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Un Simon trop épuré

Geneva
Grand Théâtre
09/09/2009 -  Et les 12, 15, 18, 20, 22 & 24 septembre
Giuseppe Verdi : Simone Boccanegra
Roberto Frontali (Simone), Krassimira Stoyanova (Amelia), Giaccomo Prestia (Fiesco), Roberto de Biasio (Gabriele), Franco Pomponi (Paolo), Jean Teitgen (Pietro), Omar Garrido (Un capitaine), Solenn’ Lavanant-Linke (Une servante d’Amelia)
Chœurs du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse romande, Evelino Pidò (direction)
José Luis Gómez (mise en scène)


(© GTG/Carole Parodi)


A l’heure où tant de nations sont encore secouées par les haines, le message de paix civile lancé par le doge de Gênes, pourtant venu au pouvoir par de peu recommandables moyens, n’a rien perdu de sa portée. L’opéra de Verdi, dans sa version révisée de 1881, mérite bien de passer la rampe des grandes scènes internationales, surtout depuis que la production désormais légendaire de la Scala, grâce à Claudio Abbado et Giorgio Strehler, lui a donné une seconde jeunesse. Simon ouvre ainsi la première saison genevoise de Tobias Richter, même s’il s’agit d’un spectacle préparé par son prédécesseur Jean-Marie Blanchard, en co-production avec le Liceu de Barcelone.


Le Prologue augure bien de la suite, musicalement surtout. Evelino Pidò, fidèle à lui-même, a regardé la partition au fond des yeux pour en éclairer toutes les lignes, créer une belle pâte sonore, installer une atmosphère de pénombre propice aux combinaisons politiques et aux passions privées – on sent les progrès que Marek Janowski a fait faire à l’orchestre. Il impose surtout aux chanteurs un ton de confidence sobre et raffiné qui est celui de la très moderne conversation en musique trouvé par Verdi. Face au Fiesco implacable mais sobre de Giacomo Prestia, une vraie basse profonde comme on n’en entend plus beaucoup, Roberto Frontali campe d’emblée un Doge stylé, introverti, complice du Paolo sournois, sans noirceur outrée, de Franco Pomponi – le Penthée des Bassarides du Châtelet. Le décor épuré jusqu’à l’abstraction de Carl Fillion évacue l’historicité du drame et joue plutôt sur l’éclairage, donnant malgré tout un sentiment de déjà-vu avec ces miroirs reflétant les personnages et la salle. Par son économie, la direction d’acteurs de José Luis Gómez semble aussi privilégier l’intimité des consciences.


Le début du premier acte confirme un moment cette impression. La direction d’orchestre fait souffler les brises marines à travers les subtilités de l’instrumentation. Après un air un peu raide, Krassimira Stoyanova déploie toutes les beautés de son soprano charnu, homogène et sans acidité, Amelia à la fois virginale et passionnée, qui émet de beaux aigus pianissimo. Roberto de Biasio s’interdit les effets de ténor et la surenchère dans l’émotion, préfère soigner la souplesse et l’élégance de sa ligne, Gabriele bouillant mais jamais fruste. Roberto Frontali, en revanche, commence à inquiéter, par des aigus instables, un phrasé hésitant et une caractérisation qui peine à se dessiner, en deçà de la complexité du rôle. La suite laisse sceptique. Le célèbre finale met vite à nu les faiblesses du baryton, comme celles de la production. L’apostrophe au Conseil manque de puissance, la grandeur du Doge lui échappe, la voix s’avère trop légère, pâle même. Dans la fosse, Evelino Pidò ne prend pas la mesure de la théâtralité de ce grand moment de l’opéra verdien, que sa baguette devrait porter à bras-le-corps – les opéras antérieurs de Verdi, comme l’a montré son Trouvère, qui clôturait la saison précédente, lui conviennent mieux, pour ne rien dire de Donizetti, Bellini ou Rossini. La mise en scène, elle, ne convainc plus du tout : le statisme tourne à l’indigence, ce qui étonne de la part d’un homme de théâtre confirmé, collaborateur d’Almodóvar. Faute d’une idée fortement affirmée, l’hétérogénéité des costumes, avec les patriciens en costumes d’académiciens, après les brassards rouges du Prologue, en attendant les uniformes fascisants des exécuteurs de Paolo et les robes du cortège nuptial renvoyant à la période de la création de l’œuvre, échouera à nous suggérer que l’histoire de Simon Boccanegra traverse les siècles.


A partir de là, tout est dit. Ce Simon constituera d’abord un festival de voix, soutenues avec amour plus que galvanisées par une direction décidément trop distante et trop plastique, abandonnées par une mise en scène de plus en plus discrète, confinant le drame dans une obscurité parfois blafarde mais toujours uniforme. Amelia phrase à ravir ; Gabriele nuance avec finesse son « Sento avvampar », où l’on aimerait seulement un peu plus de soleil dans le timbre ; Paolo distille le venin de sa frustration haineuse sans jouer les Méphisto ; Fiesco conserve une noblesse quasi royale face un Doge dont l’autorité s’est définitivement diluée dans une paternité douloureuse, plus à l’aise et plus présent dans le dernier tableau. Et Ching-Lien Wu, une fois encore, a remarquablement préparé le chœur. C’est déjà beaucoup, dira-t-on, surtout pour un opéra, a fortiori de Verdi. Mais on n’aura guère perçu, dans la fosse et sur la scène, les grondements de la mer des passions.



Didier van Moere

 

 

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