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Pris au piège

Paris
Palais Garnier
03/17/2010 -  et 20*, 23, 29, 31 mars 2010
Philippe Fénelon : Faust
Gilles Ragon (L’Homme, Görg), Arnold Bezuyen (Faust), Robert Bork (Méphistophélès), Gregory Reinhart (Wagner, le Moine), Bartlomiej Misiuda (le Forgeron), Eric Huchet (le Duc, le Capitaine), Marie-Adeline Henry (la Femme du Forgeron, la Princesse), Karolina Andersson (Annette), Johan Christensson (Kurt), Stanislas de Barbeyrac (Hans), Guillaume Antoine (Michel), Zoé Nicolaidou (Kathe), Ilona Krzywicka (Suschen), Aude Extremo (Lieschen), Hyun-Jung Roh, David Fernandez-Gainza, Chae Wook Lim, Shinjae Kim (Quatre matelots) Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, Bernhard Kontarsky (direction)
Pet Halmen (mise en scène, décors, costumes et lumières originales)


(© Opéra national de Paris/Mirco Magliocca)


Fin lettré, fervent amateur et connaisseur de la voix et du genre lyrique – on recommandera la lecture de ses Histoires d’opéras –, Philippe Fénelon n’a pas résisté à l’attrait de la scène, revisitant à quatre reprises un grand mythe occidental. Après Le Chevalier imaginaire, où l’on retrouve le Don Quichotte de Cervantès revu par Kafka, après Les Rois, inspiré d’un Julio Cortázar réinventant l’histoire d’Ariane et du Minotaure, après Salammbô, écho de sa passion pour la Carthage de Flaubert, il s’emparait de Faust. Mais il évitait de reprendre le texte de Goethe, préférant – dans la langue originale – le long poème de Lenau, auquel Liszt avait emprunté ses deux Episodes, « Procession nocturne » et « Méphisto-Valse », également retenus ici. C’était là choisir une voie difficile : succession de tableaux, le texte se prête peu à l’adaptation scénique – pas d’intrigue comme chez Goethe, pas d’histoire avec Marguerite ou Hélène, Faust restant surtout un solitaire que rien ne satisfait. Le compositeur a donc imaginé pour son héros un itinéraire en deux actes et onze tableaux, de l’ascension ratée des cimes au suicide qui le livre à Méphistophélès. Il a, de plus, flanqué Faust d’un homme, ou plutôt de « l’Homme », nommé Görg, à la fois récitant et conscience, double « positif », lui aussi entre le ciel et la terre, mais opposant « à cette quête éperdue l’acceptation du monde tel qu’il est ». Vous ou moi, peut-être.


Cette idée passionnante se laisse malheureusement prendre au piège du poème de Lenau : même en taillant et en condensant, Philippe Fénelon, s’il a une belle plume, n’a pas réussi à écrire un livret susceptible de tenir théâtralement la route, faute de tension soutenue. La musique elle-même, du coup, se trouve à son tour prise au piège, dépourvue de colonne vertébrale : elle n’avance pas et suscite très vite l’ennui, révélant la sûreté d’un métier plus que l’élan d’une inspiration. Rien ne manque, le musicien dose ses effets, mais les répète sans les inscrire dans une trajectoire dramatique. On le sent aussi trop marqué par l’opéra allemand du vingtième siècle – Wozzeck entre autres, encore et toujours –, notamment dans les parties vocales, avec les aigus de Faust et les coloratures d’Annette. Bref, ce Faust n’est pas réussi. Il eût fallu en outre, pour le porter, une direction plus incandescente que la lecture aussi neutre qu’impeccable de Bernhard Kontarsky. Heureusement, les chanteurs – et le chœur – sauvent la production, même si le ténor Arnold Bezuyen, remarquable dans sa composition, peine dans les hauteurs difficiles de la tessiture du rôle titre. Trouver en revanche dans l’Homme un Gilles Ragon à la santé vocale florissante rassure après L’Attaque du moulin à Metz. Le Méphistophélès de Robert Bork, démon dangereusement ambigu, révèle de son côté un baryton au timbre sombre, à la ligne sûre. Et Karolina Andersson bluffe littéralement par la justesse de ses suraigus et l’agilité de ses vocalises.


La production bénéficie aussi de la mise en scène de Pet Halmen, dont les décors abstraits et les éclairages raffinés, crus ou lunaires – on pense parfois aux bleus de Bob Wilson – plongent l’opéra dans une atmosphère de pénombre onirique. Un ciel étoilé symbolise l’aspiration de Faust à l’inaccessible dont, au centre de la scène, un crâne traversé d’un serpent rappelle sans cesse la vanité. Un crâne qui est le pivot du drame, dans lequel, sur lequel, autour duquel tout se passe – table de dissection ou alcôve de l’adultère. On sent d’ailleurs que le metteur en scène a privilégié la beauté plastique, jouant sur l’abstraction tout en multipliant les références : ambiance post-atomique ou ancien ballet de cour, par exemple, sans parler du navire bibliothèque emporté par la tempête. Le metteur en scène multiplie-t-il les effets, comme certains le lui ont reproché ? Peut-être, mais pour illustrer une cohérence, celle de l’itinéraire d’une conscience prise dans le vertige de ses fantasmes.


Commande de Nicolas Joel pour le Capitole de Toulouse, où il fut créé en 2007, ce Faust confirme en tout cas que l’actuel directeur de l’Opéra de Paris est moins hostile à la nouveauté qu’on l’a dit et redit.



Didier van Moere

 

 

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