Back
Le génie et le talent Paris Auditorium du Louvre 05/26/2010 - Serge Rachmaninov : Préludes, opus 23 n° 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 10 – Sonate n° 1, opus 28
Anatole Liadov : Préludes, opus 27 n° 1, opus 36 n° 3, opus 39 n° 4, opus 40 n° 3 et n° 4, opus 46 n° 4 et opus 57 n° 1 – Barcarolle, opus 44
Boris Berezovsky (piano)
B. Berezovsky (© Warner Music)
Ayant à peine passé le cap de la quarantaine, Boris Berezovsky fait déjà partie de ces rares musiciens qui, à Paris, peuvent faire salle comble sur leur seul nom. La jauge de l’auditorium du Louvre n’est certes pas la plus importante de la capitale, mais le pianiste russe, bien que s’étant déjà produit fin mars à Pleyel avec ses amis Brigitte Engerer, Alexander Kniazev et Dmitri Makhtin pour le cycle «Musique de chambre russe» puis début avril au Théâtre des Champs-Elysées avec l’Orchestre national pour un magnifique Quatrième concerto de Rachmaninov (voir ici), n’a visiblement aucun mal à mobiliser à nouveau son public.
Initialement prévu en janvier dernier dans le cadre de la programmation «Sainte Russie» du musée du Louvre, son récital débute par quelques-uns des dix Préludes de l’Opus 23 (1903). Pourquoi sept seulement et s’arrêter de la sorte si près du but? Le regret est d’autant plus grand qu’avec Berezovsky, l’expression «doigts d’acier», souvent galvaudée, se justifie pleinement: de ce métal, il possède en effet non seulement le caractère infrangible, mais aussi l’éclat et la froideur brûlante. Puissant, assuré, il adopte en même temps cette raideur un peu hautaine et péremptoire, presque détachée et ironique (Troisième), sans laquelle cette musique peut si facilement se laisser emporter par des dérives sentimentales ou pompières. Les effusions sont donc contrôlées (Quatrième, Sixième, Dixième), mais le Deuxième et le Septième ne s’en abattent pas moins comme une pluie torrentielle.
Suivent sept Préludes d’Anatole Liadov (1855-1914), extraits de différents recueils publiés entre 1891 et 1906, ainsi que son unique Barcarolle (1898). Fallait-il donner le programme dans cet ordre? Car si l’objectif était de montrer tout ce qui sépare le génie de Rachmaninov du talent de son aîné, il a parfaitement été atteint. Maître de la petite forme qui reste aujourd’hui surtout connu pour ses «miniatures» symphoniques (Baba Yaga, Le Lac enchanté, Kikimora), Liadov – comme à la même époque le premier Scriabine ou le premier Szymanowski (mais bien plus âgé qu’eux) – se place dans la descendance de Chopin, parfois quasiment jusqu’à la citation, tandis que sa Barcarolle, comme celle du compositeur polonais, adopte la tonalité de fa dièse majeur et s’enroule progressivement dans des volutes de notes. Contemporains de ceux de Rachmaninov mais beaucoup moins développés et virtuoses, ses Préludes sont fort bien écrits et il s’en dégage un mélange de charme, de délicatesse et de nostalgie, un rien salonard, hormis dans le Quatrième de l’Opus 39 (1895), un turbulent Allegro impetuoso.
Les deux Sonates de Rachmaninov sont relativement moins populaires que bon nombre de ses autres pages pianistiques, la Première (1908) étant elle-même généralement éclipsée par les deux versions de la Seconde. D’inspiration faustienne, composée entre la Deuxième symphonie et le Troisième concerto, l’oeuvre n’évite pas les longueurs, mais Berezovsky, toujours aussi solide, lui confère une intensité et une dimension orchestrale impressionnantes, sans passer exclusivement en force pour autant, à l’image du second thème de l’Allegro moderato ou du Lento central. Les deux bis sont dédiés à Chopin, l’inventeur de la forme moderne du prélude, mais ce sont successivement une Valse – la Deuxième (1831) des trois de l’Opus 34, sans traîner – et une Etude – la Première (1830) des douze de l’Opus 10, jouée «à la Rachmaninov».
Simon Corley
|