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Un petit bijou du dernier Baroque

Madrid
Teatros del Canal, Sala Roja
09/18/2010 -  & 15, 17, 20, 21 septembre
Carl Heinrich Graun: Montezuma
Flavio Oliver (Montezuma), Lourdes Ambriz (Eupaforice), Rogelio Marín (Tezeuco), Lucía Salas (Pilpatoé), Lina López (Erissena), Adrian-George Popescu (Cortés), Christophe Carré (Naraváez)
Coro de Ciertos Habitantes (Mexique), Concerto Elyma, Gabriel Garrido (direction musicale)
Claudio Valdés Juri (mise en scène), Herman Sorgeloos (décors), Jimena Fernández (costumes), Carsten Sander (lumières)


Montezuma est un petit bijou (très petit, d’accord, mais un bijou, quand même). Si l'on pense à Haendel, la déception ne se fait pas attendre, au détour d'une aria, pendant un duo, ou pendant les ensembles. D’ailleurs, il y a l’histoire. Un roi, Frédéric de Prusse, illustre, cultivé et inventeur de l’impérialisme et du militarisme prussiens donne des leçons au monde contre Machiavel… en devenant un de ses meilleurs disciples, le Machiavel du Prince, pas celui des Discours. On peut mépriser l’histoire que le librettiste Frédéric raconte, mais il faut accepter qu’un thème comme celui-ci ait été impossible quelques années plus tôt dans les théâtres européens. C’est déjà un progrès, on est au milieu du XVIIIe siècle. Mais, en musique, cela veut dire que le langage de Graun est un peu en retard. En philosophie, cela veut dire que les nouveaux thèmes du siècle qui finira comme on sait sont déjà sur la table. Le despotisme illustré existe partout en Europe, et ce n’est pas la même chose que l’Illustration. Bon, on n’est ici pour discourir sur l’histoire. Un dernier mot: mettre en scène le Montezuma de Graun a provoqué une petite polémique chez quelques uns de mes compatriotes à la peau trop délicate: la légende noire, une histoire sur la méchanceté des Espagnols pendant la conquête de l’Amérique! Tout ceci est un peu ridicule, mais la petite polémique a existé (très petite, mais polémique, quand même). Heureusement, le Teatro Real a produit ce spectacle, avec pas mal de partenaires internationaux allemands, britanniques et mexicains.


Il est important de voir un petit bijou, inconnu ou méconnu, comme celui-ci; j’avoue que je ne connaissais que les petits extraits enregistrés par Bonynge il y a quarante ans, ou plus, et les critères à l’époque n’étaient pas du tout semblables à ceux de Garrido. L’opportunité de faire une production avec un ensemble comme l’Elyma s'est présentée, dirigée par un Argentin et où participent de nombreux musiciens d’Amérique Latine. Et cela est important pour un théâtre espagnol de premier rang comme le Real. Mais on a vu également la collaboration avec une troupe théâtrale mexicaine d’un très haut niveau, dirigée par Claudio Valdés Kuri, et cela est tout aussi important pour un théâtre comme le Real. À part les qualités indiscutables des artistes, cette collaboration a tout son impact, et cela doit être le point culminant qui devrait conduire à des collaborations plus régulières avec l’Amérique latine, un monde bouillonnant, fascinant, et le partenaire naturel de l’Espagne, mais aussi du Portugal.


L’ambition et les desseins de cette production sont un peu à l’écart de ceux d'un théâtre d’opéra. D’abord, la mise en scène a été adaptée pour un autre théâtre, la salle Rouge des Teatros del Canal et non dans le la grande salle du Teatro Real. Cette grande salle n’était pas la plus adéquate pour un ensemble constitué d’instruments anciens comme l’Elyma, dont les sonorités sont subtiles, délicates, même dans les ensembles évoquant les mouvements, voire la violence (la méchanceté des Espagnols en action, par exemple). Le Canal convenait mieux, donc. Ce qu’on a entendu n’est pas une des meilleures prestations de l’Elyma et Garrido, très admirés partout, et dont le Monteverdi est insurpassable. C’est vrai que certains instruments donnent l’impression de jouer faux, comme le cor naturel, mais c’est un niveau de conscience sonore différent qu’on nous propose. Tout comme l’histoire du livret, qui sonne encore plus faux que cela.


Le quatuor vocal protagoniste est d’un niveau qui frôle l’excellence. C'est indiscutable pour les deux personnages principaux. Le contre-tenor italien Flavio Oliver compose un Montezuma à la ligne noble, et réussit dans les ambigüités ou les doubles sens proposés par Valdés. Un chant beau, celui d'un falsétiste qui ressemble parfois au contralto, avec des graves qui n’ont rien du falsetto. La soprano mexicaine Lourdes Ambriz obtient un succès très mérité avec son rôle riche en vocalises, agilités, bravoures même; Ambriz est une soprano lyrique et parfois tout à fait soprano légère; elle a une expérience de l'opéra large et profonde et aussi dans un groupe vocal comme Ars Nova. Avec Oliver et Ambriz, la soprano Lucía Salas, elle aussi mexicaine, et le contre-tenor roumain Adrian-George Popescu complètent une distribution très digne, avec des rôles secondaires d’un bon niveau, même si parfois ce ne sont encore que des débutants.


La troupe de Valdés mérite une «mention spéciale». Ce n’est pas une troupe comme les autres, une compagnie plus ou moins aléatoire, mais un groupe d’acteurs et de chanteurs avec une grande cohésion, une consistance intérieure considérable pour un travail d’équipe où, par exemple, les chanteurs déplacent eux-mêmes les décors. Et cela signifie une vision différente, un éthique opposée à celle de l’opéra. D’ailleurs, Valdés Kuri propose de nombreuses images, enrichit le texte-partition naïf-pervers, et se moque un peu de l’idéologie de Frédéric (idéologie en ce qu'elle est une fausse conscience qui justifie les faits, les «bienfaits» et les «méfaits» de son royaume: lui, Frédéric, c'est Montezuma, mais il n'est la dupe de personne, il envahit la Silésie avant que cela soit trop tard). La deuxième partie (acte III) mêle l’ensemble Elyma et le martyre de Montezuma avec des personnages du Mexique d’aujourd’hui, pittoresques, redoutables, tendres, sensuels, dangereux, y compris une espèce de jeune-mort, parce que la Mort comme squelette est une des icônes obligées de l’imaginaire mexicain. Il fallait voir le très sérieux Garrido en train de disputer son petit espace aux acteurs-chanteurs qui faisaient semblant de ne pas trop le respecter. Il y avait, donc, une complicité entre les desseins très différents personnifiés par Garrido et par Valdés. L’opéra original dure plus de quatre heures. Heureusement, le spectacle proposé ne dépasse pas, interlude mis à part, deux heures et demie. Je ne sais pas si c’est Valdés ou Garrido qui a emprunté un très beau morceau de Manuel de Sumaya, musicien mexicain du XVIIIe siècle, un canon, une petite fugue pour illustrer les personnages du Mexique d’aujourd’hui. Mais le choix est une réussite: avec Sumaya on assiste à un beau finale, pas héroïque, pas idéologique, pas faux comme dans la Hofoper de Berlin en 1755.
 

Un beau spectacle, une approche tout à fait différente pour un titre méconnu du répertoire (nous espérons que Garrido et l’Ensemble Elyma réaliseront un enregistrement, l’avenir du titre lui-même étant un peu incertain). Quatre bons chanteurs, un ensemble musical sérieux et une foule d’images théâtrales riches, même dans les moments les plus complexe



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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