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Coup monté, coup raté

Aix-en-Provence
Théâtre de l’Archevêché
07/01/2010 -  et 3, 5, 7, 9*, 12, 14, 16, 18, 20 juillet 2010
Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni, K. 527
Bo Skovhus (Don Giovanni), Kyle Ketelsen (Leporello), David Bizic (Masetto), Colin Balzer (Don Ottavio), Marlis Petersen (Donna Anna), Kristīne Opolais (Donna Elvira), Kerstin Avemo (Zerlina), Anatoli Kotscherga (Il Commendatore)
English Voices, Freiburger Barockorchester, Louis Langrée*/Andreas Spering (direction)
Dmitri Tcherniakov (mise en scène)



(© Pascal Victor/ArtComArt)


Le Commandeur ? Un figurant, un leurre. Toute l’histoire n’est qu’un coup monté, pour débarrasser une famille friquée d’un marginal gênant, porteur d’une autre vérité, d’une différence qui la met à nu et à mal. Et comme elle pourrait bien appartenir à la nomenklatura brejnévienne ou post-soviétique, le coup sent les façons du KGB ou de ses avatars : le dramma giocoso mozartien se transforme à la fois en affaire de famille et en roman d’espionnage. C’est Théorème chez Poutine. Plus besoin d’enfer : victime d’une manipulation dont les régimes communistes avaient le secret, le héros sombre peu à peu dans une folie fortement imbibée et se détruit lui-même, ce qui suffit à le mettre hors d’état de nuire et à rétablir l’ordre. Dans le décor unique de la bibliothèque, le patriarche et ses assesseurs, expédient procès et verdict assis à une table – cela rappelle l’Eugène Onéguine de Garnier. Dmitri Tcherniakov interrogerait-il, à travers Mozart, les démons de la Russie ? Ceux de sa propre histoire ? Le problème est que ça ne marche pas, parce qu’il fait fi du texte et de la musique. Plus de masque, plus d’ambiguïté : Anna connaît son séducteur… Elvire trouve d’emblée en face d’elle l’homme qu’elle cherche… elles arrivent à la fête, comme Ottavio, visage découvert...


Peut-être victime d’un dramaturge moins iconoclaste qu’inconséquent, le trublion du théâtre russe, toujours aussi incomparable dans sa direction d’acteurs, ne met pas Don Giovanni en scène, il se fait son cinéma – il le fait même très bien, si on oublie la partition. Plus rien, il ne reste plus rien de l’enfant de Mozart et de Da Ponte. Le sexe ? Certes il les tient tous, jusqu’à l’obsession, à commencer par une Anna nymphomane, mais l’essentiel n’est pas là, finalement – dans le genre, on en a vu d’autres, de même qu’on a vu beaucoup plus glauque. Peu importe aussi que Zerline soit la fille d’Anna, nouvellement fiancée à Ottavio, Leporello un jeune parent du Commandeur, Elvire une cousine d’Anna : cela n’apparaît guère. Bref, Tcherniakov rate sa cible et gaspille cet immense talent qui nous avait valu un remarquable Onéguine et un Macbeth excitant. Pire : son Don Giovanni hors sujet sue l’ennui, avec des constants baissers de rideau pour marquer des pauses entre les moments de l’action – « un mois et demi plus tard », « cinq jours plus tard », etc. Une dramaturgie en remplace une autre et l’opéra perd, avec ses plumes, son rythme, son urgence, sa colonne vertébrale, pour s’embourber dans cette histoire de clan qui n’est pas la sienne.



Comment Louis Langrée, un des meilleurs mozartiens de l’heure, a-t-il pu se prêter à ce détournement ? On a bien du mal à trouver une correspondance entre la scène et la fosse, où le chef français dirige avec élan et finesse un orchestre beaucoup moins en forme que dans Alceste. Préférant à l’Urtext la virginité de la source autographe pour préserver la liberté de la musique et des musiciens, il sauve l’honneur de Mozart et nous fait entendre le vrai Don Giovanni, qu’il veut à la fois théâtral et coloré, dépoussiéré mais profond. A-t-il choisi ou accepté la distribution, qui semble adhérer sans réserve à la lecture du metteur en scène ? Elle n’est pas, en tout cas, à la hauteur du prestige du festival, dont maint Don Giovanni, depuis ceux de Hans Rosbaud, a fait date. Voix usée sans timbre ni puissance, Bo Skovhus peine désormais à assurer jusqu’au bout l’itinéraire de l’abuseur, remarquable en revanche par sa présence, son incarnation d’un anti-héros dostoïevskien, ni grand seigneur ni méchant homme, lassé de tout, peut-être même du sexe, victime pitoyable d’un monde sans honneur. Le Leporello de Kyle Ketelsen est d’une autre trempe, qui nous offre le meilleur de la soirée : la voix a de la chair, du métal, bien campée sur toute la tessiture, souple d’émission, tenant bien sa ligne, jamais débraillée dans le buffa. Remarqué à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, où il a souvent été distribué, David Bizic a du style et de la présence en Masetto jeune parvenu bling-bling, plus que l’Ottavio pâlichon de Colin Balzer, bien chantant mais gris de timbre. Anatoli Kotscherga en impose encore, moins Commandeur mozartien que tsar russe cependant – ce que voulait peut-être Tcherniakov. Les dames déçoivent. Aussi frêle de voix que de corps, Kerstin Avemo chante Zerline comme une écolière, sans ambiguïté ni piquant. Kristīne Opolais, impressionnante Pauline dans Le Joueur à Lyon, s’avère beaucoup trop prosaïque dans la conduite d’une voix monochrome, avec un « Mi tradi » collant à la terre. Marlis Petersen commence mal, sa voix trop légère ne trouve pas son assise, peine dans les passages dramatiques, notamment un « Or sai chi l’onore » dont elle arrache les aigus ; au second acte, elle se reprend, se stabilise et chante un « Non mi dir » délié et nuancé, à défaut d’être anthologique.



Ne restera-t-il rien de ce Don Giovanni raté ? Si : la Sérénade, plus autiste que narcissique, dansée par un Don Juan qui tend désespérément les bras dans le vide, vers un objet absent, comme déjà entré dans l’enfer du néant.



Didier van Moere

 

 

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