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Le Triomphe des malveillants ravis

Madrid
Teatro Real
05/18/2010 -  & 16, 19, 21, 22, 24, 25, 27, 28 mai 2010
Claudio Monteverdi: L’incoronazione di Poppea
Danielle de Niese (Poppea), Philippe Jaroussky (Nerone), Anna Bonitatibus (Ottavia), Max Emanuel Cencic (Ottone), Antonio Abete (Seneca), Ana Quintans (Drusilla), Claire Debono (Fortuna, Pallas, Venere), Katherine Watson (Virtute, Damigella), Hanna Bayodi-Hirt (Amore), Suzana Ogranjensek (Valletto), José Lemos (Nutrice), Robert Burt (Arnalta)
Les Arts Florissants, William Christie (direction musicale)
Pier Luigi Pizzi (mise en scène, décors et costumes), Sergio Rossi (lumières), Robert Maria Pizzuto (chorégraphie)

 
(© Javier del Real)


Troisième Monteverdi au Teatro Real: après Orfeo en 2008 et Ulisse en 2009 (qui vient de faire l'objet d'un DVD paru sous le label Dynamic), voici L’incoronazione di Poppea, fruit du travail de la même équipe, mais avec des voix différentes. Encore un succès pour Christie et Pizzi et ses ensembles. L’idée de produire ces trois opéras (avec La Fenice de Venise) est parmi les plus heureuses du contrat d’Antonio Moral qui, hélas, touche à sa fin.


Avec ce Poppea on pourrait écrire, comme il y a un an, ou presque : la beauté monteverdienne a battu son plein au Teatro Real de Madrid. Encore une belle mise en scène, pleine d’imagination et d’équilibre entre l’humour et le drame. Cette fois-ci, le côté «auto sacramental» (mais éhonté) montre les personnages de la Vertu (elle y sera battue), de la Fortune et de l’Amour (que l'on trouvait dans Ulisse), sont ici chantés par les mêmes sopranos, Claire Debono et Hanna Bayodi-Hirt, avec les mêmes costumes, mais en inversant les rôles). On se demande si le résultat de la pièce de Busenello mise en musique par Monteverdi est l'étrange morale des philosophes vénitiens, ou tout simplement le triomphe des cyniques, des malveillants satisfaits, voire ravis. Est-ce un des avatars du pessimisme baroque? La création de Poppea date de 1642, période qui n'est pas des plus heureuses pour l'Europe. Il reste l’histoire du triomphe apparent du désir sur la justice et l’honnêteté; apparent, parce que le public de Venise, à cette date, savait bien (grâce à Tacite), en entendant le dernier duo d’amour (« Pur ti miro, pur ti godo »), que Poppea allait mourir plus tard sous les coups de Néron. Rajoutons qu'à l'époque on ne mettait pas en question l’histoire racontée par Tacite, qui écrivait pourtant lui-même qu'« elle possédait tout, hormis l’honnêteté ».


Deux ou trois semaines plus tôt, on entendait pour la première fois le bel enregistrement de Poppea (Nerone, plutôt) par La Venexiana dirigée par Claudio Cavina (Glossa). Cavina et son équipe refusent à Monteverdi la paternité de Poppea. Ce n’est pas la première fois qu’une proposition semblable est faite. Mais cette fois les raisons sont très sérieuses et très solides. Cela n'enlève rien à la beauté de la partition. C’est encore Jonathan Cable qui signe l’édition, en partant du manuscrit de Venise. Par contre, Cavina et Stefano Aresi se basent sur le manuscrit de Naples.



Comme pour Ulisse, l’ensemble instrumental est réduit à dix-sept musiciens: William Christie au clavecin et au régal, cordes frottées et cordes pincées, cornetti, flûte et claviers. Ici aussi l’ensemble joue presque toujours en familles, en petites unités, comme accompagnement des airs et des récitatifs cantabile. Rarement en tutti, sauf dans des moments solennels, comme la transition de l’hommage des courtisans à la nouvelle souveraine. Pas de fosse, comme dans les deux opéras précédents.


La distribution est presque parfaite. On connaissait par le biais du DVD la Poppea de Danielle de Niese à Glyndebourne (2008). Vocalement identique, quoique Pizzi ne lui demande pas les inflections que Carsen exige. Danielle de Niese possède une belle voix, spécialisée dans la période baroque. Couleur et vibrato sont d’un très bon niveau, avec quelques nuances de femme-enfant; de plus, de Niese est une actrice convaincante. Nerone est un rôle souvent interprété par un soprano ou un mezzo; cette fois-ci, on a choisi un contre-ténor stupéfiant, le français Philippe Jaroussky, dont la voix est plus féminine et s'apparente plus à celle d'un mezzo ou d'un castrat (pour autant que l'on puisse imaginer aujourd'hui ce qu'était une voix de castrat) qu'à la voix de fausset. Jaroussky, prodigieux, obtient un succès formidable à Madrid dans le rôle de Nerone.


Deux voix féminines, pour des rôles plus secondaires, sont d’un très bon niveau: Anna Bonitatibus, belle voix, peut-être un peu froide, est irréprochable dans le rôle d’Ottavia; et Ana Quintans campe une Drusilla enflammée. N'oublions pas les autres rôles féminins, comme celui interprété par Claire Debono, et celui, très insinuatif, de Hanna Bayodi-Hirt en Amore, déjà mentionnées. Quel bonheur de les retrouver un an après, même si leur présence sur scène est limitée! La distribution offre également deux sopranos d'un très bon niveau vocal et « de comédie »: la Slovène Suzana Ograjensek et la Britannique Katherine Watson ( respectivement Valletto et Virtute).


La distribution masculine est d’un niveau différent. Au sommet, le contre-ténor Max Emanuel Cencic, en Ottone, à la voix de fausset aussi étrange que peu naturelle (au contraire de Jarousssky), mais un bon chanteur. Antonio Abete, dans le rôle de Seneca, n'est à la hauteur que dans le médium. José Lemos, dans ses deux rôles, fait preuve de talent. Le rôle d'Arnalta, bouffe jusqu'à la caricature, est plus discutable. On peut contester la légitimité d’insérer à la fin de l'ouvrage un air aussi grotesque, sans pour autant en rendre l'interprète responsable. D'ailleurs, le grotesque est essentiel au XVIIe siècle (tout comme au XXe, quoique pour des raisons différentes). Robert Burt, comédien, et aussi ténor, se tire fort bien du rôle travesti - et désopilant - d’Arnalta, et rend justice au recitativo cantabile « Oggi sarà Poppea ».



Enfin, on a eu encore la joie d’avoir parmi William Christie et Les Arts Florissants, dans un spectacle signé Pizzi. L'ensemble est d’une grande beauté théâtrale et d'un très haut niveau vocal.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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