About us / Contact

The Classical Music Network

Aix-en-Provence

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

L’art du devoir de mémoire

Aix-en-Provence
Grand théâtre de Provence
10/15/2009 -  
Œuvres et mélodies de Viktor Ullmann, Pavel Haas, Erwin Schulhoff, Ilse Weber, etc.

Anne Sofie von Otter (mezzo-soprano), Bengt Forsberg (piano), Daniel Hope (violon), Bebe Risenfors (guitare, contrebasse, accordéon)


D. Hope, B. Forsberg, A. S. von Otter, B. Risenfors
(© Agnès Mellon/Le Grand théâtre de Provence 2009)




La fameuse mezzo-soprano suédoise Anne Sofie von Otter, l’une des plus belles voix du moment, a offert au Grand Théâtre de Provence un récital intitulé « Terezin, Theresienstadt ». La soirée était présentée par Son Excellence Monsieur Pavel Fischer, Ambassadeur de la République Tchèque en France, qui a rappelé l’histoire tragique de Terezin, petite ville située près de Prague, transformée par les nazis en camp de concentration pour « personnalités », savants ou artistes juifs. Les pratiques artistiques y étaient tolérées dans un but de propagande, afin d’offrir une apparence « acceptable » aux médias, alors que des convois emmenaient en fait régulièrement par milliers les prisonniers vers les camps de la mort. Anne Sofie von Otter et ses amis interprètent des œuvres de compositeurs ayant séjourné à Terezin, et tous morts en déportation, hormis un rescapé, Karel Berman. Le programme est majoritairement différent du récital discographique éponyme paru en 2007 chez DG : la moitié des seize mélodies chantées sont originales, ainsi que dix des douze pages instrumentales.


Anne Sofie von Otter s’est montrée fidèle à sa réputation : voix au timbre idéalement chaleureux et onctueux, formidable talent d’interprète, réputé sur toutes les scènes d’opéra du monde, mais sans l’ombre d’une pose de diva. Au contraire, une simplicité, une humanité, une sincérité absolue dans l’expression ! Tout ce concert a baigné dans une émotion très prenante, indépendamment même du contexte historique. Son programme s’est ouvert et clos avec des musiques plus proches de l’univers populaire ou du cabaret, comme ces mélodies d’Ilse Weber, toutes simples mais tellement touchantes, ou encore l’Hymne du camp, par Karel Svenk, ainsi qu’un détournement d’air d’opérette, d’un entrain factice, férocement ironique. Suivirent trois mélodies de Viktor Ullmann, dont une fort subtile sur un sonnet de Louise Labé, et un des Trois Chants Yiddish op. 53, poignant. Puis cinq mélodies extraites de l’Opus 18 de Pavel Haas, écrites avant son incarcération, dans des styles étonnamment variés, tantôt folkloriste à la Janácek, tantôt jazzy, humoristique ou sentimental.


La chanteuse se fit pédagogue pour présenter chacune des œuvres, de même que ses complices. Le piano attentif de Bengt Forsberg fut par moment remplacé par la guitare, ou reçu le soutient d’une contrebasse ou d’un accordéon, tous joués par l’étonnant Bebe Risenfors, aussi musicien de jazz. Et le chant raffiné du grand violoniste anglais Daniel Hope, qui fut jadis le dernier protégé de Yehudi Menuhin, se mêla à la voix de la cantatrice pour de sublimes duos.


Bengt Forsberg interpréta plusieurs pages instrumentales, notamment tirées d’un recueil de Karel Berman 1938-1945 Réminiscences, sortes de Scènes d’enfant dont les titres seuls suffisent à vous glacer le sang : « Typhus au camp de concentration », « Auschwitz, l’usine à cadavres » ! Et encore le Con molta espressione de la Suite pour piano op. 13 de Pavel Haas. Puis avec Daniel Hope la Sérénade pour violon et piano, délicieusement sentimentale, de Robert Dauber, unique page rescapée d’un musicien qui mourut à vingt-trois ans. D’Erwin Schulhoff, les deux mouvements initiaux des Sonates pour violon seul, et pour violon et piano n°2, comportant chacune d’immenses déplorations, enchainées avec l’émouvante Siciliano de la Quatrième Sonate pour violon et continuo en ut mineur de Bach, afin d’illustrer la dimension consolante de la musique en ces circonstances de tragédie apocalyptique.


Les plupart des œuvres, surtout celles d’Ullman et Schulhoff, sont tellement belles et expressives qu’on se dit qu’elles devraient figurer au grand répertoire, indépendamment de toute considération commémorative. Mais rendre à nouveau vie et voix à ces musiciens disparus, comme le font Anne Sofie von Otter, Bengt Forsberg et Daniel Hope, est évidemment la plus belle manière qui soit d’exercer un devoir de mémoire.



Philippe van den Bosch

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com