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Modernité classicisante

Vienna
Theater an der Wien
06/20/1999 -  et 23, 25, 27, 30 juin 1999
Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni
Carlos Alvarez (Don Giovanni), Ildebrando d'Arcangelo (Leporello), Adrianne Pieczonka (Donna Anna), Michael Schade (Don Ottavio), Anna Caterina Antonacci (Donna Elvira), Angelika Kirchschlager (Zerlina), Lorenzo Regazzo (Masetto), Franz-Josef Selig (Commandeur)
Roberto de Simone (mise en scène), Nicolá Rubertelli (décors), Zaira de Vincentiis (costumes), Kurt Schöny (lumières)
Orchestre et Chœurs du Wiener Staatsoper, Riccardo Muti (direction)

Les Wiener Festwochen donnaient en cette fin de saison l'occasion à ce charmant theâtre, curieusement habitué aux Singspiele, opérettes et autres musicals (dont le premier fut La Flûte enchantée en 1791 et le denier en date... Der Glöckner von Notre Dame, ce printemps-ci !), de renouer avec l'univers lyrique. Une foule variée (quelques collégiens sortant de classe cartable sur le dos) et piaffant d'impatience se presse à l'entrée dès le début de ce mercredi après-midi, et il règne dans l'air comme un parfum de première au cinéma.


On est tout de suite conquis par la mise en scène de Roberto de Simone, en apparence classique mais en réalité très innovante, approfondissant avec bonheur les ambiguïtés du dramma giocoso. Le rythme de l'action est soutenu et même rehaussé par le changement incessant des magnifiques décors, tantôt sombres dans les passages proches du romantisme (et l'on assiste alors à une passionnante revue des interprétations que le XIXe siècle aura données du mythe de Don Juan), tantôt galants quand l'oeuvre rappelle la fameuse "douceur de vivre" d'avant 1789. Ces deux univers sont parfois hardiment mélangés, mais de façon tout à fait convaincante, comme dans ce sommet de l'oeuvre qu'est le trio "Ah taci ingiusto core" au début du 2e acte. Voilà qui nous change des barres fixe façon Gymnase Club de la récente production de l'Opéra de Paris ! La direction d'acteurs est d'autre part sans faille et les chanteurs tous très impliqués, dans des costumes fort inventifs mettant parfois habilement en valeur leur côté grotesque (le trio des masques en particulier, est une réussite).


Mais le grand triomphateur de la soirée reste Riccardo Muti qui n'en est certes pas à son premier Mozart, mais dont on aurait pu craindre quelques excès tant ce chef est habitué dans le domaine lyrique à diriger Verdi et l'opéra italien ; son enregistrement chez Emi Classics n'avait d'ailleurs pas fait l'unanimité. Il surprend ici par une lecture très classique, presque olympienne, sans la moindre scorie romantique. Surtout, il détaille l'orchestration avec un soin extrême et ceci nous permet, chose remarquable pour cette partition si souvent jouée, de nous la faire entendre de façon parfois absolument nouvelle. Son tapis sonore dans "Dalla sua pace", son accompagnemnent de violoncelles dans "Batti, batti", sont à bien des égards proprement inouïs.


La distribution vocale, sans atteindre évidemment les sommets presque absolus de la dernière production parisienne, mérite cependant tous les éloges. Carlos Alvarez reprend la tradition un peu perdue des barytons Verdi dans le rôle titre. Il y donne cependant juste ce qu'il faut d'italianité, gardant des réserves vocales qu'on imagine fort grandes. Son phrasé reste jusqu'au bout très mozartien. Dramatiquement sa prestance et son abattage font merveille dans les passages brillants ou tragiques mais, ce qui est plus rare, il sait faire ressortir certaines parties secrètes de son rôle où le personnage dévoile une solitude plus ordinaire, plus moderne aussi.


Ildebrando d'Arcangelo est un Leporello scéniquement parfait, rapprochant son personnage de l'univers de Goldoni, de la Commedia dell'arte et aussi, de façon très pertinente, de Papageno. Les puristes trouveront peut-être sa voix un peu légère pour le rôle, mais après tout le corps d'une voix de basse n'est vraiment requis que pour la montée sur le ré aigu dans l'air du catalogue, et c'est bien peu au regard de tout le reste : volubilité, rondeur, humour, qualités dont ce chanteur, tel un Salvatore Baccaloni, est pourvu au plus haut degré.


Adrianne Pieczonska est une magnifique Donna Anna, d'une liquidité de timbre confondante dans la quinte aiguë. Sans jamais forcer, son interprétation reste très dramatique, et "Non mi dir" est bien le sommet vocal de la soirée. Michael Schade chante lui aussi ses deux airs à la perfection, mais nous surprend plus encore par son engagement dramatique en construisant un Don Ottavio consistant et viril, loin de son habituelle fadeur. On sera un brin plus reservé quant à l'Elvire d'Anna Caterina Antonacci, tant sur le plan vocal (son grand soprano laisse apparaître ça et là quelques blancheurs dans le médium, malgré un superbe "A chi mi dice mai") que, surtout, sur le plan dramatique : trop souvent engoncée dans les poses de l'opera seria, elle oublie le côté un peu ridicule de son personnage, qui devrait pourtant nous le rendre si sympathique !


En revanche, Zerline tout à fait charmante et très viennoise d'Angelika Kirchschlager, dont la voix peut sembler d'ailleurs un poil trop distinguée pour ce rôle de contadina. Son Masetto est un grand et solide baryton, sans complexes face à Don Juan et dont la voix plébeienne aurait fière allure dans les deux Figaro. Enfin, Franz-Josef Selig incarne un Commandeur peut-être trop proche de Gurnemanz, soit plus chantant et douloureux que véritablement tonnant, mais qui impressionne par son impeccable legato.


Seul point faible de cette soirée : les chœurs, seconds couteaux en pré-retraite du Wiener Staatsoper et qu'on a peine à entendre dans la scène champêtre et dans celle des enfers. Mais comme il s'agit presque de leurs seules interventions, on aurait bien tort de faire la fine bouche après ce magnifique spectacle.



Thomas Simon

 

 

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