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Quatre pour la finale

Bordeaux
Grand Théâtre
05/14/2010 -  et 13 mai 2010
Franz Schubert : Quatuor n° 12 «Quartettsatz», D. 703 (a, b, c, d, e, f, g)
Gilbert Amy : Quatuor n° 3 (création) (a, b, c, d, e, f, g)
Robert Schumann : Quatuors n° 1, opus 41 n° 1 (a, c, d, g), et n° 3, opus 41 n° 3 (b, e, f)

Quatuor Puertas (a): Ellie Fagg, Thomas Norris (violon), Julia McCarthy (alto), Andrew Joyce (violoncelle)
Quatuor Raphaël (b): Pierre Fouchenneret, Pablo Schatzman (violon), Arnaud Thorette (alto), Kenji Nagaki (violoncelle)
Quatuor Zaïde (c): Charlotte Juillard, Pauline Fritsch (violon), Sarah Chenaf (alto), Juliette Salmona (violoncelle)
Quatuor Zemlinsky (d): Frantisek Soucek, Petr Strizek (violon), Petr Holman (alto), Vladimír Fortin (violoncelle)
Quatuor Galatea (e): Yuka Tsuboi, Sarah Kilchenmann (violon), David Schneebeli (alto), Julien Kilchenmann (violoncelle)
Quatuor Cecilia (f): Min-Jeong Koh, Sarah Nematallah (violon), Caitlin Boyle (alto), Rebecca Wenham (violoncelle)
Quatuor Amaryllis (g): Gustav Frielinghaus, Lena Wirth (violon), Lena Eckels (alto), Yves Sandoz (violoncelle)




A l’issue de la première épreuve (voir ici), sept formations restent en lice au concours international de quatuor à cordes de Bordeaux. La deuxième épreuve consiste en un programme d’environ une heure comportant l’interprétation de trois œuvres. Deux d’entre elles sont imposées: comme au premier tour en 2007 (voir ici), l’une est le Douzième quatuor (1824) en un seul mouvement («Quartettsatz») de Schubert; l’autre est la commande que chacune des éditions du concours s’attache à passer à un compositeur. Après György Kurtág en 2005 (voir ici) et Nicolas Bacri en 2007 (voir ici), c’est Gilbert Amy (né en 1936) qui a été sollicité. A cette fin, il a achevé dès 2008 – une fois n’est pas coutume, les commandes étant en effet le plus souvent livrées in extremis – son Troisième quatuor, succédant à ses deux précédentes contributions au genre, respectivement commandées par ProQuartet et Radio France en 1992 et en 1995. D’un seul tenant, ce quatuor dure environ un quart d’heure, au cours duquel se succèdent différents épisodes de caractères et de tempi contrastés. Dans un style qui demeure fidèle à l’héritage postsériel et expressionniste, il rassemble le lot de chausse-trapes requis pour éprouver la technique et la capacité d’adaptation des concurrents. L’expérience se révèle toujours stimulante, non seulement pour l’auteur, auquel elle offre l’occasion de pouvoir entendre en deux jours sept versions de sa partition, mais aussi pour le public qui, venu nombreux, notamment à la faveur du jeudi de l’Ascension, peut ainsi se familiariser avec une musique relativement difficile d’accès.


Pour la troisième œuvre les candidats ne disposent de guère davantage de liberté, car ils doivent choisir l’un des trois Quatuors (1842) de Schumann: à Bordeaux, on n’oublie pas les bicentenaires, puisque même Chopin, qui, s’il a écrit une Sonate pour violoncelle et un Trio avec piano, n’a hélas pas laissé de quatuor, a été célébré, la veille au soir, par une création de Pierre Thilloy, Notes sur Chopin, accompagnée de lectures de textes de Gide par Gérard Laurent.


Dans le même ordre que pour la première épreuve, les candidats se succèdent, à raison de deux ou trois par demi-journée. Jeudi matin, le Schubert du Quatuor Puertas apparaît soigné, mais peu intéressant et parfois imprécis ou excessivement affecté. Premiers à donner le quatuor d’Amy, les Britanniques vont bien au-delà des 14 minutes annoncées pour son exécution et ne brillent ni par leur sonorité ni par leur cohésion. Leur Premier de Schumann déçoit par sa pusillanimité, dès l’Andante espressivo initial, étrangement éteint, puis dans l’Allegro qui suit, plus aimable que passionné. Après un Scherzo plus pesant que bondissant, l’Adagio traîne en longueur et le Finale ne se départit pas d’une certaine raideur.


