentation d’un compositeur qui se cherche un nouveau style mais qui tâtonne avec classe, on pourrait certainement s’amuser à chercher les pailles d’une exécution travaillée al fresco. Peu importe, car l'enthousiasme du chef et la qualité de nombreux pupitres redonnent l’envie d’écouter cette œuvre un peu oubliée, sans doute à tort. Dans la Suite de l’Amour des trois oranges l’orchestre trouve plus naturellement ses marques et sonne avec une conviction et une précision convaincants, particulièrement dans une extraordinaire Scène infernale. Parmi les petites interventions solistes, on remarque l’alto chaleureux de Harold Hirtz mais on peut déplorer que le départ de Vladen Chernomor, Konzertmeister qui finalement n’a pas pu se maintenir à son poste plus d’une saison, laisse à nouveau dans l’orchestre un vide gênant.


Proposée en début de programme, la brève Fanfare de Philippe Bertrand (1981-2010) a pris au dépourvu le public, qui ne s’attendait à cette irruption d’un langage très contemporain. Concise et belle, cette œuvre constitue un apport de choix à un genre difficile qui prend vite des airs pompeux de générique officiel. Or ici une sorte de flamboiement massif et barbare, ponctué d’ostinati de percussions, hisse facilement le niveau au-dessus de celui d’une musique de circonstance. Une vraie et douloureuse perte que la disparition brutale de Christophe Bertrand, dont on espère qu’au moins à Strasbourg, sa ville d’origine, ses œuvres ne tomberont pas dans l’oubli.



Laurent Barthel

 

 

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