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Billy Christ

Paris
Opéra Bastille
04/24/2010 -  et 24, 27, 29 avril, 3, 8, 10, 13, 15 mai 2010
Benjamin Britten : Billy Budd, opus 50
Kim Begley (Edward Fairfax Vere), Lucas Meachem (Billy Budd), Gidon Saks (John Claggart), Michael Druiett (Mr Redburn), Paul Gay (Mr Flint), Scott Wilde (Lieutenant Ratcliffe), Andreas Jäggi (Red Whiskers), Igor Gnidii (Donald), Yuri Kissin (Dansker), François Piolino (The Novice), John Easterlin (Squeak), Franck Leguérinel (Bosun), Paul Crémazy (Maintop), Vladimir Kapshuk (The Novice's Friend)
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine⁄Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, Jeffrey Tate (direction)
Francesca Zambello (mise en scène)


L. Meachem (© Opéra national de Paris/Ian Patrick)


Drame de l’innocence blessée, de la nature reniée et châtiée par la loi, du désir refoulé, Billy Budd expose, six ans après Peter Grimes, déjà opéra de la mer, les thèmes chers à Britten. Pas de rôle féminin cette fois : l’Indomptable du Capitaine Vere est un monde d’hommes, dont le héros, par sa beauté d’ange, va bouleverser les consciences. Un sujet à la Pasolini – dans le film de Peter Ustinov, Billy n’était-il pas incarné par Terence Stamp, futur protagoniste de Théorème ? – que le compositeur anglais traite sur le mode du grand opéra, avec force chœurs, grande scène de branle-bas de combat, solos quasi autonomes, où se croisent les destins individuels et collectifs. Une des partitions à la fois les plus accessibles et les plus fortes de Britten, dont la modernité, comme toujours, se nourrit de diverses traditions opératiques, le posant d’abord en héritier au métier sûr. Il est vrai qu’avec le livret d’Eric Crozier, qui venait de lui tailler Faisons un opéra, aidé ici d’E.M. Forster, il jouait sur du velours ; cette adaptation de la nouvelle de Hermann Melville ne pouvait qu’inspirer un musicien doué d’un sens inné du théâtre.


Commandée par Hugues Gall pour la saison 1995-1996, déjà reprise en 1998 et en 2001, la production de Francesca Zambello méritait de réinvestir la scène de Bastille. Si elle n’a pas toujours eu, loin de là, la main heureuse, l’Américaine a signé là une de ses grandes réussites – avec Guerre et Paix. Les grandes machines la mettent à l’aise, les souffrances de cette communauté de marins frappés par le fouet, trimant sur le pont ou chantant dans les cales, la stimulent : elle dirige remarquablement le chœur, quitte à retrouver, dans la scène du combat, la veine hollywoodienne de films connus. Et la pendaison de Budd, coupable malgré lui d’avoir tué le maître d’armes Claggart, ne manque pas son effet, avec ce corps resté suspendu à la corde. Le symbole ne lui échappe pas non plus : le mât en forme de croix, domaine du jeune gabier de misaine, rappelle la dimension christique du héros bègue, qui refuse qu’on se mutine pour le sauver et bénit avant de mourir son Capitaine idolâtré - cette bénédiction finira par apaiser le vieil officier encore bourrelé de remords et revivant douloureusement l’histoire. La mer, elle, réside dans ce bleu parfois traversé de brumes. La finesse de la direction d’acteurs surprend agréablement, qui révèle le double visage de chacun, machiavélisme ténébreux de Claggart, consumé d’un désir converti en haine sadique, ambiguïté de Vere, bourreau victime de la loi et de lui-même, faiblesse maladroite et force irradiante de Billy.


Jeffey Tate dirige la version en deux actes de 1960 – il y en avait quatre à la création à Covent Garden en 1951. L’ancien assistant de Pierre Boulez à Bayreuth installe d’emblée une atmosphère sombre tout en éclairant les plans sonores, plus symphonique que pictural cependant, d’abord sensible à la structure de l’œuvre, un peu distancié au premier acte puis de plus en plus lyrique et passionné, d’une infinie tendresse dans la ballade des adieux de Billy, sans excès dans l’émotion toutefois, sans concession à l’effet dans les grandes scènes d’ensemble. Lucas Meachem prend la difficile succession de Rodney Gilfry, tout aussi musclé mais moins christique, moins rayonnant faute d’abord d’une voix assez puissante, surtout au premier acte. Le second acte le montre plus à l’aise, notamment au moment où il prend congé de la vie en phrasant sa ballade avec une simplicité lumineuse. Le retour de Gidon Saks, en remplacement de Kurt Rydl, déçoit plutôt : son Claggart odieux et démoniaque, véritable Iago marin, à la perversion subtilement caractérisée, ne peut donner sa mesure en raison d’une émission totalement engorgée, en particulier dans les graves, fatale à la projection de la voix. On se réjouit, en revanche, de revoir le Vere de Kim Begley, garant de l’ordre acquis aux Lumières, partagé entre son devoir et son attirance, toujours en quête, des années après le drame, d’une problématique rédemption ; on le trouve également plus assuré dans l’expression de l’autorité, moins androgyne de timbre aussi que certains interprètes du rôle. L’ensemble se signale par son homogénéité, chacun trouvant le ton juste, tel François Piolino en Novice prêt à trahir par peur du fouet. Le chœur de l’Opéra, qui incarne l’un des rôles les plus importants de l’opéra, montre l’excellence du travail accompli par Patrick Marie Aubert. Avec ce Billy Budd, le souffle de la mer a passé sur Bastille.



Didier van Moere

 

 

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