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Massenet au piano

Paris
Amphithéâtre Bastille
01/27/2010 -  
Jules Massenet : Barcarolle, Saltarello et Carillon (extraits des Dix pièces de genre), opus 10 n° 1, n° 6 et n° 10 – Deux Impromptus – Devant la Madone – Toccata – Deux Pièces – Valse folle
Claude Debussy : Ballade (slave) – Nocturne – Danse (Tarentelle styrienne) – Images (Premier livre) – Pour les degrés chromatiques, Pour les arpèges composés et Pour les octaves (extraits des «Etudes»)

Jean-Efflam Bavouzet (piano)


J.-E. Bavouzet (© Guy Vivien)


En parallèle aux représentations de Werther (voir ici), l’Opéra national de Paris a demandé à Jean-Efflam Bavouzet de faire découvrir un aspect nettement moins connu de Massenet: sa musique pour piano reste en effet largement à découvrir, même si Aldo Ciccolini a défendu voici plus de trente ans chez EMI ce corpus assez volumineux, à défaut d’être aussi essentiel que ses ouvrages lyriques, puisque le tout, Concerto et œuvres pour quatre mains compris, remplit quand même deux disques. Effet de curiosité? Toujours est-il que l’Amphithéâtre Bastille est presque comble.


Bavouzet, dont on peut comprendre qu’il ait souhaité ne consacrer que la première partie de son récital à Massenet, a choisi de le confronter à Debussy, dont il a récemment achevé d’enregistrer l’intégrale pour Chandos. Les points de contact entre les deux prix de Rome ne manquent pas: ainsi la Valse folle (1898) de l’aîné est-elle dédiée à Raoul Pugno, lequel assura en 1893 à deux pianos l’accompagnement d’une représentation de L’Or du Rhin, le second pianiste n’étant autre que Debussy. Mais le croisement des biographies ne s’en caractérise pas moins par des rencontres manquées: Massenet (et Saint-Saëns) membres d’un jury devant lequel un Debussy de seize ans interpréta l’Allegro de l’Opus 111 de Beethoven (!)... et ne remporta pas de prix. Ou bien Debussy prétendant à la protectrice de Tchaïkovski, Mme von Meck, qu’il était l’élève de Massenet: celle-ci en vint donc à enjoindre à l’éditeur russe Jurgenson de ne pas révéler que Debussy était l’auteur de la transcription pour piano d’extraits du Lac des cygnes, de peur qu’il ne se fasse réprimander par Massenet. Epilogue: à son retour à Paris, Debussy s’inscrivit finalement dans la classe de composition d’Ernest Guiraud, même s’il laissa parfois ensuite entendre qu’il avait été l’élève de Massenet et qu’il fit preuve pour ses compositions d’une bienveillance qui n’était pas souvent l’apanage de Monsieur Croche...


Certaines de ses pages pianistiques suggèrent immédiatement des correspondances avec Massenet, ne serait-ce par leur titre: tous deux ont ainsi écrit des Nocturnes, et La plus que lente semble se souvenir de la Valse très lente. Ils partagent également certaines inspirations: l’élément liquide, fréquemment évoqué chez Debussy («Reflets dans l’eau», «Ondine», ...), l’est aussi chez Massenet, dont les Deux impromptus (1895) sont sous-titrés respectivement «Eau dormante» et «Eau courante», Bavouzet faisant observer que la conclusion du second annonce celle de «The snow is dancing» dans Children’s corner. De même, Devant la Madone (1897) travaille sur les résonances de cloches au loin comme le fera plus tard «La Cathédrale engloutie». Cela étant, les similitudes stylistiques doivent sans doute être davantage cherchées ailleurs – L’Enfant prodigue, par exemple – qu’au piano: même les trois pages du jeune Debussy (1890) en début de seconde partie ne paraissent guère influencées par Massenet.


Au demeurant, au travers du florilège présenté par Bavouzet, qui en expose lui-même les principales caractéristiques dans un bref propos liminaire, Massenet se montre sous des jours assez divers – il est vrai que la sélection s’étend sur plus de quatre décennies. Dans trois des Dix pièces de genre (1866) – «Barcarolle», «Saltarello» et «Carillon» – il revendique l’exercice de style, voire le second degré. Devant la Madone, semble-t-il originellement écrit pour orchestre de chambre, porte en exergue l’indication «Souvenir de la campagne de Rome, nuit de Noël 1864», témoignage d’un séjour durant lequel il rencontra Liszt... et fit la connaissance de sa future épouse. Outre les Deux impromptus susmentionnés, un autre diptyque ne manque pas d’intérêt, les Deux pièces (1907): énigmatiques «Papillons noirs» qui ont peut-être rencontré quelque «Oiseau prophète», puis «Papillons blancs» qui se concluent sur de vifs éclats de lumière. Bien écrites pour l’instrument, aux dires mêmes de l’interprète, ces pièces n’hésitent pas à cultiver un registre virtuose, que ce soit la Toccata (1892), que Saint-Saëns ou Pierné n’auraient sans doute pas reniée, ou la Valse folle, dont les chromatismes, octaves et martèlements préfigurent bien davantage Prokofiev que Debussy: une véritable trouvaille pour les pianistes en quête de bis brillants et originaux!


Comme pour mieux marquer la différence avec les limites de l’esthétique de Massenet, la seconde partie du programme met clairement en lumière la profonde évolution de Debussy en tout juste vingt-cinq ans: trois groupes de trois pièces, depuis l’émergence d’une personnalité dans la Ballade (slave), le Nocturne et la Danse (Tarentelle styrienne), interprétés avec subtilité, grâce mais aussi conviction, jusqu’à l’invention du piano moderne dans trois des trop rares Etudes (1915), en passant par la Premier série (1905) d’Images. Un Debussy techniquement très sûr, débarrassé de cet «impressionnisme» statique et cotonneux dans lequel il est trop souvent cantonné, équilibrant sans fadeur les contraires, hédonisme et profondeur, éclat et retenue. Bavouzet prolonge ce moment avec la Première des deux Arabesques (1888), dans une interprétation très fouillée, qui en fait ressortir toute la richesse. Dès le 27 mars, il sera de retour au Théâtre de la Ville pour jouer cette fois-ci Beethoven, Ravel et Prokofiev.



Simon Corley

 

 

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