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Des voix et un chef Paris Opéra Bastille 09/17/2010 - et 20, 23, 26*, 29 septembre, 5, 8, 11 octobre 2010 Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Eugène Onéguine, opus 24 Nadine Denize (Madame Larina), Olga Guryakova (Tatiana), Alisa Kolosova (Olga), Nona Javakhidze (Filipievna), Ludovic Tézier (Eugène Onéguine), Joseph Kaiser (Lenski), Gleb Nikolski (le Prince Grémine), Jean-Paul Fouchécourt (Monsieur Triquet), Ugo Rabec (Zaretski), Yves Cochois (le Lieutenant), Vincent Morell (Solo ténor)
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, Vasily Petrenko (direction)
Willy Decker (mise en scène)
O. Guryakova, L. Tézier (© Charles Duprat/Opéra national de Paris)
En 2008, la production insolite de Dmitri Tcherniakov, premier spectacle de la dernière année du mandat de Gérard Mortier, avait créé l’événement – le DVD est disponible. Ne pouvait-on la reprendre pour des raisons techniques ? Ne plaisait-elle pas au maître des lieux ? Quinze ans après, en tout cas, la quatrième reprise de celle de Willy Decker, dont on ressort aussi Le Vaisseau fantôme, fait pâle figure à côté. Si l’on ajoute à tout cela une vieille Italienne à Alger, on conviendra que le début de la deuxième saison de Nicolas Joël manque singulièrement d’éclat, surtout pour la première scène lyrique française. Il ne faudrait pas confondre répertoire et routine.
Le metteur en scène allemand s’est-il seulement déplacé ? On ne retrouve guère ici sa patte, lui qui peut diriger les chanteurs avec une rigueur exemplaire et, sans nous bousculer comme un Tcherniakov, renouveler notre approche des chefs-d’œuvre : son Werther, sa Traviata - disponible en DVD chez DG - restent dans nos mémoires. Cet Onéguine a le souffle bien court, ne laissant qu’une impression d’honnête artisanat. La faute aux chanteurs ? Si Ludovic Tézier n’a jamais été une bête de scène, Joseph Kaiser a prouvé à Salzbourg en 2007 – le DVD en témoigne – ce qu’il pouvait faire en Lenski et la Tatiana d’Olga Guryakova s’imposait à Aix dès 2002. Pas de contresens, une lecture au premier degré où rien ne contredit la musique ou le texte, dans un beau décor d’une nudité abstraite, quasi glaciale, huis-clos s’ouvrant sur un espace dont la couleur varie au gré des intermittences du cœur : bleu au premier acte, où tout semble possible, noir ensuite lorsque tout est consommé. Ce sont finalement les belles lumières de Hans Toelstede qui, souvent, tiennent lieu de mise en scène. Il y a toutefois de beaux moments, comme cette réception chez les Grémine, transformée en rituel funèbre, avec ce lustre énorme descendu des cintres, signe d’une richesse lourde, clinquante et vaine. Ou la fin, lorsque Tatiana se réfugie, pour se défendre d’elle-même, dans les bras d’un mari tenant lieu de père. Judicieuse idée, également, que cette omniprésence de la lettre, pivot du drame pour un metteur en scène y voyant la projection de désirs illusoires : lettre de Tatiana à Onéguine de Lenski à Olga, d’Onéguine à Tatiana. Cela ne suffit pas. Refusant le pittoresque – malgré les costumes plus ou moins d’époque –, la production visait à l’universalité intemporelle : faute d’une direction d’acteurs à la hauteur des enjeux, elle s’enlise dans la convention.
Mais on est chez Nicolas Joel : il y a les voix. Celle d’Olga Guryakova, si elle a perdu de sa fraîcheur, a gagné en volume sans perdre son homogénéité, notamment dans l’aigu. Sa Tatiana, ainsi, paraît plus grave, plus lointaine, plus perdue dans ses rêves, plus mélancolique que consumée, toujours aussi émouvante dans la scène de la lettre, plutôt monologue intérieur que grande scène d’opéra. Elle ne risque pas, du coup, rencontrer l’Onéguine distant de Ludovic Tézier, inaccessible et hautain, moins cynique que ténébreux, dont la voix s’est élargie et le timbre enrichi, toujours superbe de ligne, du grave à l’aigu, notamment dans son arioso qu’il couronne d’un beau fa aigu – facultatif – chanté piano. Révélé à Paris par son Fortunio de Favart, Joseph Kaiser renouvelle sa performance salzbourgeoise, Lenski à la fois ardent et pudique, au timbre délicatement velouté, nullement gêné, grâce à une parfaite projection, par les dimensions de Bastille, au chant incomparablement châtié, des tensions désespérées du finale du deuxième acte aux adieux nostalgiques de son air. Face à ce trio d’excellence, le Grémine de Gleb Nikolski, aux aigus incertains, à la ligne instable, ne peut s’imposer. Les rôles secondaires, en revanche, sont heureusement tenus, du Triquet grotesque et touchant, pas vraiment ridicule, de Jean-Paul Fouchécourt à la très belle Olga d’Alisa Kolosova, une pensionnaire de l’Atelier lyrique qu’on va suivre de près – Nadine Denize, elle, fait ce qu’elle peut d’une voix si usée qu’elle ne passe plus. Quant aux chœurs, ils ont sans doute mieux travaillé Onéguine que L’Italienne - beau solo de ténor, au premier acte, de Vincent Morell.
A Garnier, Alexander Vedernikov n’avait pas vraiment convaincu, trop terne pour rendre justice au drame. Aidé par un orchestre au meilleur de lui-même, le jeune et déjà mûr Vasily Petrenko s’attache davantage à faire ressortir les timbres, à créer des atmosphères, privilégiant, dès le Prélude, les couleurs sombres et la mélancolie : lecture très slave, très intimiste, jusque dans ces danses d’où tout est banni tout éclat factice, à laquelle il manque un peu, malgré tout, l’urgence du théâtre et le feu des passions.
Didier van Moere
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