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Lulu dans le décor

Salzburg
Felsenreitschule
08/01/2010 -  et 4, 6, 11, 14, 17* août
Alban Berg : Lulu
Patricia Petibon (Lulu), Tanja Ariane Baumgartner (Gräfin Geschwitz), Cora Burggraaf (Eine Theatergarderobiere, Ein Gymnasiast, Ein Groom), Pavol Breslik (Der Maler, Der Neger), Michael Volle (Dr. Schön, Jack the Ripper), Thomas Piffka (Alwa), Franz Grundheber (Schigolch), Thomas Johannes Mayer (Ein Tierbändiger, Ein Athlet), Heinz Zednik (Der Prinz, Der Kammerdiener), Andreas Conrad (Der Marquis), Martin Tzonev (Der Theaterdirektor, Der Bankier), Emilie Pictet (Eine Fünfzehnjährige), Cornelia Wulkopf (Ihre Mutter), Astrid Monika Hofer (Eine Kunstgewerblerin), Simon Schnorr (Ein Journalist), James Cleverton (Ein Diener), Gerhard Peilstein (Der Medizinalrat, Der Professor, Der Polizeikomissär)
Wiener Philharmoniker, Marc Albrecht (direction)
Vera Nemirova (mise en scène)


P. Petibon, T. A. Baumgartner
(© Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus)



Confié à un grand peintre, c’est parfois le décor qui donne le ton. Encore faut-il qu’il ne parasite pas la mise en scène – ce qui était le cas de La Flûte enchantée de 2006, où l’on s’attachait plus au travail de Karel Appel qu’à celui de Pierre Audi. La balance entre les deux éléments a fait entrer certaines productions dans l’histoire. Sera-ce le cas de cette Lulu – présentée dans sa version en trois actes ? Que diront ceux qui avaient vu, en 1995, la production de Peter Mussbach dirigée par Michael Gielen, avec Christine Schäfer ? Diversement accueilli lors de la première, le spectacle, en tout cas, est sans doute le meilleur de cette année 2010 – parce qu’il bénéficie, de surcroît, d’une distribution sans faille, ce qui n’est pas le cas de Don Giovanni, par exemple. Après la soirée Bartók de 2008 confiée à Peter Eötvös, le néo-expressionniste Daniel Richter, grande star de la peinture allemande d’aujourd’hui, revient donc pour Lulu. Sans exploiter ni la profondeur du plateau ni les arcades du Manège des rochers, il réduit l’espace de jeu à l’avant-scène, faisant de l’opéra de Berg un drame intimiste. La Bulgare Vera Nemirova, bien connue en Allemagne et en Autriche, a voulu le recentrer sur le mythe : toujours vêtue de blanc, Lulu n’existe que dans le regard et le désir des hommes, moins femme fatale ou animal mortifère qu’éternelle enfant, énigmatique et innocente, d’autant plus fascinante. Au cœur de l’œuvre se trouve le couple qu’elle forme, jusqu’à la mort, avec Schön, malgré sa probable impuissance – la sculpture phallique du début glisse vite à terre.


Tout le travail de direction d’acteurs prolonge le décor et nous vaut un spectacle subtilement équilibré, aussi éloigné du classicisme de Peter Stein à Lyon que de la virtuosité baroque d’Olivier Py à Genève. Au premier tableau, tout se passe devant un portrait de Lulu, vulgaire affiche à la fin de l’opéra, elle-même posant en ange – ou en Cupidon. La toile du deuxième acte, aux couleurs crues, représentant des visages tordus, rappelle Munch ; la frontière entre la réalité et le fantasme s’abolit, une atmosphère aussi onirique qu’érotique s’installe, avec ce ballet de larves rampant vers Lulu, cette espèce de pyramide d’où sortent les têtes des personnages. Une angoissante forêt enneigée, en noir et blanc, peuplée d’étranges animaux, plonge le dénouement dans une ambiance de sinistre conte de Noël, aussi fantastique que glauque : la pyramide s’est renversée pour devenir tente de SDF. Lulu et Jack s’avancent l’un vers l’autre, presque rituellement, avant qu’elle s’offre de dos, les bras en croix, à son meurtrier – ou plutôt au seul homme qu’elle ait aimé et qui l’ait aimée. La Geschwitz ne meurt pas, elle s’éloigne, avant que sonne son heure. La mise en scène trouve, de son côté, l’équilibre entre le vaudeville, le drame social et l’allégorie. On a beaucoup reproché à la disciple de Peter Konwitschny d’imiter son maître en faisant jouer le tableau de Paris dans la salle : mais Lulu n’est-elle pas, plus jamais, parmi nous, dans un monde où, de toute éternité, s’accouplent la bourse et le sexe ? Le public huppé du festival le plus cher n’aurait-il pas sa place parmi les invités de la soirée ? De quoi justifier aussi l’effet de miroir qui, au deuxième acte, nous renvoie le reflet de nous-mêmes.


La direction de Marc Albrecht s’accorde mieux à cette lecture qu’à la vision d’Olivier Py à Genève. Il dirige toujours Lulu comme une conversation en musique, d’une baguette à la fois analytique et souple, plus théâtral ici, comme au moment de la mort de Schön. Et il peut demander à la Philharmonie de Vienne plus encore que ce que lui offrait l’orchestre romand, restituant cette fois toute la sensualité de la partition de Berg, l’inscrire dans l’héritage mahlérien, révéler la richesse des combinaisons de timbre. Voilà l’orchestre qu’il faut pour Berg. Patricia Petibon n’étonne pas moins qu’à Genève, bien que le médium se projette moins bien, gênée seulement peut-être par la métamorphose que lui impose la nouvelle mise en scène, mais dominant l’impossible rôle avec une égale maîtrise. Autour d’elle, une distribution exemplaire, même si, côté ténors, l’Alwa honnête de Thomas Piffka doit s’incliner devant le Peintre avantageux de Pavol Breslik ou le Marquis maquereau d’Andreas Conrad, parfait ténor de caractère à l’allemande – et Heinz Zednik, malgré une voix ruinée, est impayable en Prince transi ou en serviteur fétichiste qu’on regarde autant quand il ne chante pas. Autre vétéran, beaucoup moins défait, Franz Grundheber compose un Schigolch sidérant de présence, parasite à la fois inquiétant et rassurant. Schön éperdu et apeuré, possessif et possédé, Michael Volle chante d’une voix superbe aux reflets sombres, trouvant dans l’impressionnant Athlète de Thomas Johannes Mayer – récemment découvert dans La Walkyrie à Bastille – un rival dangereux, brute puissante et cynique, au timbre mordant comme les fauves – il est, dans le Prologue, le Dompteur. Voix pure, aigus lumineux, Tanja Ariane Baumgartner, enfin, conserve à la Geschwitz, jusqu’au bout, un port, une jeunesse, une beauté que rien n’altère, figure sacrificielle moins ravagée de passion que consumée de tendresse.


Le décor de Daniel Richter trouve certains échos dans l’exposition qui lui est consacrée au Rupertmuseum, à deux pas des salles du festival : une huile sur toile de 2010 pourrait représenter deux portraits de Lulu et servir de décor au début ; une autre, de 2006, anticipe sur celui du deuxième acte ; et la Süsse Angela de 2002 semble tellement annoncer Lulu…



Didier van Moere

 

 

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