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Gluck, Episode Un

Paris
Théâtre du Châtelet
10/08/1999 -  et 11,14, 20,23 octobre 1999
Christoph Willibald Gluck : Orphée et Eurydice
Magdalena Kozena (Orphée), Madeline Bender (Eurydice), Patricia Petibon (Amour)
Robert Wilson (mise en scène, scénographie, lumières), Frida Paremeggiani (costumes), Giuseppe Frigeni (chorégraphie)
Orchestre Révolutionnaire et Romantique, Monteverdi Choir, John Eliot Gardiner (direction)

Nous le devinions, maintenant nous l’avons vu. Assez semblable, au fond, à ce qu’on pouvait imaginer. A ceci près que l’approche psychorigide de Wilson est moins handicapante dans Orphée que dans la plupart des oeuvres récemment abordées à Paris, car l’opéra de Gluck, beaucoup moins fouillé psychologiquement et dramatiquement que les autres versions du mythe, trouve sa force dans une progression émotionnelle très régulière, culminant en une unique crise théâtrale : l’instant du regard. D’émotion, il n’est évidemment guère question sur le plateau, mais la fluidité du mouvement perpétuel caractérisant la mise en scène, sa neutralité interprétative nous gardent des maladresses inévitables dès lors qu’on cherche à faire sens d’une histoire et d’une musique au pouvoir de fascination aussi simple que mystérieux. Abîmé dans le narcissisme de ses éclairages sublimes (hormis la poursuite sur le visage de la protagoniste, sans doute irréalisable), flottant dans l’abstraction d’une gestuelle dont les codes font écho à ceux oubliés du théâtre classique sans souci de les ranimer ni de les actualiser (seul clin d’oeil conceptuel patent, l’opposition entre les pendrillons à l’ancienne et la " machine " futuriste dans le final), ce spectacle propose la visualisation suffisante d’un drame qui doit d’abord se jouer dans la fosse et au travers des voix. Lourde mission pour un Gardiner qui n’en demandait probablement pas tant ! Cohérente dans ses options, la lecture du chef anglais produit cependant un résultat inégal. La plastique aérienne, l’éclat des timbres de l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique ne sont pas une surprise, non plus que l’intensité rigoureuse du choeur, et répondent heureusement à ce qui touche l’oeil. Quelques décalages, l’intonation un rien laborieuse des cuivres déçoivent l’oreille tatillonne, le solo de flûte râpeux et cru la déconcerte franchement. Péché majeur, le tempo très rapide, le refus des silences et une certaine uniformité d’accents empêchent trop souvent la phrase de respirer, et par conséquent d’émouvoir. Mais quand Gardiner élargit sa palette dynamique, quelle extase ! Les récitatifs dans le dernier tableau, l’ultime air d’Orphée prennent à la gorge, et la descente aux Enfers, à couper le souffle, est l’un des plus prodigieux moments de direction d’orchestre entendus depuis très longtemps. Le chef a sans doute également insisté sur l’articulation du texte avec ses chanteurs, si l’on en croit la diction d’une surprenante clarté de Magdalena Kozena – ou s’agirait-il du fruit d’un récent travail personnel ? La jeune mezzo tchèque, desservie par un battage médiatique dont nous sommes tous un peu responsables, ne semble pas avoir pleinement convaincu lors de sa prise de rôle, en dépit de qualités exceptionnelles. La tessiture très grave de la version Viardot ne lui convient guère, l’obligeant à scinder ses registres entre un médium poitriné, sombre et assuré mais ténu et un aigu beaucoup plus sonore, d’une irrésistible lumière mais à la couverture assez étrange, proche du soprano au niveau du passage. Avec une voix moins adéquate encore, Von Otter fut pourtant un Orphée inestimable ; ce qui fait pour l’heure défaut à Kozena, c’est la fibre tragique, l’intensité dramatique apportée à chaque détail, l’indifférence à cet égard de la mise en scène ne l’y aidant évidemment pas. Comment résister pourtant à cette virtuosité naturelle, à la longueur de ces phrases couleurs de miel, à la musicalité inouïe du legato et des inflexions (ces ports de voix violonistiques, ces notes rebattues !), simplement extraordinaires dans la scène des Furies ? Que ce one woman show n’entraîne jamais l’ennui est bien le signe d’une réussite, à laquelle s’associent l’Amour sucré et scéniquement irrésistible de Patricia Petibon (un peu bousculée par le tempo de Gardiner dans son air) et l’Eurydice veloutée mais aux attaques parfois molles de Madeline Bender. En attendant de voir si dans Alceste, la métamorphose s’opérera de la contemplation enamourée au drame intérieur.




Vincent Agrech

 

 

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