Le Quatuor Raphaël provoque d’emblée un effet de contraste, avec un Schubert bénéficiant à la fois de plus de caractère et de puissance. Il se passe également beaucoup de choses dans le Troisième de Schumann, vivant, plein de couleur, d’élan et de vigueur, voire d’une passion quelquefois excessive (Assai agitato): les Français ont décidément un tempérament accrocheur et pêchu, qui, bien que dans un tempo toujours globalement retenu, n’en propose pas moins une tout autre vision du Troisième d’Amy.


Jeudi après-midi, le Quatuor Zaïde, toujours adepte d’une disposition originale (de gauche à droite, violon I, violoncelle, alto et violon II), va encore au-delà de la bonne impression qu’il avait déjà inspirée au cours de la première épreuve: un Schubert très investi, moins univoque et plus fin que celui des Raphaël, mais peut-être un peu trop recherché. Moins spectaculaires dans le Troisième d’Amy, les Françaises l’abordent néanmoins de façon plus allante – et, partant, plus fidèle à la lettre de la partition – mais aussi plus raffinée que leurs prédécesseurs. Mais c’est surtout dans le Premier de Schumann qu’elles triomphent où, se fondant sur d’éminentes qualités aussi bien individuelles que collectives, leur prestation semble à tous égards préférable à celle du Quatuor Puertas plus tôt dans la journée: plus grande diversité d’expression dès les premières mesures, mordant du Scherzo, lyrisme, respiration et sensibilité de l’Adagio, enthousiasme du Finale.


Le Quatuor Zemlinsky confirme que son expérience – quinze ans d’ancienneté, dont plus de dix ans dans la même formation – en fait le favori de cette compétition. L’ensemble fonctionne à la perfection, avec une patine et une aisance que n’ont pas (encore) les autres candidats, comme le montre un Schubert impeccablement réalisé. De vieux briscards? Des «briscards» – autrement dit, ainsi que le confirme le dictionnaire, des «soldats chevronnés» – sans nul doute, mais jeunes, puisque le concours ne s’adresse qu’aux «ensembles de toutes nationalités dont les membres sont nés après le 1er mai 1970, la moyenne d'âge des quatre participants ne devant pas dépasser 33 ans au 1er mai 2010». Tout aussi convaincants que les Zaïde, les Tchèques abordent cependant le Premier de Schumann avec des arguments différents: plus de corps et de rondeur, une conception plus sombre et dramatique (Scherzo) mais sans observer les reprises du premier mouvement, plus tendre (Adagio) mais moins juvénile (Finale). Ils concluent sur une exécution très «viennoise» du Troisième d’Amy, à l’image d’un jeu sul ponticello très sonore.


Le Quatuor Galatea ne démérite pas dans Schubert, malgré une tendance à surjouer certaines inflexions ainsi qu’un premier violon aux couleurs inégalement séduisantes et peu avare de portamenti. Avec une remarquable subtilité, les Suisses, plus proches que les précédents quatuors des tempi indiqués par la partition, confèrent une grande richesse de nuances au Troisième d’Amy, qu’on n’avait pas entendu jusqu’alors aussi poétique ou ludique. Moins en force, moins fougueux et rugueux que les Raphaël le matin, ils défendent une conception plus équilibrée et plus légère du Troisième de Schumann.


Vendredi matin, le Quatuor Cecilia, malgré quelques intentions un peu excessives, réussit un Schubert bien construit, mais instrumentalement irrégulier. Le Troisième d’Amy est également bien mené, mais sans réellement parvenir à se détacher. Dans le Troisième de Schumann, le parti pris de lyrisme et de confidence des Canadiennes se révèle intéressant, particulièrement dans les premier et troisième mouvements, mais se conjugue à un manque de personnalité, d’énergie et d’engagement qui dessert les deux autres mouvements.


Comme au cours de la première épreuve, le Quatuor Amaryllis se caractérise davantage par son assurance que par sa sûreté dans Schubert. Mais succédant aux Cecilia, les trois Allemands et le violoncelliste suisse frappent par une qualité instrumentale supérieure, beaucoup plus agréable et confortable, avec des textures plus fondues qui ne les empêchent nullement d’être incisifs quand il le faut. Techniquement remarquables, métronomiquement exacts – les seuls à respecter les 14 minutes prescrites – et expressivement justes, ils présentent la meilleure lecture du Troisième d’Amy. Leur approche du Premier de Schumann n’est pas prodigue de nuances et de couleurs, mais l’Adagio s’épanouit moins que sous les archets des Zaïde ou des Zemlinsky, même s’ils concluent sur un Finale plein de feu.


Le jury décide de retenir quatre candidats pour la finale: les Quatuors Raphaël, Zaïde, Zemlinsky et Galatea, mais il serait vraiment dommage d’oublier les Amaryllis, qu’on espère donc retrouver pour de prochains concours ou concerts.



Simon Corley

 

 

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