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Des méfaits du décor unique

Strasbourg
Opéra National du Rhin
04/25/2010 -  et 27, 29 avril, 2, 4*, 6 mai (Strasbourg), 16, 18 mai (Mulhouse, La Filature)
Giuseppe Verdi : Macbeth
Bruno Caproni (Macbeth), Wojtek Smilek (Banco), Elisabete Matos (Lady Macbeth), Sebastian Na (Macduff), Enrico Casari (Malcolm)
Chœurs de l'Opéra national du Rhin, Orchestre Symphonique de Mulhouse, Enrique Mazzola (direction)
Francisco Negrin (mise en scène), Louis Désiré (décors et costumes), Bruno Poet (lumières)


B. Caproni et E. Matos (© Alain Kaiser)


Début de soirée cauchemardesque, ce qui n’a évidemment rien d’inattendu pour Macbeth. Le rideau se lève sur une excavation jonchée de morceaux de barbaque, envahie de racines et percée de couloirs troglodytes. Quelques planches clouées en désordre donnent au lieu un semblant d’aspect habitable. Les sorcières affairées à leur happening maléfique sont au nombre de trois seulement, femmes-araignées qui escaladent le mur du fond dans toutes sortes de positions défiant la pesanteur, suspendues à des filins. La bizarrerie des images est intéressante, soulignée par des éclairages rasants, mais le hiatus entre ces silhouettes d’acrobates constamment remuantes et le chœur des sorcières proprement dit, statique et dispersé dans les rares espaces que le décor lui laisse à disposition, dérange d’emblée. Macbeth et Banquo pénètrent dans le dispositif à pied, par une porte ouverte dans le fond, et le premier tableau se déroule sans nouvelle surprise, et même de façon tout à fait conventionnelle.


L’entrée immédiate de Lady Macbeth dans le même décor ne laisse hélas plus guère de doute ensuite : toute la soirée va irrémédiablement patauger au fond du même trou, sans aucun espoir d’en sortir. Avec pour seules échappatoires de multiples entorses au livret, qu’il ne reste plus qu’à comptabiliser pour éviter l’ennui, car dès lors ce spectacle hirsute et maculé de boue à tous les étages indiffère. Certes le Macbeth de Shakespeare ne fait ni dans l’eau de rose ni dans la demi-mesure, mais Verdi a quand même réussi à construire sur ce sujet sinistre, en s’y reprenant d’ailleurs à deux fois, un opéra équilibré, dont les deux grandes scènes des sorcières ne constituent que l’un des multiples aspects. Dans cette mise en scène l’un des principaux ressorts du drame est absent : la respectabilité apparente du couple Macbeth, dont la dignité de façade ne se lézarde en principe que progressivement. La chute des protagonistes, d’autant plus vertigineuse qu’elle s’effectue du plus haut l’échelle sociale, ne devrait commencer qu’avec les apparitions du spectre de Banco, au milieu de la réception de l’acte II. Or ici tout le monde piétine indistinctement depuis le début, Macbeth jouant constamment du poignard devant des masses de gens, public inclus, qui en principe ne devraient rien voir du tout. Trop de violence tuant la violence il faut en rajouter toujours davantage, ce qui en termes de conventions théâtrales finit par poser problème. Le suicide (!) de Lady Macbeth puis l’égorgement de Macbeth par Macduff, ponctués de force braillements de gorets de la part des intéressés, sonnent définitivement le glas de cette mise en scène excessive à laquelle on n’a jamais cru une seconde, et qui à de tels moments provoquerait plutôt un sain fou-rire.


Dommage pour les semaines de mise au point et d’études préalables techniques d’un spectacle qui paraît minutieusement étudié, jusqu’à la moindre mèche de perruque sale et au plus petit détail insolite, et qui échoue d’autant plus péniblement. Quant à la distribution vocale, ses petites carences l’empêchent de faire oublier la monotonie sordide de ce qui est donné à voir. Le Banco de Wojtek Smilek a du mal à se dépêtrer d’une émission engorgée qui prive son phrasé de la noblesse requise, le Macbeth de Bruno Caproni chante fort mais n’arrive pas à soutenir un aigu vacillant, quant à Elisabete Matos, énorme voix au potentiel wagnérien évident, sa Lady Macbeth fait illusion jusqu’à une scène de somnambulisme décevante, où aucune véritable nuance ne paraît possible. Au delà de ces contingences techniques, ce qui frappe surtout dans ce trio vocal, c’est son incapacité commune à construire un air correctement, son indifférence à ce phénomène typiquement verdien de progression dramatique et de relance régulière de la phrase qui doit déboucher sur un véritable climax final… déclencheur d’applaudissements. Ici tout reste prudemment linéaire, avec pour sanction le plus souvent un silence glacial du public à la fin des airs. Décidément, au cours de cette soirée morose rien ne fonctionne, hormis les éclaircies ménagées par deux très bons ténors (le Macduff de Sebastian Na et le Malcolm d’Enrico Casari), l’homogénéité et la musicalité de chœurs de l’Opéra du Rhin (très beau Patria oppressa, en dépit d’une mise en place défavorable dans le décor) et un Orchestre Symphonique de Mulhouse en superbe forme, sous la direction interventionniste et tonique de Enrique Mazzola. C’est déjà beaucoup, mais pour un chef-d’œuvre de l’envergure de Macbeth c’est insuffisant.



Laurent Barthel

 

 

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