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Kaija du Châtelet

Lyon
Opéra
03/01/2010 -  et 4, 7, 10, 13 mars 2010
Kaija Saariaho : Emilie (création)
Karita Mattila (Emilie)
Orchestre de l’Opéra national de Lyon, Kazushi Ono (direction)
François Girard (mise en scène)


K. Mattila (© J.-P. Maurin)


L’Amour de loin avait séduit et convaincu, mais Adriana Mater était un puits d’ennui. Plus récemment, l’oratorio La Passion de Simone avait laissé sceptique : parfois trop long, trop musicalement correct. On finissait par se demander si Kaija Saariaho ne se répétait pas, montrant plus de savoir-faire que d’originalité, prise au piège d’un métier trop sûr qu’elle ne parvenait plus à transcender. Donné en création mondiale à l’Opéra de Lyon, Emilie, opéra en neuf scènes, dissipe le doute. Cet hommage à madame du Châtelet, une des grandes figures féminines des Lumières, traductrice de Newton, aussi préoccupée de science que d’amour, maîtresse d’un Voltaire ardent, du moins au début, auteur, comme lui, d’un essai sur le bonheur, puis d’un Saint-Lambert plus lointain, témoigne en effet d’un regain d’inspiration.


Emilie se trouve au soir de sa vie, prête à accoucher dans trois jours, pressentant cette mort qui la fauchera une semaine plus tard après la naissance de l’enfant, se demandant si elle achèvera sa traduction des Principia de Newton. Une fois de plus, Kaija Saariaho s’identifie à un destin de femme, après la Clémence de L’Amour de loin, Adriana et Simone Weil. Son opéra en neuf scènes capte cet instant où la conscience de l’héroïne vagabonde entre le passé et le présent, le père et les amants, Newton et l’enfant, trahie par une vie qu’elle sent s’échapper, elle qui a toujours aimé « avec rage », faute d’avoir « jamais appris à aimer autrement ». Opéra de la femme, Emilie est aussi un opéra de femme : comme dans Erwartung et dans La Voix humaine, un soprano le porte tout entier, pendant une heure vingt – environ trois fois plus que le monodrame de Schoenberg, deux fois plus que la tragédie lyrique de Poulenc. Mais Kaija Saariaho précise bien sans sa présentation qu’il ne s’agit plus seulement « d’une femme perdant le sens de la vie du fait de l’absence d’un homme ».


Présentation intitulée : « Emilie pour Karita ». Autant dire que l’œuvre n’aurait sans doute pas vu le jour sans sa compatriote, créatrice en 2008 de Mirage, pour violoncelle, soprano et orchestre, avec l’Orchestre de Paris et Christoph Eschenbach. Karita Mattila réalise ici une véritable performance, à l’aise dans une écriture assez opératique, inscrite sans complexe dans une tradition, exploitant toutes les ressources d’une grande voix sans abuser du cri et du chuchotement, plus près de Schoenberg que de Poulenc. La soprano finlandaise, pour autant, ne s’autorise guère d’effet expressionniste, admirable de tenue, variant les couleurs d’une voix charnue, jouant subtilement sur l’émission, chantant son rôle, à peine un peu dure ici ou là dans le timbre, handicapée seulement, pour un mélomane francophone, par un accent nuisible à une articulation au demeurant bien travaillée. La musique ? Subtile, raffinée, elle épouse un à un, dans un maillage sonore qui n’oublie pas, entre autres, l’héritage spectral, les errances du monologue intérieur ; toujours lyrique, créant des atmosphères, elle n’est pas aussi statique qu’il y paraît, sombre ou lumineuse, sensuelle ou mystérieuse, confirmant un art consommé – consensuel et convenu, murmuraient certains à la sortie – de l’instrumentation ; le clavecin, dont jouait Emilie, est très présent – « spatialisé comme parfois la voix de la soliste ». Tout ce qu’il faut pour un opéra de l’âme, où il ne se passe rien. L’œuvre souffre seulement de la médiocrité, toujours aussi creuse qu’ampoulée, du texte librement et artificiellement versifié d’Amin Maalouf, à qui Kaija Saariaho confie obstinément ses livrets depuis L’Amour de loin – le seul où il se montrait à la hauteur de l’enjeu.


Connu des Lyonnais pour Siegfried, le Canadien François Girard situe Émilie dans un beau décor nocturne de François Séguin, éclairé par les lumières éloquentes de David Finn : un laboratoire digne de Jules Verne, dont l’espace semble écrasé par des bras de compas géants et tentaculaires, terminés par des globes terrestres, pivotant comme tourne lentement le temps intérieur de l’héroïne. Cela peut s’avérer plastiquement fort réussi, comme l’étoilement du ciel pour « Principia ». Pour ne pas détruire l’intimisme de la partition, le metteur en scène dirige la chanteuse de façon très sobre, confiant dans ses dons d’actrice ; il intériorise son jeu plus qu’il ne la théâtralise, même lorsqu’Emilie est prise d’étourdissement. Kazushi Ono, dont Le Roi Roger de Bastille avait rappelé le goût pour les combinaisons de timbres et les textures délicates, dirige un orchestre quasi chambriste avec une souplesse et un raffinement remarquables, sans sécheresse dans la précision, n’oubliant pas la dimension dramatique de la partition, allant bien au-delà des mises en places scrupuleuses qui marquent parfois les créations.


En juillet 2012, l’Opéra-Comique accueillera cette commande du Barbican Center de Londres, de la Fondation Gulbenkian et de l’Opéra de Lyon. Serge Dorny, qui a trouvé, dans la cité des Gaules, l’équilibre entre le répertoire, la curiosité et la création, n’a rien à regretter.



Didier van Moere

 

 

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