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Berio et Feldman sous les lumières de New York

Paris
Cité de la musique
12/13/1997 -  

Samedi 13 décembre 1997
Cité de la musique et Conservatoire de Paris
- 17 heures
Oeuvres de Thelonious Monk
Antoine Hervé (piano)
- 18h30
Oeuvres de Gershwin, Copland, Ives, Foss, Reich, Hindemith, Bernstein
Lukas Foss (piano), Richard Stoltzman (clarinette)
- 20 heures
Morton Feldman : Coptic Light, Chorus and Orchestra
Luciano Berio : Alternatim
Barbara Hannigen (soprano), Paul Meyer (clarinette), Christophe Desjardins (alto), Robert Gritton (chef de choeur)
Choeur de la Radio de Berlin, Orchestre Symphonique du Südwestfunk, Michael Gielen (direction)

"Un marathon de New York" : le week-end proposé par la Cité de la musique portait bien son nom, l'idée de compétition en moins. La journée du samedi était jalonnée de nombreux concerts, entre 15 heures et 22 heures 30, qui demandaient effectivement au marathonien de courir entre les salles pour ne pas rater les débuts de concert. Grâce à un public nombreux et très diversifié, et surtout à des concerts de qualité, il s'est en effet passé dans une ambiance très détendue, quoique très attentive. Le compositeur Lukas Foss et le clarinettiste Richard Stoltzman ont interprété quelques pages du répertoire américain du vingtième siècle, de Gershwin à Bernstein en passant par Steve Reich ; Stoltzman interviewant Foss sur les différents compositeurs entre chaque interprétation. Le tout faisait un peu salon, mais les présentations étaient parfois intéressantes ou amusantes. La "relecture" du grand musicien de jazz Thelonious Monk proposée par Antoine Hervé manquait en revanche de présentation des compositions joués. Plus important, Antoine Hervé a fait de belles improvisations sur les thèmes de Monk, en général très virtuoses, après des expositions souvent destructurées des thèmes. Il a fait sienne la sécheresse d'attaque propre à Monk, sur un fond presque permanent de pédale, ce qui faisait un effet de résonance très particulier. Il rencontrait ainsi moins Monk par un rapport au silence (et à la répétition) que par des références communes à l'histoire du piano et du blues. Quoiqu'il en soit, de ce concert très apprécié du public, il est ressorti avec évidence, d'une part qu'Antoine Hervé est un pianiste puissant et un improvisateur inspiré, d'autre part que Monk est bien l'un des compositeurs américains les plus passionnants de ce siècle.

Coproduit avec le Festival d'Automne, le concert de 20 heures fut le grand événement de la journée, avec trois créations françaises : deux oeuvres du compositeur américain Morton Feldman (1926-1987), Coptic Light, de 1986, et Chorus and Orchestra II, de 1972, et la dernière composition de Luciano Berio, Alternatim. Toutes trois se révélèrent magnifiques, et déjà presque "classiques".

Dans les deux oeuvres de Feldman, le compositeur s'était intéressé au problème de la transformation de la texture sonore, de deux points de vue différents toutefois : Coptic Light créait un effet de surface en perpétuelle évolution, tandis que Chorus and Orchestra II était composée par la juxtaposition ostentatoire de strates sonores. Les deux oeuvres procédaient à partir d'un certain minimalisme, avec moultes répétition déphasées, dans une atmosphère assez apaisée.

Dans Coptic Light, le compositeur dit avoir voulu créer une pédale orchestrale (selon Sibelius, l'orchestre se distingue du piano par le fait qu'il n'a pas de pédale). Feldman a ainsi créé une oeuvre très colorée, avec une résonance continue. Pour cela, les cordes et les vents étaient en quelque sorte encerclées par des instruments utilisés pour leurs résonance : harpes, pianos, et percussions (vibraphones essentiellement). Par tout un système d'échos et de répétitions, on assistait a une transformation régulière et continue de la texture, tout cela dans le plus grand calme, le volume sonore de l'orchestre restant quasiment identique d'un bout à l'autre de la pièce, après un grand cluster d'ouverture - tous les instruments étant presque constamment utilisés, répétant de manière insistante les même cellules. Au fur et à mesure, la texture devenait de plus en plus dense et colorée, par un resserrement des événements sonores, ou une accélération, qui donnait l'impression d'un resserrement de l'espace. Toujours avec le même sentiment hypnotique de calme et de douceur, on atteignait alors un grand niveau de densité sonore. Feldman faisait ainsi se fondre le temps pulsé et le temps lisse, la transformation se faisant de manière discrète plutôt que continue (contrairement à un Ligeti par exemple), suivant des pulsations bien perceptibles, mais que l'effet de répétition abolissait avec le sentiment (plaisant) de faire du surplace.

Dans Chorus and Orchestra II, oeuvre plus sombre que la précédente, la dynamique n'était modifiée que par le nombre de couches sonores superposées. Le rapport au temps était quelque peu différent, à cause de la présence de longs silences. On tendait cette fois vers un but, vers lequel on avançait de manière déterminée, en reprenant son souffle avant chaque nouvelle avancée. L'orchestre et le choeur, complètement décomposés, faisaient écho à la voix soliste de Barbara Hannigan (soprano), chaque sous-groupe ne jouant qu'une note qui se composait avec les autres verticalement plutôt qu'horizontalement. Les strates horizontales étaient là encore de plus en plus serrées, mais avec un effet très différent de Coptic Light, puisque cela aboutissait à des agrégats sonores de plus en plus riches (plutôt qu'à une densité horizontale de plus en plus grande).

L'oeuvre attendue de Luciano Berio, Alternatim, pour alto, clarinette et orchestre, tranchait avec les oeuvres de Feldman, par une utilisation beaucoup plus idiomatique des instruments, par sa conception plus "narrative" du temps, et une approche plus classique de la dynamique. La clarinette solo de Paul Meyer était très en avant, et très versatile, s'opposant ainsi à un traitement plus rauque, et parfois agressif, de l'alto. La différence venait sans doute également du traitement de l'orchestre, où les cordes jouaient un rôle plus important par rapport aux vents. L'alto venait ainsi souvent se fondre dans les cordes de l'orchestre, la clarinette ayant moins de répondant au niveau des vents. Une grande énergie se dégageait de l'oeuvre, avec par exemple les interventions verticales de l'orchestre qui venaient faire contrepoint à la fluidité du thème. L'alternatim désigne en musique ancienne l'alternance entre monodie grégorienne et polyphonie, avant que la monodie ne devienne implicite. C'est ainsi que sont écrits les chorals pour orgue par exemple (un texte étant implicite au développement polyphonique). Berio dit avoir voulu travailler ce "jeu de présence-absence". Par un grand détour, on retrouvait ainsi l'une de ses oeuvres les plus célèbres, le troisième mouvement de Sinfonia, mouvement entièrement sous-tendu par le troisième mouvement de la Deuxième symphonie de Mahler, qui ne cesse de s'effacer pour surgir à nouveau un peu plus loin, à la manière d'un torrent qui poursuit son chemin sous terre avant de reparaître. Dans Alternatim, cette idée était instrumentée par la reprise des thèmes par bribes, qui donnait une impression de continuité de la présence à travers l'absence. Il se dégageait de l'oeuvre - sans doute l'une des plus belles de Berio depuis son Chemin pour guitare, créé en France il y a quelques années - une impression de "classicisme".

L'orchestre de la Südwestfunk était impeccable, avec des sonorités somptueuses et un engagement permanent, conduit par la baguette sobre et rigoureuse de Michael Gielen.



Stéphan Vincent-Lancrin

 

 

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