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Hors-sujet

Strasbourg
Opéra National du Rhin
10/18/2009 -  et 20*, 22, 24, 31 octobre (Strasbourg), 8 (15 h), 10 novembre (Mulhouse, La Filature)
Gustave Charpentier : Louise
Nataliya Kovalova (Louise), Calin Bratescu (Julien), Marie-Ange Todorovitch (La Mère), Philippe Rouillon (Le Père), Anaïs Mahikian (Camille), Khatouna Gadelia (Apprentie, Plieuse, Petite chiffonnière), Anneke Luyten (Irma), Xin Wang (Noctambule, Pape des fous, Marchand d'habits, 2e Bohème), Olivier Déjean (Le Peintre), Nadia Bieber (Gertrude, La Première, Laitière, Glaneuse), Jesus de Burgos (Chiffonnier), Laurent Roos (Chansonnier), Michel Lecomte (Balayeuse), Alain Domi (Bricoleur, Apprenti), Karine Bergamelli (Élise), Tatiana Anlauf (Suzanne), Violeta Poleksic (Blanche), Aline Gozlan (Marguerite), Tatiana Zolotikova (Madeleine), Dominic Burns (Premier philosophe), Jens Kiertzner (Gardien de la paix), Chae-Hoon Baek (Poète), Christophe de Ray-Lassaigne (Sculpteur), Christian Lorentz (Étudiant, Marchand), Young Min Suk (Second philosophe), Julien Jelali (Le Gavroche)
Petits Chanteurs de Strasbourg, Maîtrise de l'Opéra National du Rhin, Chœurs de l'Opéra National du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Patrick Fournillier (direction)
Vincent Boussard (mise en scène), Vincent Lemaire (décors), Chantal de la Coste-Messelière (costumes), Guido Levi (lumières)


P. Rouillon, N. Kovalova, M.-A. Todorovitch (© Alain Kaiser)


« Bonsoir. La soupe est prête ? ». Cette réplique extraite du premier acte de Louise fera sourire ceux qui ignorent tout d’une époque où, effectivement, on servait volontiers la soupe sur les scènes d’opéra. Réalisme, naturalisme, vérisme… autant de catégories du tournant du 19e siècle dont la définition exacte n’est pas aisée, mais qui partagent la même tentation d’ouvrir la convention opératique vers un quotidien plus humain, que celui-ci soit vulgaire, violent, ou même simplement ordinaire. Va donc pour la soupe et les scènes de la vie domestique, celles de Gustave Charpentier n’étant pas plus ridicules en l’occurrence que celles de Ropartz ou de Bruneau. Va donc aussi pour l’opéra des petites gens, de la chiffonnière aux marchands de jouets ou de carottes, de la grisette à l’étudiant poète, de l’allumeur de réverbères au batelier : tout ce décor sonore humain d’une action qui ne fera jamais que propulser en avant quelques-unes de ces silhouettes banales, élues par un destin qui les fera passer brutalement de l’anonyme à l’exceptionnel, voire au tragique.


Tout dans ce genre lyrique-là est affaire d’échelle, de taille relative des personnages dans le cadre. Avec des effets prodigieusement bien calculés, notamment chez Puccini, maître incontestable de ces actions à plusieurs niveaux, en particulier dans ses opéras parisiens : La Bohème et Il Tabarro, mais aussi chez Charpentier, dont Louise, l’unique ouvrage passé à la postérité, conserve un important pouvoir de séduction précisément à cause de ces variations de cadrage, de la profondeur de champ réduite jusqu’au très grand angle, du minuscule destin contrarié d’une petite cousette prolétaire jusqu’à l’effervescence maximale des rues parisiennes de la Belle Epoque.


Nous avons bien dit Belle Epoque… Hélas, à l’Opéra du Rhin Vincent Boussard et Vincent Lemaire se sont sentis obligés de nous actualiser le propos, voire, pire encore, de l’épurer radicalement. Tenues contemporaines banales, qui mettent tout à plat, y compris les repères sociaux les plus élémentaires d’une action qui perd l’essentiel de son sens. En guise de silhouettes parisiennes quelques clochards et interlopes qui circulent sans but apparent, en guise de Couronnement de la muse de vagues silhouettes aperçues au loin dans un miroir oblique, en guise de tableaux de la vie domestique de pénibles arrêts sur image qui tentent de donner aux personnages du Père ou de la Mère des rigidités de figures tutélaires complètement hors-sujet… Que reste-t-il de Louise dans ce marasme : une sordide histoire de parents toxiques, qui tentent d'annihiler la personnalité de leur fille afin de mieux la garder pour eux seuls. Un drame de l’émancipation strictement banal, intemporel certes, mais d’un intérêt tellement limité… surtout au niveau de psychologie à trois sous où se situe le livret de Charpentier ! Somme toute ce spectacle se présente comme une longue succession de tunnels, d’un ennui parfois mortifère.


Même le 3e Acte, avec son original décor de toits de zinc fortement inclinés, ne fonctionne pas bien, mais pour des raisons musicales cette fois. Car si le coup d’œil sur ces surfaces brillantes et habilement éclairées est magnifique, l’inconfort imposé aux chanteurs, très éloignés de l’orchestre et contraints de se mouvoir avec beaucoup de prudence, nous vaut un duo hors de tout contrôle, vociféré à pleins poumons comme si cousette et poète se retrouvaient transportés sous le gibet d’Un bal masqué. Quant à l’éviction hors scène d’un tableau musical entier, simplement parce qu’il ne cadre pas avec le parti pris non illustratif de la mise en scène, elle relève de l’aberration indéfendable.


Du côté des solistes on ne comprend pas non plus la nécessité d’avoir cherché jusqu’en Roumanie un Julien qui certes peut compter sur une chaleureuse présence mais chante, en dépit de louables efforts, complètement hors style. Un peu mieux compréhensible et contrôlée la Louise de Nataliya Kovalova paraît davantage à sa place, mais là c’est plutôt la technique vocale qui manque de souplesse et de préparation, notamment dans le très attendu Depuis le jour, hasardeux et sans charme. Le couple de parents incarné par Marie-Ange Todorovitch et Philippe Rouillon n’en paraît que plus solide et idiomatique, même si leur personnification exagère dans les deux cas le versant fruste des personnages. On aurait en particulier attendu davantage de subtilité et d’approfondissement de la part de Philippe Rouillon, dans ce rôle en or du père que l’on peut creuser avec des nuances de véritable mélodiste. Mais la platitude de la mise en scène, il est vrai, ne l’aide guère à progresser dans cette voie. Parmi les seconds rôles, une mention particulière pour le Noctambule du jeune Xin Wang, lauréat récent du concours de chant Barbara Hendricks à Strasbourg : voix légère très assurée techniquement, diction soignée, belle tenue en scène… effectivement un jeune chanteur à suivre.


En fosse Patrick Fournillier défend un ouvrage qui manifestement le passionne, et parvient à entraîner l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg dans une lecture probe et soigneusement architecturée, mais sans toujours éviter une sensation de monotonie inhérente à l’écriture de Charpentier, avec ses motifs conducteurs inlassablement répétés que même une orchestration raffinée ne parvient pas toujours à varier suffisamment. Mais là encore ces contingences auraient pu passer inaperçues si l’œuvre avait été scéniquement mieux servie. En l’état, cette pauvre Louise paraît surtout sortir de l’épreuve banalisée et délavée : un résultat douloureusement contre-productif.



Laurent Barthel

 

 

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