About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Délibérément inauthentique

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
11/13/2010 -  et 11 novembre 2010 (Frankfurt)
Dimitri Chostakovitch: Concerto pour violon n° 1, opus 77/99
Ludwig van Beethoven: Symphonie n° 3 «Héroïque», opus 55 (version Mahler)

Julia Fischer (violon)
London Philharmonic Orchestra, Vladimir Jurowski (direction)


J. Fischer (© Decca/Uwe Arens)


Vladimir Jurowski se produit cinq fois cette saison à Paris, autant d’occasions pour le public de la capitale de découvrir les différentes facettes symphoniques de cette étoile montante qui brille aussi depuis longtemps dans le ciel lyrique, notamment en tant que directeur artistique du festival de Glyndebourne depuis 2001. Il viendra ainsi non seulement en tant que chef invité avec l’Orchestre de chambre d’Europe et Joshua Bell à la Cité de la musique (17 décembre) puis avec la Staatskapelle de Dresde et Sergej Krylov au Théâtre des Champs-Elysées (11 janvier), mais aussi, toujours avenue Montaigne, à la tête de deux des orchestres auxquels il est attaché, d’une part celui de l’Age des Lumières (22 janvier), dont il est principal artist depuis 2006, et, d’autre part, à deux reprises, le Philharmonique de Londres, dont il est devenu principal conductor en 2007. Avec la formation fondée par Beecham en 1932 – et dont la liste des directeurs musicaux désignés à sa suite ne manque pas d’allure (van Beinum, Boult, Steinberg, Pritchard, Haitink, Solti, Tennstedt, Welser-Möst, Masur) – il effectue chacune de ses deux visites en compagnie d’un violoniste: le 21 mars, ce sera Christian Tetzlaff, mais en cet automne à Paris, c’est l’avant-dernière étape, avant Bruxelles, d’une tournée commencée en Espagne fin octobre, puis poursuivie en Allemagne et à Dijon, avec les pianistes Leif Ove Andsnes et Nicholas Angelich, mais à laquelle Julia Fischer se joint également en plusieurs occasions.


Dans un Premier concerto (1948) de Chostakovitch d’une formidable tenue technique et stylistique, elle captive mouvement après mouvement: Nocturne au chant mélancolique et fragile, presque hésitant, confession sans effusions inutiles qui évolue vers la déploration, dans l’univers sombre et inquiétant créé par l’orchestre; Scherzo où Jurowski mène la danse (macabre) et ne bride pas ses musiciens, auxquels la soliste parvient cependant à tenir tête; expression plus libérée dans la Passacaille, ouverte par un préambule orchestral magnifiquement réalisé, comme un somptueux portique; progression spectaculaire et maîtrisée de la cadence vers le finale, Burlesque sans la moindre once de vulgarité, d’une effrayante sécheresse et enlevée à un train d’enfer. Remportant un triomphe, la violoniste allemande remercie une salle comble en annonçant, dans un français parfait, le troisième mouvement de la Deuxième Sonate d’Ysaÿe... mais c’est en réalité celui de la Première Sonate (1923) qu’elle joue de manière idéalement souple et soyeuse.


La Troisième Symphonie (1804) de Beethoven bat tous les records cette année à Paris, où elle sera donnée à une dizaine de reprises: après Dohnányi (voir ici), avant – notamment – Thielemann, Haitink, Janowski et Barenboim, c’est donc également le choix de Jurowski. Ce fut également celui de Mahler en novembre 1898 pour son premier programme en tant que responsable des concerts d’abonnement de la Philharmonie de Vienne, alors même que son prédécesseur, Hans Richter, l’avait dirigée quelques mois plus tôt. Comme avec Schumann à la même époque, il procéda à un certain nombre de modifications d’instrumentation et de phrasé: s’il justifiait cette démarche par l’évolution des salles et de la facture instrumentale, les réactions furent parfois virulentes, certains ne manquant pas de se gausser de celui qui prétendait «corriger» l’original. A l’heure des interprétations «authentiques», Jurowski, qui, comme on l’a vu, travaille régulièrement avec un ensemble d’instruments «anciens», montre qu’il n’est pas doctrinaire, puisqu’il a souhaité reconstituer cette adaptation tout sauf «authentique», précision qui n’avait d’ailleurs été annoncée ni dans la brochure, ni sur le site du Théâtre des Champs-Elysées. Pourquoi pas – après tout, les arrangements de Bach par Stokowski connaissent un retour en grâce – et bonne surprise, en fin de compte, car il est certain qu’une telle expérimentation ne ressemble à aucune des nombreuses autres versions qui seront proposées dans les mois à venir.


