About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Le son premier

Paris
Cité de la musique
06/11/2010 -  
Giacinto Scelsi : Yamaon – Okanagon
Tristan Murail : L’Esprit des dunes (*) – Serendib
Matthias Pintscher : Verzeichnete Spur (**)

Jean-Christophe Jacques (basse), Frédéric Stochl (contrebasse), Frédérique Cambreling (harpe), Samuel Favre (tam-tam), Serge Lemouton (*), Leslie Stuck (*), Benoît Meudic (**) (réalisation informatique musicale Ircam)
Ensemble intercontemporain, Ludovic Morlot (direction)


L. Morlot (© Sussie Ahlburg)


L’un des temps forts du festival Agora (voir par ailleurs ici) est le cycle dédié à Tristan Murail (né en 1947), venu pour l’occasion de New York, où il est professeur de composition depuis 1997 à l’université Columbia. L’Ircam salue ainsi celui qui y suivit un stage dès 1980 avant d’y travailler et d’y enseigner de 1991 à 1997, au travers d’un week-end de trois concerts, dont le deuxième est notamment consacré à la première française des Sept paroles, créées en avril dernier à Amsterdam. Le premier des deux autres concerts, donnés par l’Ensemble intercontemporain à la Cité la musique, est confié à Ludovic Morlot (né en 1974), l’un de ces nombreux chefs français qui font carrière à l’étranger, tels Philippe Auguin, Bertrand de Billy, Frédéric Chaslin, Louis Langrée, Yan Pascal Tortelier, Emmanuel Villaume, ... Alors qu’il se produit avec les grands orchestres européens – Amsterdam, Dresde, Philharmonique de Londres, Birmingham, Philharmonie tchèque, Zurich – et américains – Boston, Chicago, Cleveland, Cincinnati, Atlanta, Washington et New York, où il a dirigé la première américaine de Gondwana de Murail –, l’ancien assistant de James Levine à Boston réserve la plupart de ses rares apparitions parisiennes à l’ensemble fondé par Pierre Boulez.


Le programme démontre de façon éloquente que la notion de répertoire n’est pas antinomique de celle de musique contemporaine: aucune création, mais la reprise de pièces de référence, toutes dans la quête de ce son premier, celle du courant spectral dont Murail est l’un des plus éminents représentants. Références, sans nul doute, et même fondatrices, deux pièces de Scelsi sont placées en exergue: Jean-Christophe Jacques investit pleinement les trois chants de Yamaon (1958), granitiques et rugueux, heurtés et envoûtants à la fois, dont les registres graves (voix de basse, saxophones alto et baryton, contrebasson, contrebasse et percussion) et le texte syllabique évoquent Ecuatorial de Varèse; Frédéric Stochl, Frédérique Cambreling et Samuel Favre forment l’effectif inattendu d’Okanagon (1968), autre page de caractère rituel, se rejoignant dans la partie centrale en de mêmes gestes percussifs, tandis que les deux autres volets font contraster sonorités métalliques à l’aide d’un résonateur (harpe et tam-tam) et grondements des profondeurs (harpe et contrebasse en scordatura).


Commande de l’Ircam créée par l’Ensemble intercontemporain, L’Esprit des dunes (1994) de Murail tient son titre des «chants du désert», ces musiques mongoles et tibétaines qui constituent l’un des deux groupes d’objets sonores modifiés par l’informatique, l’autre groupe étant formé de «sons granuleux (frottements de polystyrène, maracas, bâton de pluie, etc.)». Réputée mal à l’aise avec la voix, l’école spectrale se l’approprie ainsi à sa manière: «comme dans le chant diphonique mongol, la mélodie est entendue ici comme une modulation du timbre». Plus encore que chez Scelsi, ce retour aux origines et cette recherche des racines du son prennent un tour évocateur et hédoniste, tant la fusion de l’électronique avec les onze instruments paraît réussie.


Verzeichnete Spur (2005) de Matthias Pintscher (né en 1971) cultive également les teintes sombres: contrebasse «solo» au centre (à laquelle échoit une brève et spectaculaire cadence), trois violoncelles, clarinettes basse et contrebasse, percussions, piano et harpe, avec un dispositif électronique en temps réel. Cette «trace esquissée» est entourée d’un propos dont la limpidité n’est pas toujours la caractéristique principale («L’espace dans lequel se meuvent ces signes et ces formes en marche se trouve dans un non-espace»), mais dont on peut néanmoins retenir le projet («La présence d’un signe ne doit valoir que dans l’instant où il communique avec nous – il est décrit, évoqué et dissous à nouveau, comme s’il suivait sa propre trace esquissée»), complété, puisqu’il est question de signes, par une citation de Roland Barthes («Le signe est une fracture qui ne s’ouvre jamais que sur le visage d’un autre signe»). Durant près de 20 minutes, c’est un passionnant catalogue d’effets sonores qui est déroulé, rapide succession de climats violemment contrastés, depuis les confins du silence jusqu’à la saturation, bien dans la manière du compositeur allemand, fidèle à son extrémisme, menant l’aventure avec exigence et persévérance jusque dans ses ultimes retranchements. Après cela, il faut sans doute ensuite décompresser, ce à quoi s’emploie une petite comédie improvisée: Ludovic Morlot ayant insisté pour que Frédéric Stochl vienne saluer au devant de la scène, le contrebassiste confie son instrument au chef, qui s’en trouve bien embarrassé, et fait ensuite mine de vouloir le remplacer sur le podium.


Dans Serendib (1992), commande de l’Ensemble intercontemporain, Murail s’attache à transposer musicalement la «serendipity» de Walpole («faculté de faire des découvertes heureuses et inattendues par accident»). Cette révélation des «formes et contours [qui] se lovent à l’intérieur des sons» offre une nouvelle invitation au voyage: le titre de l’œuvre renvoie également au nom persan de Sri Lanka et elle n’est pas avare de grandes houles sonores, raffinées et sensuelles.


Le site de Ludovic Morlot
Le site de la Fondation Scelsi
Le site de Tristan Murail
Le site de Matthias Pintscher



Simon Corley

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com