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André Chénier enfin révélé à Paris

Paris
Opéra Bastille
12/03/2009 -  et 6, 9, 12, 15, 18, 21, 24 décembre
Umberto Giordano : Andrea Chénier
Marcelo Alvarez (Andrea Chénier), Sergei Murzaev (Carlo Gérard), Micaela Carosi (Maddalena di Coigny), Francesa Franci (La Mulatta Bersi), Stefania Toczyska (La Contessa di Coigny), Maria José Montiel (Madelon), André Heyboer (Roucher), Igor Gnidii (Il Romanziero), Antoine Garcin (Fouquier-Tinville), David Bizic (Il Sanculotto Mathieu), Carlo Bosi (Un Incredibile), Bruno Lazaretti (L’Abate), Ugo Rabec (Schmidt), Lucio Prete (Il Maestro di casa), Guillaume Antoine (Dumas)
Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris, Daniel Oren (direction)
Giancarlo del Monaco (mise en scène)


(© Opéra national de Paris/Mirco Magliocca)


Giordano ? « Peut-être, selon Marcel Marnat, le représentant le plus intéressant du « vérisme » proprement dit », dont l’André Chénier fit la gloire et lui garda la faveur du public et des chanteurs. Paris, pourtant, n’avait pas vu son melodramma istorico en quatre actes depuis sa première française en 1905 – sans doute en raison de la peinture fort peu flatteuse de la Révolution, qui envoya le pauvre poète à la guillotine. Nicolas Joel, après la première, peut être fier : ministres et personnalités, public nombreux, accueil triomphal malgré les quelques huées d’usage, on n’a pas boudé cet André Chénier. Si Giordano n’est pas Puccini, il a un indéniable sens du théâtre, joue avec maestria des recettes du figuralisme, sait aller à l’essentiel en deux heures, camper un personnage à travers quelques répliques, trouver des couleurs à un orchestre d’une remarquable clarté sans sacrifier au pompiérisme pour les scènes de foule. Et il nous offre, à travers le poète, sa bien-aimée et le rival repenti, trois figures attachantes par leur vérité humaine.


A partir de là, les voix suffisent-elles ? Dans le cas de la production de Giancarlo del Monaco, il le faut bien. Après Mireille (lire ici), Nicolas Joel persiste et signe : l’Opéra de Paris redevient un temple de la tradition. Encore faut-il la justifier. Or le fils de l’illustre ténor – et non moins illustre Chénier – s’en tient à un spectacle où décors de Carlo Centolavigna et costumes de Maria Filippi, minutieusement historiques, tiennent lieu de mise en scène et cachent la misère d’une direction d’acteurs inexistante – fatale à Marcelo Alvarez, toujours scéniquement pataud. Un spectacle, donc, et rien de plus, qui fait penser aux superproductions de Francesca Zambello… ou de Robert Hossein – mais Guerre et paix, par exemple, avait une autre allure. Là où l’on aimerait voir souffler le vent de l’histoire, voire de l’épopée, on reste dans l’anecdote, dans le premier degré de la narration : les têtes ne manquent pas au bout des piques, on agite des drapeaux et la carmagnole va bon train. Proposer, de plus, après les trente-cinq minutes du premier acte un entracte d’une durée quasi égale casse complètement le rythme d’un spectacle qui n’en a pas à revendre. Certains décors ne laissent pourtant pas insensibles, comme le salon de la comtesse où errent des crânes chauves surmontés de perruques démesurées, caricatures d’un monde inconscient et dépassé, ou le tribunal révolutionnaire, qui siège dans un ancien théâtre royal, le décor le plus réussi de la soirée. Mais le metteur en scène a la main lourde, les éclairages de Wolfgang von Zoubek sont sommaires. Lorsque la production, à la fin, tente de s’élever au niveau de l’abstraction symboliste, pour nous dire que la poésie n’a pas droit de cité dans les dictatures, elle reste laborieuse : on n’est guère touché par ces immenses croisillons figurant les barreaux de la prison et que gravissent – péniblement – les deux amants pour monter vers la lumière de l’initiation sacrificielle à l’absolu de l’amour.


Comme les trois héros ne sont pas des bêtes de scène, ils ont du mal à exister comme d’authentiques figures tragiques. Il leur reste, heureusement, les prestiges de leur voix. Marcelo Alvarez ne possède pas la puissance de certains Chénier d’antan – à commencer par del Monaco père. Mais le rôle n’appelle pas un Othello et le ténor argentin, s’il y atteint ses limites, a dans le timbre la lumière solaire du poète martyr, auquel il confère, dans l’improvisation du premier acte, des accents très justement werthériens. L’élégance de la ligne, le raffinement du phrasé, la subtilité des nuances, la maîtrise d’aigus jamais criés rompent heureusement avec une certaine image du vérisme, qui n’appelle pas des sanglots à chaque note. Ce Chénier flamboyant et généreux n’a que le tort de détimbrer passablement dans ses nuances, tendance accentuée au fur et à mesure de la représentation. Ressemblant à une figure de David, Micaela Carosi, dont la voix révèle des moirures à la Tebaldi, incarne une Madeleine vocalement généreuse et stylée, phrasant « La mamma morta » comme une grande mélodie, un rien lisse, un rien froide malgré tout, victime désignée d’une révolution dévoyée. Gérard, sorte de Iago touché par la grâce, trouve en Sergei Murzaev un parfait interprète. Certes, au premier acte, il aggrave le mordant et la noirceur de sa belle voix par une émission tubée pour éructer ses rancœurs de domestique hargneux, mais il la laisse ensuite s’épanouir naturellement, gardant la totale maîtrise de la ligne, superbe de tenue dans un rôle où guette la tentation du débraillé. Pas d’André Chénier, encore une fois, sans rôles secondaires caractérisés : la distribution montre ici toutes ses qualités, de la Comtesse bien campée de Stefania Toczyska à la Madelon poignante de Maria José Montiel en passant par le Roucher généreux d’André Heyboer. Aussi remarquable que dans La Bohème, Daniel Oren imprime à la soirée un irrésistible élan, grâce à une direction très narrative, d’une théâtralité intense, aussi colorée que limpide, qui n’épaissit jamais la matière sonore. La mise en scène, finalement, est dans la fosse.



Didier van Moere

 

 

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