Avant même que la première note n’ait retenti, c’est le gigantisme des forces en présence qui frappe: pas moins de quatre-vingt-douze musiciens! Les rangs de cordes sont certes assez fournis (soixante exécutants) et, surtout, tous les pupitres de bois et de cuivres sont doublés: les «supplémentaires» n’interviennent bien sûr que pour renforcer certains tutti, mais on remarque en outre la présence, aux côtés des quatre clarinettes, d’une petite clarinette en mi bémol. La stridence de cet instrument alors essentiellement associé aux fanfares et harmonies avait fait scandale: cette touche de couleur un peu criarde vient pourtant rappeler l’influence sur Beethoven des musiques de plein air de l’ère révolutionnaire, d’autant plus naturelle pour une œuvre qui devait être dédiée à Bonaparte, dans lequel le compositeur voyait le porteur des idéaux de 1789 jusqu’à ce qu’il se fît couronner empereur. Ce que résume avec beaucoup de pertinence un spectateur à la sortie du concert: «on a l’impression d’entendre la Garde républicaine»... De fait, les cuivres s’en donnent à cœur joie: en juin 1900 dans l’immense palais du Trocadéro, lorsque Mahler avait dirigé cette Héroïque devant 4000 personnes, Willy s’était d’ailleurs demandé s’il était pertinent de «faire souffler à huit cors tels motifs écrits pour un ou deux».


Recueillis avec son exhaustivité coutumière par Henry-Louis de la Grange dans sa volumineuse monographie parue chez Fayard, les témoignages sur la façon exacte dont Mahler abordait cette symphonie ne sont pas entièrement concordants: leçon d’humilité pour les lointains successeurs des critiques viennois, même si les commentaires contradictoires de la presse traduisent sans doute aussi pour partie l’expression de tendances antisémites et si le succès auprès du public semble ne pas être contesté. Les avis concordent toutefois sur le fait que son tempo était très retenu dans le Scherzo, que, dans certains passages, il faisait lever le pavillon aux hautbois, clarinettes, cors ou trompettes et que, plus généralement, il manifestait un souci de dépoussiérer des décennies de tradition qui le conduisait à multiplier les répétitions et à soigner excessivement la mise en valeur des détails. Mais Mahler s’est lui-même exprimé sur sa conception: il voyait ainsi dans le deuxième mouvement la «procession funèbre du héros dans toute sa puissance et son tragique» (description évoquant d’ailleurs aussi bien le premier mouvement de sa propre Deuxième Symphonie), tandis qu’il estimait qu’on interprétait habituellement trop vite le motif en pizzicati des basses au début du finale, «comme s’il s’agissait du thème principal» alors que selon lui, «Beethoven s’essaye, méditativement, humoristiquement, à marcher, et il y arrive peu à peu».


Tout cela – y compris la disposition des pupitres «à la viennoise» (violons I à gauche, violons II à droite, contrebasses au fond sur un seul rang), mais à l’exception, fort heureusement, de la lenteur du Scherzo – revit grâce à la baguette de Jurowski, qui, au travers de cette capacité à obtenir ce qu’il veut d’un orchestre plus discipliné que brillant, confirme ainsi un métier hors du commun. L’effet paraît certes un peu massif dans l’Allegro con brio, avançant par à-coups et à allure fluctuante, voire hachée, mais la battue demeure dynamique, incisive et transparente, conférant aux différentes voix une grande lisibilité, sans doute encore accrue par l’acoustique bien nette du Théâtre des Champs-Elysées. Dense et poignante, très étirée, la Marche funèbre revendique un caractère théâtral et grandiose. Quant au dernier mouvement, hormis l’étonnant jeu précédemment décrit sur le motif initial, il se déroule avec une fougue et un sens dramatique auxquels il est difficile de résister. Même si l’on se souvient que le chef russe est volontiers aventureux, pour ne pas dire artificiel ou iconoclaste, comme en novembre dernier dans une Quatrième de Tchaïkovski assez peu ordinaire (voir ici), le résultat n’en est pas moins déroutant, entre fulgurances et bizarreries. Il est vrai que si les retouches apportées à la partition demeurent relativement limitées, elles ne manquent pas d’étonner ou de faire sursauter, car cette musique est évidemment très familière aux auditeurs.


Le bis avait en quelque sorte déjà été offert en début de concert, puisque la Passacaille (1908) de Webern n’était initialement pas inscrite au programme. S’il est inattendu (et bienvenu), ce lever de rideau ne doit cependant rien au hasard, ou même au seul souci de satisfaire au rituel du triptyque ouverture/concerto/symphonie: non seulement il annonce la Passacaille du concerto de Chostakovitch et les variations concluant la symphonie de Beethoven, mais il bénéficie d’un orchestre d’emblée chauffé à blanc et d’une interprétation survoltée, postromantique en diable, comme un condensé du Pelléas et Mélisande de Schönberg.


Le site de l’Orchestre philharmonique de Londres
Le site de Julia Fischer



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com