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Rachmaninov, méconnu et génial

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
04/08/2010 -  
Serge Rachmaninov : Le Printemps, opus 20 – Concerto pour piano n° 4 en sol mineur, opus 40 – Les Cloches, opus 35
Dina Kuznetsova (soprano), Kostyantyn Andreyev (ténor), Alexeï Tanovitsky (baryton-basse), Boris Berezovsky (piano)
Chœur de Radio France, Orchestre national de France, Gianandrea Noseda (direction)


B. Berezovsky (© David Crookes/Warner Classics)


Rachmaninov tel qu’on l’ignore souvent : le Quatrième Concerto est mal aimé et les organisateurs de concerts oublient trop souvent Les Cloches, sans parler du Printemps. Autant de raisons de remercier le talentueux Gianandrea Noseda, toujours prêt à s’engager, notamment au disque, pour des compositeurs ou des œuvres rares – les partitions symphoniques de Respighi, l’intégrale orchestrale de Karłowicz, par exemple.


La cantate profane Le Printemps, sur Le Bruissement vert de Nekrassov, révèle d’emblée une direction précise, d’une grande plasticité, souple dans les phrasés, attentive aux couleurs, avec un sens des atmosphères : cette histoire de mari s’apprêtant à tuer son infidèle épouse puis y renonçant à l’appel de la saison nouvelle a besoin d’un chef de théâtre, ce qu’est précisément aussi Gianandrea Noseda. Du début, où la nature reprend vie, à la fin, où le lyrisme devient éperdu, le chef italien conduit un véritable drame en miniature, bien soutenu par un chœur parfaitement préparé grâce à Michael Gläser. Le baryton Alexeï Tanovitsky convainc par une certaine beauté du timbre et un style châtié, mais peine à projeter sa voix lorsque l’orchestre et le chœur conjuguent leurs forces, prenant de surcroît des poses dignes du Bolchoï de jadis. Visiblement séduit par la direction, l’orchestre sonne avec une homogénéité qu’on ne lui connaît pas toujours, avec des beaux solos instrumentaux – ils se connaissent depuis un Trouvère à Orange en 2007, avec Roberto Alagna, et un concert aux Champs-Elysées en 2009 (lire ici).


On était donc tranquille pour le Quatrième Concerto qui, entre les premières esquisses de 1914 et la révision de 1941, donna du fil à retordre au compositeur. Pour les uns, le moins heureux, pour les autres, le plus beau des quatre Concertos. Boris Berezovsky, s’il stupéfie toujours autant par son aisance dans les répertoires les plus périlleux, sait, dès l’Allegro vivace, aller au-delà de la virtuosité pour offrir une authentique interprétation, à la fois sombre et rêveuse, libre et concentrée, à l’unisson d’un Noseda infiniment plus inventif qu’un Dimitri Liss, dont la direction pachydermique plombe toujours le pianiste. On entend ici l’orchestre de Rachmaninov, plus inspiré et plus dramatique que dans ses précédents Concertos. Après un Largo sans apprêt où l’angoisse le dispute à la méditation, où se confirme le pessimisme de la lecture du pianiste et du chef, l’Allegro vivace, ressemble à une course à l’abîme délirante, fantastique, remarquablement maîtrisée – il sera entièrement bissé !


Composé sur une traduction du poème de Poe par le symboliste russe Constantin Balmont, qui inspira également Stravinsky et Prokofiev, Les Cloches correspond, dans ses parties, aux quatre âges de la vie, et constitue un hommage à ces cloches que Rachmaninov entendait à Novgorod, à Kiev ou à Moscou, en particulier dans son enfance. Il les associe aux larmes, d’où la présence récurrente du motif du « Dies irae », si fréquent chez lui. Là encore, Gianandra Noseda dramatise sa direction, comme si la « symphonie chorale » du compositeur russe, une de ses partitions les plus fortes, témoignant de sa science de l’orchestre, s’apparentait aux scènes d’un opéra intérieur. L’Allegro ma non troppo jubile dans le tintement de la cloche d’argent de la naissance et de l’enfance, sous une direction aux lignes claires et aux sonorités raffinées, le chef de fosse épousant les phrasés d’un Kostyantyn Andreyev dont on apprécie l’émission aisée et le timbre coloré. Cette direction se fait plus lyrique encore pour le Lento des cloches d’or du mariage : si le vibrato de Dina Kuznetsova ne peut trahir ses origines slaves, le phrasé est beau et elle met une grande intensité dans le superbe chant d’amour. Le chœur excelle dans le Presto, où le chef crée une ambiance de noirceur angoissée, de panique hallucinée rappelant le Moussorgski d’Une nuit sur le mont chauve et annonçant les pages les plus torturées de Chostakovitch, pour illustrer, à travers le tocsin de bronze, les épreuves de l’existence. Superbe et puissant finale enfin, un Lento lugubre plus favorable au baryton que Le Printemps, où la cloche de fer sonne un glas désespéré, très inspiré décidément par un compositeur auquel il a déjà dédié de superbes disques – notamment un récent Aleko. Et l’orchestre, toujours, donne dans cet opus 35 le meilleur de lui-même. Il serait temps qu’on mesure l’étendue du génie de Rachmaninov, que Gianandrea Noseda nous a magnifiquement rappelée.



Didier van Moere

 

 

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