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Une recette simple et inattendue Paris
Eglise du Val-de-Grâce
05/02/2010 -
Maurice Duruflé : Toccata (extrait de la Suite), opus 5 – Messe «Cum jubilo», opus 11
Veljo Tormis : Kaksikpühendus – Incantatio maris æstuosi
Yves Castagnet : Psaume XXVI
Lili Boulanger : Pour les funérailles d’un soldat – Psaume XXIV
César Franck : Hymne
Einojuhani Rautavaara : Le Bain (extrait de «Elämän kirja»)
Chœur de l’Armée française, Emilie Fleury (direction), Matthias Lecomte (orgue), Catherine Stagnoli (piano)
Alors que la fréquentation des concerts de musique dite «classique» fait régulièrement l’objet de commentaires inquiets de la part des organisateurs et même des spectateurs, la recette pour attirer du monde est pourtant aussi simple qu’inattendue, à en juger par l’affluence en ce dimanche après-midi au lendemain du 1er mai et au dernier jour des vacances scolaires: il suffit de demander à un chœur et à un organiste d’interpréter des œuvres de Duruflé, Tormis, L. Boulanger et Rautavaara. L’accès en était certes gratuit, même si le public était ensuite invité à apporter son obole dans les corbeilles disposées à la sortie, mais le succès n’en est pas moins remarquable, vu le peu de curiosité qu’il faut si souvent déplorer dans la capitale, ici aussi tant du côté des organisateurs que des spectateurs.
Le théâtre de cet exploit est la dix-septième saison d’orgue du Val-de-Grâce, qui s’inscrit elle-même dans un double cycle de concerts gratuits étalé sur l’ensemble de l’année: le premier week-end de chaque mois, le samedi est dédié à l’ensemble vocal La Chapelle de musique du Val-de-Grâce, tandis que le dimanche est réservé aux «auditions d’orgue». L’instrument, dont le titulaire depuis 1993 est Hervé Désarbre, n’est autre qu’un Cavaillé-Coll: réalisé en 1853 pour l’église Sainte-Geneviève, autrement dit le Panthéon, où il résonna sans doute pour la dernière fois à l’occasion des obsèques de Victor Hugo (1885), il fut déplacé en 1891, transformé en 1927 puis restauré en son état original en 1993. Mais dans le chœur, sous la coupole de Mignard (1663) aux deux cents personnages bibliques et devant le maître-autel conçu la même année par Le Duc, écrasé sous le marbre baroque (notamment quatre gigantesques colonnes torsadées), l’orgue est, en cette avant-dernière séance de la saison, limité le plus souvent au rôle d’accompagnateur: le programme met en effet en vedette le Chœur de l’Armée française, sous la direction d’Emilie Fleury, qui en est la chef-adjointe depuis septembre 2008.
L’organiste Matthias Lecomte (né en 1983), accompagnateur du Chœur depuis 2005, ne se voit ainsi offrir la possibilité de se faire entendre en solo qu’en lever de rideau: il lutte victorieusement contre la redoutable Toccata de Maurice Duruflé (1902-1986), dernier des trois mouvements de sa Suite (1933), aidé par un Cavaillé-Coll idéal dans cette page brillante et fidèle à l’esprit de l’orgue symphonique français. C’est un autre visage du compositeur qu’offre la lumineuse Messe «Cum jubilo» (1966/1967), pour chœur de barytons à une voix et orgue: éclatée en trois temps au fil du programme (Kyrie et Gloria, puis Sanctus et Benedictus, et enfin Agnus Dei), elle révèle un langage d’un grand raffinement, tenant à la fois de Fauré et de Messiaen. Le Psaume XXVI d’Yves Castagnet (né en 1964), titulaire depuis 1988 de l’orgue de chœur de Notre-Dame de Paris, s’inscrit lui aussi dans cette veine plus traditionnelle qu’innovatrice.
César Franck est également à l’honneur – il est vrai qu’on est à deux pas de la Schola cantorum, fondée par son élève d’Indy – pour une Hymne (1888) aussi courte que méconnue, sur un texte de Racine et avec un accompagnement de Catherine Stagnoli au piano, desservi par l’acoustique. Et il est toujours tentant de se demander ce qu’il serait advenu de Lili Boulanger (1893-1918) si elle n’était décédée aussi jeune, plus encore à l’audition de son puissant Psaume XXIV (1916) que du poème de Musset Pour les funérailles d’un soldat (1912), avec sa citation du Dies iræ, respectivement accompagnés à l’orgue et au piano.
La renommée que valent à l’Estonien Veljo Tormis (né en 1930) ses compositions chorales n’est pas usurpée, à en juger par deux courtes pièces a cappella très colorées: Double dédicace (1983), un laconique diptyque pour le centenaire des poètes Marie Under (1883-1980) et Gustav Suits (1883-1956), puis Incantatio maris æstuosi (1996). Bien que fondée sur des textes de l’épopée finlandaise Kalevala, cette «incantation pour une mer houleuse», dans un style répétitif faisant appel à des procédés vocaux originaux (en particulier des sifflements qui sonnent de façon très spectaculaire sous les hautes voûtes de l’édifice), est écrite en latin. De même, Einojuhani Rautavaara (né en 1928), qui s’est imposé par ses symphonies et ses opéras comme la figure centrale de la musique finlandaise de sa génération, recourt à cinq langues différentes pour les onze chœurs du Livre de la vie (1972): trois sont en français, dont le huitième, «Le Bain», sur un poème de José-Maria de Heredia, frappe par son rythme et sa vigoureuse conclusion. Mais le concert s’achève dans une paix moelleuse, avec, en bis, le Chant spirituel (1856) de Brahms.
Le site de Musique au Val-de-Grâce
La page du Chœur de l’Armée française
Simon Corley
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