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Des débuts tardifs mais éclatants

Paris
Salle Pleyel
09/22/2010 -  et 23* septembre 2010
Anton Webern : Im Sommerwind
Ernest Chausson : Poème de l’amour et de la mer, opus 19
Henri Dutilleux : Mystère de l’instant
Robert Schumann : Symphonie n° 4, opus 120

Susan Graham (mezzo)
Orchestre de Paris, Bertrand de Billy (direction)


B. de Billy (© Marco Borggreve)



A quarante-cinq ans, Bertrand de Billy (né en 1965) fait sa première apparition à la tête de l’Orchestre de Paris. Il appartient en effet à cette génération de chefs français, autour de la quarantaine, qui a peu dirigé en France et, a fortiori, dans la capitale: Philippe Auguin (né en 1961), Louis Langrée (né en 1961), Frédéric Chaslin (né en 1963) et Emmanuel Villaume (né en 1964), auxquels on peut ajouter Stéphane Denève (né en 1971). Mais si leur patrie les oublie ou les néglige, pourquoi s’en émouvraient-ils? Après tout, certains de leurs illustres prédécesseurs (Münch, Martinon) en avaient pris leur parti et ils ont déjà tous accompli de belles carrières à l’étranger, où la plupart se sont imposés plus particulièrement dans le répertoire lyrique.


Nul n’est prophète en son pays? De Billy, pour sa part, dans un intéressant entretien mis en ligne sur le site de l’Orchestre de Paris, prend les choses avec philosophie: «Tant qu’on est prophète quelque part, le principal c’est de faire de la musique.» Au demeurant, son parcours suffit à plaider pour lui: chef principal à Dessau (1993-1995) puis au Volksoper de Vienne (1996-1998), et directeur musical du Liceu (1999 à 2004), il s’est par ailleurs produit au Met, à Covent Garden, à l’Opéra d’Etat de Berlin, à Vienne, à Los Angeles et à même à Bastille voici plus de dix ans. Directeur musical de l’Orchestre symphonique de la Radio autrichienne (2002-2010), il a également été invité par de prestigieuses formations, comme Cleveland mais aussi Dresde, où il fera ses débuts cette saison. A ce rythme-là, voilà un chef qui sera bientôt tellement sollicité qu’il n’aura aucun remords ou regret à exclure la France de son planning: bravo à Didier de Cottignies, directeur artistique de l’Orchestre de Paris, de l’avoir invité pendant qu’il en est encore temps!


Eclectique et même disparate en apparence, le programme offre toutefois selon lui un «résumé de sa carrière», ne serait-ce que par sa dualité franco-germanique. Il traduit aussi – explicitement en première partie, plus allusivement en seconde partie – différentes formes d’«expression de la nature et du cosmos». En ce jeudi soir, les spectateurs sont hélas trop peu nombreux: aux mouvements sociaux ayant affecté les transports publics s’ajoutent d’autres tentations symphoniques, que ce soit le National au Châtelet ou Rotterdam au Théâtre des Champs-Elysées. La soirée débute par une rareté webernienne, Im Sommerwind (1904), «idylle pour grand orchestre» – certes quatre clarinettes et six cors, mais seulement deux trompettes et pas de trombones ni tuba – d’un tout jeune compositeur (21 ans) sous influence straussienne: de Billy joue à fond la carte de la luxuriance et des scintillements postromantiques, avec des musiciens sachant passer en un éclair de la subtilité à l’opulence.


Susan Graham vient ensuite plonger Pleyel dans les envoûtements du Poème de l’amour et de la mer (1892) de Chausson et, pour sa première collaboration avec le chef, la mezzo américaine renouvelle sa performance de février 2008 dans Les Nuits d’été de Berlioz (voir ici). Robe et bijoux fastueux, port et poses augustes, jusque dans une révérence très étudiée, elle a tout de la diva, y compris l’essentiel: une voix – intonation juste, puissance maîtrisée, plénitude réconfortante, timbre homogène sur l’ensemble de la tessiture, hormis quelques aigus un peu moins assurés, histoire sans doute de pouvoir dire que la perfection n’est pas de ce monde. Il ne faut certes pas espérer profiter pleinement des poèmes de Maurice Bouchor, mais si la diction et l’accent demeurent perfectibles, l’intelligence du texte est en revanche irréprochable.


Lors de son mandat viennois, Bertrand de Billy a programmé l’intégralité de l’œuvre de Dutilleux et a donc souhaité en présenter ici un échantillon. Après avoir d’abord envisagé Timbres, espace, mouvement, il a finalement porté son choix sur le plus rare Mystère de l’instant (1989): bien que l’effectif instrumental (cymbalum magyar compris) et le fait que la pièce ait été commandée par Paul Sacher, créateur de la Musique pour cordes, percussion et célesta, renvoient à Bartók, il en fait ressortir l’intensité et le lyrisme d’une manière qui évoque davantage Berg.


Le concert se conclut sur une Quatrième Symphonie (1851) de Schumann en tout point magnifique. La baguette n’est pas des plus charismatiques, mais elle se concentre sur l’essentiel, moins sur la battue de la mesure que sur des indications d’ordre expressif. Et le résultat est là. La densité de la pâte orchestrale, qui tend à devenir rare dans ce répertoire, frappe d’emblée, somptueuse mais sans excès de luxe, dépourvue de cette lourdeur et de cette épaisseur qu’il est d’usage de stigmatiser dans l’instrumentation schumannienne. Plus en muscle qu’en graisse, rythmiquement affûtée, cette interprétation exemplaire va toujours de l’avant, animée par un formidable sens dramatique et sans négliger, tant s’en faut, le chant et les sonorités. Voilà bien un de ces moments d’exception où il paraît parfois difficile de tenir en place dans son fauteuil, tant la musique donne envie d’être accompagnée du geste ou de la voix, tant est puissant le désir d’extérioriser ce bonheur de l’esprit et des sens. L’orchestre contribue avec enthousiasme à cette fête, saluant chaleureusement un chef qui réussit ainsi ses véritables débuts parisiens de façon aussi tardive qu’éclatante.


Le site de Bertrand de Billy
Le site de Susan Graham



Simon Corley

 

 

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